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Le gouvernement affirme avoir entamé une politique d'assainissement
budgétaire, alors que l'opposition socialiste prétend que la rigueur est
insupportable et qu'il y mettra fin s'il arrive au pouvoir en 2012. Qu'en est-il
? Peut-on parler de rigueur en France ? Les efforts du gouvernement sont-ils
suffisants pour espérer redresser les finances publiques ?
Déficits
Les communiqués de presse du gouvernement viennent de claironner que "le déficit
réel 2010 ne sera que de 7.0% du PIB au lieu de 7.5% initialement rapportés",
après consolidation complète des comptes de l'état. Il vaut mieux cela que
l'inverse, mais un simple regard sur les chiffres rend le tableau un peu moins
affriolant. Consultons donc le détail des données fournies par l'INSEE
sur les comptes de la nation en 2010.
Evolution du déficit en milliards d'euros :
L'état, la "sécu" et les collectivités dépensent donc au total 7 euros pour 6
encaissés. Certes, le taux de déficit a été légèrement réduit l'an passé par
rapport à 2009. L'emballement du déficit est donc légèrement freiné, et c'est
indubitablement positif. Mais est-ce suffisant ?
L'amélioration des comptes publics en 2010 par rapport à 2009 ne doit pas nous
faire oublier que le déficit actuel est d'un ordre de grandeur 2.5 à 3 fois plus
élevé que les valeurs considérées comme normales avant 2008.
La question que l'on peut donc se poser, sans même évoquer un improbable retour
à l'équilibre budgétaire, est de savoir si les politiques mises en oeuvre en
2010 sont de nature à permettre de retrouver des comptes équivalents à ceux de
2007, à savoir un déficit repassant sous les 3% du PIB.
La rigueur ? Quelle rigueur ?
Regardons comment recettes et dépenses ont évolué entre 20090 et 2010
Notons que l'inflation a été de +1.8% en 2010. Nous constatons donc que les
dépenses de l'état ont augmenté plus vite que l'inflation, et notamment ses
dépenses de fonctionnement, qui continuent de grimper fortement, et que seule
une baisse de ses investissements physiques a permis de limiter les dégâts. De
même les prestations sociales ont-elles augmenté sensiblement plus vite que
l'inflation, et la poursuite des départs en retraite des baby boomers devrait
amplifier ce mouvement, malgré la très timide réforme des retraites esquissée
par le gouvernement actuel.
Parler de "rigueur" dans ces conditions relève de l'escroquerie sémantique.
Quelles évolutions futures ? Un scénario "business as usual" assez optimiste !
De même le paiement d'intérêts de la dette a augmenté de 5% en 2010. Les
intérêts versés sur la dette française représentent 3.38% de la dette en début
d'exercice, mais on peut craindre une augmentation de ce taux. Surtout, les
intérêts de la dette représentent 5,2% des recettes totales.
Pourtant, la plupart des hypothèses retenues par Bercy se fondent sur des
prolongations plutôt positives des tendances actuelles : coût de la dette
maintenu à des niveaux planchers, pas besoin de réformer en profondeur les
structures publiques, etc... Jouons le jeu et imaginons, dans un tel contexte,
comment pourraient évoluer les comptes publics dans les prochaines années.
Le différentiel 2010 entre la hausse des recettes (+3.1% courants, soit 1.28% en
€ constants, arrondi à 1.3%) et celle des dépenses de fonctionnement (+2.7%) est
très faible. De surcroît, les dépenses d'investissement (-10% en 2010) ne sont
pas compressibles à l'infini, et les transferts et subventions aux
collectivités, s'ils peuvent être stabilisés, seront hélas compensés par notre
participation à divers plans d'aide (Grèce, etc...). Nos aventures libyennes
auront également un coût qui n'existait pas les années précédentes.
On peut donc considérer que dans un scénario "réformettes as usual", le taux
d'évolution global des dépenses va, au mieux, se rapprocher de celui des
dépenses de fonctionnement, soit +2.7% /an. Même en étant optimistes sur la
croissance (ce que je ne suis pas, mais imaginons que les experts qui entourent
Mme Lagarde aient raison), imaginons que la croissance retrouve en quelques
années un rythme annuel d'environ 2% avec une inflation contenue à 2%, soit une
croissance brute de 4,04% arrondie à 4. Imaginons que cette croissance puisse
être acquise sans baisse de pression fiscale, ce qui est très improbable, mais
passons, et donc, imaginons que le taux de recettes des administrations
publiques reste constant à 49,2% du PIB.
Formons l'hypothèse simpl(ist)e suivante : avec un inflation de 2% constante,
imaginons que les dépenses progressent en 2011 de 2,2% comme en 2010, puis de
2,3% l'année suivante, et ainsi de suite jusqu'à atteindre 2,7% d'augmentation
annuelle. En contrepartie, imaginons que dans le même temps, les recettes
croissent de 3,2% en 2011, puis 3,4% en 2012, et ainsi de suite jusqu'à un
pallier de 4% atteint en 2015. Ce scénario ne prétend pas à au réalisme, mais
permet de poser quelques ordres de grandeur...
Nous admettrons également que la dette augmentera chaque année du montant du
déficit. Cela n'a pas été le cas en 2010 car l'état a fortement rogné sur son
matelas de trésorerie pour afficher un accroissement de la dette moins élevé que
son déficit, mais il ne pourra pas renouveler la manoeuvre chaque année.
Comment évolueraient, dans de telles conditions, le PIB, les dépenses, le
déficit, la dette... ? Nous poserons que les intérêts payés sur notre dette
resteront égaux à 3,4% de la dette en début d'exercice comme aujourd'hui, ce qui
suppose que la perte de confiance qui affecte les PIGS ne gagne pas la France...
Bref, l'ensemble de mes hypothèses "business as usual" sont en fait très
optimistes. Elles sont du même acabit que celles présentées publiquement par
Christine Lagarde, sans parler du ridicule du Parti Socialiste qui ose parler
d'une croissance durablement comprise entre 2 et 3% s'il arrive au pouvoir.
Le scénario "Business as Usual" : pas d'assainissement avant 2017 !
Le tableau ci-dessous montre l'évolution des comptes publics dans ce faisceau
d'hypothèses "soft" :
Dans ce scénario, ce n'est qu'en 2016 que nous retrouvons le niveau de dépenses
publiques de 2007, soit 52,4% du PIB. C'est en 2017 que le déficit revient non
seulement en dessous du niveau des 3% de Maastricht, mais plus important, en
dessous du niveau qui permet de diminuer la valeur relative de notre dette par
rapport au PIB. C'est en 2017 et pas avant que le poids du paiement des intérêts
de la dette recommence à baisser, mais celle-ci a entretemps progressé à 10
points de plus qu'aujourd'hui. Les 60% des critères de Maastricht ne sont
eux-mêmes qu'un très lointain souvenir totalement inaccessible. Et
naturellement, il ne s'agit que de la dette "notifiée", n'intégrant pas les
engagements sociaux non provisionnés.
L'absence de cygne noir jusqu'en 2017 est-elle crédible ?
Bref, ces chiffres ne sont pas "catastrophiques" comparés à d'autres, mais ils
ne sont pas bons, et ce malgré des hypothèses de départ très "soft". Surtout,
ils supposent qu'aucun nouvel incident ne vienne répéter sur les finances
publiques le scénario catastrophe de fin 2008 et début 2009 : chute libre des
recettes fiscales, "sauvetage" de grandes banques à la dérive, défaut de
paiement des PIIGS mal pris par les marchés obligataires, opérations militaires
libyennes et ivoiriennes plus longues que prévu, bulle immobilière qui éclate en
Australie, au Canada ou ailleurs, émeutes de l'inflation en Chine, etc... Dans
le monde globalement instable qui est le nôtre aujourd'hui, rien de tout ceci
n'est inimaginable.
Car dans ce cas, une nouvelle chute de la croissance, donc des recettes
fiscales, propulserait les déficits à des niveaux inconnus jusqu'alors. Et il
n'est pas certain que le cercle des PIIGS ne s'élargisse pas à la France... A
tout le moins, le coût moyen de la dette publique risquerait d'augmenter bien
au-delà des 3.4% retenus par mon petit calcul. Et dans ce cas, la part des
recettes publiques consacrées au paiement des intérêts augmenterait sensiblement
au-dessus des 6% projetés.
Ajoutons que rien n'indique que les dépenses sociales puissent ne progresser
"que" de 2.7% par an. Le Conseil d'Orientation des Retraites n'a semble-t-il
malheureusement pas mis ses projections à jour pour tenir compte de la
réformette récente, mais la progression des prestations sociales a été
supérieure au rythme d'accroissement des recettes publiques entre 2009 et 2010,
et la poursuite de l'arrivée des Baby-Boomers aux âges de retraite ne devrait
pas permettre d'inverser la situation, en absence de réforme en profondeur des
branches retraite, mais aussi maladie et famille de la sécurité sociale.
Enfin, il n'est pas certain que le gouvernement parvienne à maintenir le cap de
la mini-rigueur salariale qu'il a instaurée dans la fonction publique. Ni que le
candidat élu en 2012 ne soit pas contraint de céder à quelques-unes de ses
promesses les plus dispendieuses.
Bref, il y a toutes les raisons de croire que les dépenses risquent d'augmenter
plus vite que dans mon scénario de base sans changement de paradigme très fort
dans la gestion de l'intervention publique.
En revanche, les recettes pourraient se révéler décevantes. Les projets
d'augmentation de taxes des uns et des autres auront certainement un rendement
marginal décroissant (application du principe de Laffer), et surtout, on ne voit
pas sans changement de cap politique majeur, ce qui pourrait amener de la
croissance saine : les investissements productifs sur notre territoire ne sont
guère florissants, malgré la propagande officielle sur l'attractivité du
territoire français.
Enfin, l'incapacité pour l'état de maintenir nombre de financements "verts"
risque, à l'instar de ce qui est en train de se passer en Espagne, de nous
amener une vague de restructurations importantes dans le secteur privé
subventionné, ce qui sera très sain à long terme, mais évidemment pénalisant
pour les recettes publiques au moment où se produira la disruption.
On voit donc que les raisons d'être "optimiste" sont évanescentes, alors que les
nids de cygnes noirs prolifèrent.
Conclusion
Les chiffres ci-dessus indiquent que des politiques de "bricolage" telles que
celle pratiquée par l'UMP ou celle proposée par le PS, d'accompagnement de la
crise et de "gros dos" sans réforme majeure visant à réduire le poids de l'état
dans la société, ne permettront au mieux une reprise de l'assainissement des
comptes publics qu'à partir de 2017, dans le cadre d'hypothèses trop optimistes
pour être totalement crédibles de surcroît. Or, cet assainissement est une
composante essentielle d'un retour durable (le mot est à la mode) de la
confiance chez les agents économiques, consommateurs comme investisseurs.
Une véritable politique de rupture avec la dépense publique tous azimuts est
indispensable.