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La maîtrise de la fusion nucléaire contrôlée fait fantasmer bien des
décideurs, et pour cause : celui qui arriverait à mettre au point un mécanisme
de fusion nucléaire contrôlée pérenne trouverait le moyen de produire des
quantités d'électricité quasi infinies avec un recours aux ressources de la
planète quasi infinitésimal.
La fusion nucléaire, un potentiel énergétique incomparable
Rappelons que la fusion thermonucléaire est un mécanisme qui permet à deux
atomes de se combiner en un atome plus lourd, et que ce processus libère une
énergie considérable. Il convient d'ailleurs de bien faire la distinction entre
la FUSION nucléaire, mécanisme semblable à celui qui prend place au milieu du
soleil, et la FISSION nucléaire, mécanisme de transformation atomique qui est
utilisé dans les centrales nucléaires actuelles.
Accessoirement, il convient de préciser que le terme de "fusion" tel qu'utilisé
pour la centrale de Fukushima se rapporte à un simple mécanisme de "liquéfaction
par échauffement" tout ce qu'il y a de plus classique et non une fusion au
niveau des noyaux atomiques. D'ailleurs, en anglais, les deux termes sont
distincts (Fusion / Meltdown)
Alors que la fission peut être générée par initiation de réactions en chaîne
dans des matériaux radioactifs, moyennant un apport d'énergie initial
relativement raisonnable, la fusion thermonucléaire n'a pas pu être mise en
oeuvre dans des usages civils jusqu'ici, simplement parce qu'on ne sait pas
apporter suffisamment d'énergie à deux atomes pour les faire fusionner de façon
contrôlée. Mais si l'on y parvenait, l'énergie produite par la fusion serait
tellement élevée qu'il suffirait d'en prélever une petite partie pour permettre
de perpétuer la réaction en chaine.
Ajoutons que la fusion ne requiert pas de matériaux radioactifs et ne produit
quasiment aucun déchet de la sorte, et à durée de vie courte dans le pire des
cas. Le matériau envisagé comme meilleur combustible est l'hydrogène, sous
diverses formes isotopiques (hélium, deutérium, etc...), simplement parce qu'il
est le plus léger.
Boum !
La seule application dans le monde réel de la fusion, aujourd'hui, est, hélas,
la fabrication de bombes dites thermonucléaires. Pour initier la fusion, on
utilise l'énergie produite par la fission d'une bombe atomique placée à
l'intérieur d'un réservoir de lithium. Certaines bombes H utilisent même trois
étapes : une bombe atomique pour faire exploser une "petite bombe H" qui
elle-même amène assez d'énergie pour faire exploser une très grosse bombe H.
La bombe H la plus puissante ayant explosé au cours d'essais, de conception
soviétique, était ainsi 4000 fois plus puissante que celle d'Hiroshima. Et
encore : il s'agissait d'une bombe à deux étages qui était conçue pour servir
d'allumette à une bombe à trois étages qui aurait été encore plus dévastatrice,
que les soviétiques n'ont pas osé tester grandeur nature, de peur que la
puissance générée par un test, même en grande profondeur, ne produise des effets
sismiques incontrôlables.
Tout cela pour dire que le potentiel énergétique de la fusion est
incommensurablement plus puissant que celui de la fission, qui assure pourtant
aujourd'hui une part non négligeable de la production électrique mondiale. Et la
quantité de deuterium que l'on pourrait tirer des océans permettrait de produire
de l'électricité en quantité plus que suffisante pour plusieurs centaines de
millénaires. Fini les politiques de restrictions énergétique et les discours
moralisateurs pro-décroissance !
Reste à être capable d'initier une fusion contrôlée (pas question de faire
exploser l'hydrogène ici !) et à l'entretenir au sein d'un mouvement capable de
produire de l'électricité.
Une telle perspective fait évidemment saliver, sauf peut-être quelques grands
prêtres de la décroissance. Comment la concrétiser ?
"Start Ups" contre "State Up"...
Ici s'opposent deux conceptions assez radicalement différentes du progrès, de la
recherche et du développement.
En France, le développement du nucléaire civil est totalement contrôlé par
l'état, même si les géants étatiques du secteur ont permis de générer à leur
périphérie un réseau de sous-traitants de très haute qualité technologique. Ce
secteur économique est totalement sous la coupe du décideur public, on pourrait
dire un secteur dominé par le "State Up". Aussi, lorsqu'il s'est agi de
concevoir un projet de développement de technologies de fusion contrôlée, l'état
Français, sûr de sa force et de son bon droit, a décidé de prendre les choses en
mains, et a lancé un projet baptisé plus tard ITER.
ITER aura les meilleurs chercheurs, les meilleurs ingénieurs, les meilleures
conditions de travail, et, grâce à cette concentration de talents orchestrée de
main de maître par un état clairvoyant et stratège, permettra peut-être
d'aboutir à une production d'énergie en... Euh, on ne sait pas trop, en fait.
Les mauvaises langues, y compris scientifiques, font remarquer qu'ITER, projet
d'ingénieurs chercheurs sous parapluie public, ne répond pas aux canons
habituels de l'investissement raisonnable. Le coût de R&D de ce premier
prototype est estimé à 20 milliards d'Euros (avant dépassements, inévitables sur
ce type de projets) et ne devrait rien produire de tangible avant... 2030. La
France a donc, par on ne sait quelle force de persuasion, convaincu d'autres
pays de financer ITER, tout en gardant la maîtrise du projet, implanté à
Cadarache, dans les alpes du sud. Nombreux sont ceux qui dénoncent un projet
pharaonique lancé sans le moindre souci de rentabilité par un état trop sûr de
lui.
Cette approche gigantisme est contestée par des challengers moins lourds.
La charge de la brigade légère
Parmi les pays qui n'ont pas rejoint la coalition internationale derrière ITER,
on trouve le Canada. Et au Canada croit une Start Up qui croit pouvoir être la
première à réaliser d'ici quelques années ce qui serait "la" percée
technologique du XXIème siècle, à n'en pas douter.
General Fusion, c'est son nom, vient de lever 20 millions de dollars de
plusieurs fonds d'investissement privés, dont celui de Jeff Bezos, le fondateur
d'Amazon, qui croit dur comme fer au projet.
Plus au sud, aux USA, d'autres start Up du même type espèrent remporter la
palme. Certes, aux USA, il existe une structure de recherche mixte
publique-privée (sous un statut d'économie mixte un peu "tordu") importante
dédié à toutes les applications de l'atome, basée à Los Alamos (Sandia Labs).
Mais cette structure, dont on peut supposer qu'elle opère comme en France une
distorsion très forte contre les nouveaux entrants, n'empêche pas d'autres
opérateurs 100% privés et plus modestes d'entrer dans la course à la fusion. La
R&D opérationnelle est donc aussi le fait de petites entreprises dont les noms
seront peut être connus un jour, telles que Helion Energy, qui espère elle aussi
pouvoir lever 20 millions, ou encore Tri Alpha, une "spin off" de l'université
d'Irvine, Californie, qui travaille dans le plus grand secret mais vient de
lever 40 millions d'un autre fond d'investissement.
Ces start ups (et il y en a peut-être d'autres) savent qu'elles n'ont pas les
moyens d'ITER, qu'elles ne peuvent pas se contenter de créer des
méga-accumulateurs d'énergie par une démarche fleurant bon le gigantisme
mégalomaniaque. Alors au lieu de chercher à explorer des voies classiques dont
on sait qu'elles sont très énergivores, et de ne compter que sur une masse de
cerveaux pour faire tomber une à une les barrières que la nature a dressés entre
l'homme et l'énergie éternelle, ces petites sociétés sont obligées de rechercher
"l'astuce gagnante" qui leur permettra de miniaturiser et par là même de
rentabiliser leur création.
On peut donc observer qu'elles proposent des voies exploratoires variées, certes
encore semées d'embûches, mais qu'elles pourront modifier au fur et à mesure
qu'elles amélioreront leur savoir, alors que les chercheurs d'ITER feront face à
plus de difficultés s'ils doivent expliquer aux financiers publics
internationaux que, finalement, le tokamak (procédé technique retenu) n'était
peut-être pas la meilleure voie de recherche, et qu'il faudrait développer
d'autres prototypes... Les investisseurs de General Fusion sont formels, et en
substance, leur discours peut se résumer ainsi : "nous estimons être capables
d'arriver à des résultats opérationnels bien plus vite et avec bien moins
d'argent qu'ITER, même si la pente est raide".
Vers un big bang énergétique ?
Naturellement, il est impossible de dire si une de ces start ups gagnera le gros
lot, ou si des technologies différentes rendront le recours à la fusion
contrôlée inutile. Mais si elles échouent, elles n'auront sacrifié que quelques
centaines de millions d'investissements privés volontaires, et non contribué à
accroître l'endettement public pesant sur des contribuables n'ayant pas leur mot
à dire sur ce type de décision.
Le plus probable est toutefois que ces R&D privées débouchent sur des
découvertes opérationnellement exploitables bien avant ITER. Dans ce cas, le
centre de Cadarache servira de centre de formation subventionné de chercheurs de
talent qui iront rejoindre ces start ups quand elles passeront dans la seconde
phase de leur histoire, celle du passage de l'état de prototype à celui de
producteur d'énergie. Contribuables, à vos mouchoirs.
Le secteur de l'énergie est aujourd'hui dans une phase de bouillonnement créatif
-et pas uniquement dans le domaine de l'atome- qui devrait alimenter les
rubriques R&D des magazines spécialisés de façon de plus en plus fréquente dans
les 5 années à venir, et déboucher sur des applications concrètes
révolutionnaires d'ici une dizaine d'années. Et si les espoirs dans la fusion se
concrétisent, ce sera bien plus qu'une révolution, mais, sans jeu de mots, un "big
bang".
Et sans grand risque, je peux parier que ce n'est pas le monstre ITER, lourd et
peu imaginatif, qui triomphera de la cavalerie légère des Starts Ups lancées à
la poursuite du graal.