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Comment faire disparaître rapidement 750 milliards d’euros

Par Loïc Abadie;

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Je commencerai cet article par trois remarques primaires, populistes et d’un niveau intellectuel au ras des pâquerettes, bien incapable que je suis d’approcher la profondeur et la complexité de la pensée des eurocrates qui mettent en œuvre les dispositifs financiers qui « stabilisent » les finances de tous les états de l’eurozone.

Mon cerveau basique me dit donc ceci :

- Lorsque un acteur économique est surendetté et incapable de régler ses dettes, le fait de lui prêter encore plus d’argent, et d’augmenter ainsi encore son niveau d’endettement, n’améliorera certainement pas sa situation sur le long terme, et ne l’aidera certainement pas à résoudre son problème.

- Lorsqu’on prête (beaucoup) d’argent à un acteur économique incapable de payer les dettes qu’il détient déjà, il n'y a aucune chance de revoir la couleur du nouvel argent prêté. Cela ne s’appelle pas un prêt, mais un don inutile dans un puits sans fond.

- Lorsqu’un pays présente un déficit structurel et massif de sa balance des paiements vis à vis de l’extérieur, dû à un manque de compétitivité, la valeur de sa monnaie doit baisser jusqu’à ce que le nouveau coût de sa main d’œuvre restaure un niveau de compétitivité suffisant sur le plan international. Si on empêche cet ajustement en imposant à ce pays une monnaie extérieure trop forte pour lui, il ne pourra restaurer sa compétitivité, et ses déficits s’aggraveront jusqu’à la faillite totale de son économie.

Tout le monde aura compris que je voulais parler de la Grèce (mais cela vaut aussi pour le Portugal et en partie l’Irlande).

Ce que nous devrions faire :

La Grèce a en effet passé depuis longtemps le point de non-retour, à partir duquel se serrer la ceinture ne sert plus à grand-chose (le déficit grec a augmenté de 13% sur les 5 premiers mois de l’année par rapport à la même période de 2010), mais où il faudrait un plan similaire à celui mis en œuvre pendant la crise argentine :

- Restructuration pure et simple de la dette, avec réduction négociée mais massive des créances. Vu la situation financière de ce pays, il semble très difficile d’imaginer que plus de 30 % de la créance soient récupérables un jour : La dette Grecque fait 150% du PIB, 30% de celle-ci feraient encore 45% du PIB grec, valeur qui doublerait une fois la monnaie grecque dévaluée de 50%. On peut peut-être espérer un peu mieux (40 à 50% du montant de la créance initiale ?) grâce au produit d’éventuelles privatisations, mais une chose est sûre : Plus nous attendrons, plus le gouffre se creusera, et moins la part récupérable sera grande.

- Une fois la restructuration accomplie, sortir de la zone euro, pour permettre une dévaluation suffisante de la monnaie grecque, de nature à restaurer l’équilibre de la balance des paiements et la compétitivité de ce pays.

Ce schéma de crise avait fonctionné en Argentine au début des années 2000 dans une situation assez similaire, et après une crise sévère mais de durée assez courte (un défaut de paiement d’un état ne constitue pas la fin du monde, même si c’est un événement très grave), ce pays a aujourd’hui un budget équilibré et un niveau d’endettement raisonnable, et bénéficie d’un taux de croissance tout à fait honorable, un des meilleurs d'Amérique Latine, même si des problèmes subsistent et que l’inflation y reste élevée.

Si on l’avait appliqué à la Grèce en 2009, ce pays serait peut-être déjà sorti d’affaire aujourd’hui.

Ce que nous faisons

Les européens ont choisi une autre voie, plus conforme aux enseignements du keynésianisme : Jeter le plus possible d'argent dans un gouffre pour reporter le problème de quelques mois ou quelques années, jusqu’à ce que leurs actions entraînent l’implosion totale de l’eurozone. Ils y arriveront d’ailleurs très certainement (la disparition de l’eurozone et du machin bancal et non démocratique plus connu sous le nom d’« union européenne » permettra au moins de repartir sur de meilleures bases après la grande crise qui nous attend).

Le coût estimé pour le contribuable, les résultats :

Le FESF (fonds européen de stabilité financière) représente un montant potentiel de garanties de 750 milliards d’euros (500 millions venant des états européens ou du budget européen, 250 milliards venant du FMI).

La part de la France dans ce dispositif vient d’être relevée de 111 à 159 milliards d’euros.

Dans ce cadre, un premier prêt de 110 milliards a été décidé en 2010 à la Grèce pour stabiliser la situation économique et financière. Bilan de cet « investissement » très particulier :

- La dette Grecque est passée de 115% du PIB fin 2009 à plus de 150% du PIB aujourd’hui.
- Le déficit budgétaire a augmenté de 13% , ce qui signifie que le gouffre se creuse de plus en plus vite.
- La récession s’aggrave en Grèce : PIB en recul de 2% en 2009, 4,5% en 2010, et 5,5% sur les premiers mois de 2011 par rapport à la même période de 2010.
- Le taux d’intérêt des emprunts grecs à 10 ans est passé de 6,5% début avril 2010 à 17% aujourd’hui.

Résultats qui sont parfaitement logiques et en ligne avec mes trois remarques de début d’article.

Forts de ce premier bilan, les dirigeants européens ont décidé de poursuivre cette belle aventure et de lancer un nouveau prêt de 110 milliards d'€.

Un « Mécanisme Européen de Stabilité » ( !) va aussi être mis en place à partir de la mi-2013. Montant prévu des garanties : 700 milliards d’euros.

Part de la France probable : autour de 21%, soit de nouveau 150 milliards environ.

Je garde le meilleur pour la fin : afin de bien s’assurer que nous ne reverrons jamais la couleur de cet argent, nos dirigeants ont aussi décidé que ce fonds ne bénéficierait pas du statut de créancier prioritaire, pour « rendre plus attrayantes auprès des investisseurs les futures émissions de dette » de la Grèce, du Portugal et de l’Irlande.

En clair : nous allons garantir avec l’argent du contribuable la solvabilité d’états en pré-faillite, pour que les opérateurs privés (banques et autres) puissent acheter sereinement leurs emprunts d’état en profitant de taux qui sont actuellement très largement supérieurs à 10%.

Et une fois que ces états seront en faillite (car ils le seront évidemment), le contribuable ne sera même pas prioritaire pour obtenir les quelques miettes restantes sur les prêts consentis.

Comme l'a dit Charles Dereeper, vous pouvez quand même tenter de récupérer une partie de l'argent jeté par la fenêtre en achetant de la dette Grecque sur des échéances courtes...Avec de la chance, et si l'eurozone n'implose pas trop vite, vous serez rémunérés par le FESF et le M.E.S (pour le M.E.S, il faudrait quand même que l'eurozone résiste au-delà de juillet 2013, ce qui est loin d'être gagné).

Sinon, 159 milliards d’euros, cela représente un engagement proche de 2500 euros par français, ou de près de 10 000 euros pour un ménage standard formé d’un couple et de deux enfants.

Si l’eurozone n’a pas réussi à imploser avant la naissance du M.E.S en 2013, il faudra ajouter 150 autres milliards à l’ardoise, soit de nouveau près de 10 000 euros pour notre « ménage standard ». Quoi qu’en disent les dirigeants actuels, la probabilité pour que nous revoyons un jour la couleur de l’argent prêté à des états comme la Grèce, le Portugal ou l’Irlande est voisine de O (pour l'Irlande il reste un faible espoir vu que ce pays garde un secteur privé assez compétitif). Considérez donc dès maintenant que l'"engagement" est une perte pure et simple.

P.S : Dans le domaine « la réalité Bisounours dépasse la fiction », une agence de communication m’a contacté il y a quelques semaines pour m’inviter à signer un « manifeste pour l’optimisme » écrit par Thierry Saussez, à répandre la bonne parole, et à essayer un nouvel outil de relance économique innovant : Je me suis demandé un moment si je devais le prendre au premier degré, ou si nos élites, dans un rare éclair de lucidité, se lançaient dans l’autodérision...à vous de voir.

Loïc Abadie
www.loicabadie.com

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