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Foreclosure Gate, la suite de la saga

Par Vincent Benard;

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Quelques nouvelles du Foreclosure Gate, pour changer. Où en est le règlement de cette affaire dont je vous parlais dès septembre 2010, et qui semble avoir été reléguée au second rang par les problèmes nucléaires, proche-orientaux, et les affaires de dettes souveraines ? Et bien, l'affaire suit le cours parfois tortueux de la justice américaine... Je ne relate que l'essentiel des multiples dizaines de procédures en cours.

Rappel : qu'est-ce que le foreclosure gate ?

Rappelons, pour les nouveaux lecteurs, de quoi il s'agit en quelques mots. Le Foreclosure gate, exposé en détail ici, est un scandale "à tiroirs" dans lequel :

• Les banques US ont vendu depuis une dizaine d'années à des investisseurs des créances immobilières qu'elles savaient "douteuses".

• Pour ce faire, elles ont sciemment menti sur le contenu qualitatif des créances qu'elles plaçaient dans les fonds d'investissement qui "titrisaient" les prêts immobiliers par lots de plusieurs milliers.

• Pour que l'étendue du mensonge (sur les revenus des emprunteurs ou sur la valeur des biens servant de gage) ne soit pas découverte, elles ont omis de transmettre les documents clé (créances et hypothèques) aux fonds de titrisation dans les termes prévus par la loi, préférant s'en tenir à de simples enregistrements électroniques, lesquels ont été déclarés illégaux depuis par les tribunaux de plusieurs états.

• Résultat, faute de détenir les créances et les hypothèques originales en bonne et due forme, nombre de banques se retrouvent de facto jugées par certains tribunaux incapables de procéder à la saisie de la maison qui servait de gage à un prêt lorsque l'emprunteur est en défaut de paiement.

• Certaines n'ont pas hésité à créer de toutes pièces des documents antidatés pour contourner la difficulté, ce qui a provoqué l'explosion du scandale lorsque le pot-aux-roses a été découvert.

Les banques concernées (principalement Bank Of America-Countrywide, JP Morgan, Citi Group, Wells Fargo, et GMAC, qui représentent les deux tiers du marché de la titrisation, mais aussi des dizaines d'autres plus modestes) subissent donc deux types d'attaques :

• L'une, de la part d'emprunteurs en défaut de paiement qui contestent le droit à saisir les maisons. Ce volet a été "renforcé" (théoriquement...) par une investigation des 50 procureurs généraux des états de l'union.

• L'autre, de la part d'investisseurs qui ont acheté des obligations émises par les fonds de titrisation de prêts immobiliers, qui estiment qu'ils ont été sciemment trompés sur la qualité des titres vendus. L'enjeu financier se juge en centaines de milliards de dollars.

Pire encore : le scandale pourrait forcer les banques à comptabiliser des pertes actuellement non prises en compte par leurs bilans, certaines créances hypothécaires pouvant... Cesser d'être hypothécaires si lesdites hypothèques ne peuvent être exercées, rendant beaucoup plus difficiles le recouvrement même partiel des sommes perdues par les banques. Le préjudice potentiel est là encore de plusieurs centaines de milliards.

Bref, les big four, et notamment Bank Of America, sont tout simplement menacées d'insolvabilité. C'est également le constat du congrès américain.

Conséquence : le lobbying des grandes banques concernées pour obtenir un sauvetage de l'administration bat son plein. Peuvent ils réussir ?

Le pouvoir exécutif recherche un "sauvetage à la dérobée" des banques fautives

La réponse à cette question est clairement "oui", mais les défenseurs de l'état de droit peuvent encore espérer que je me trompe. En effet, deux types de procédures sont en cours : certaines concernent le pouvoir exécutif (action conjointe des 50 procureurs généraux) pour juger (ou trouver un arrangement) les actes frauduleux commis pendant les opérations de saisies immobilières. Dans cette catégorie figurent également quelques actions d'agences d'état (la SEC notamment), sur lesquelles je ne m'étendrai pas.

Le second type d'action judiciaire concerne une myriade de plaintes individuelles ou collectives d'investisseurs privés et de propriétaires menacés d'éviction devant les juridictions civiles.

En ce qui concerne l'action conjointe des procureurs, il semblerait que l'on s'achemine vers un arrangement que d'aucuns jugent "scélérat" : moyennant une "amende" de 20 milliards de dollars pour tout le territoire et la réécriture noir sur blanc de principes élémentaires de droit sur un texte d'arrangement à valeur contractuelle, les banques pourraient renégocier les prêts en défaut ou pré-défaut avec les propriétaires concernés, recréer une chaîne documentaire valide, et recommencer leur business comme avant. Les 20 milliards seraient en fait concédés comme réduction du montant restant dû aux emprunteurs en situation de défaut. Cela représente moins de 10 000$ par prêt actuellement en forclusion, et encore moins si on considère tous les prêts en retard.

L'accord est jugé scélérat parce qu'avant les élections de novembre dernier, on évoquait des poursuites pénales et des amendes bien plus élevées (10 milliards pour les fraudes constatées dans le seul état de l'Ohio, par exemple). Mais curieusement, le procureur en charge de représenter ses 49 collègues a fortement adouci son discours depuis janvier, évoquant non plus des poursuites pénales contre les dirigeants passés ou présents de grandes banques mais de simples "réparations civiles".

Pire, le code de bonne conduite proposé par les procureurs, tout comme la contre proposition des banques, texte dont le compromis final serait intégré à l'accord, sont une vaste plaisanterie, se bornant à rappeler que "voler, mentir, ce n'est pas bien, il ne faut plus le faire". Les analystes financiers Yves Smith (gauche) et Karl Denninger (libertarien), et l'avocat expert auprès du congrès et de nombreux états Adam Levitin (neutre) ont analysé en détail les propositions rendues publiques : de simples rappels de droit dont on se demande bien pourquoi ils sont nécessaires, et pourquoi le constat de leur non-respect passé ne mène pas à des poursuites pénales.

Bref, un "back door bailout" des banques se prépare sur le volet pénal de l'affaire, avec absence de poursuites pénales individuelles et amende "spectaculaire" (20 milliards) mais symbolique en regard des préjudices subis par l'économie mondiale et des millions de familles dont les droits élémentaires ont été foulés aux pieds.

A ce jour, l'accord n'a pas été approuvé par les 50 procureurs, et malgré la relégation au second plan de l'affaire pour cause d'actualité mondiale chargée, il semblerait que pour des raisons politiques (les procureurs généraux sont élus aux USA...), certains prennent peur et ne veuillent pas entériner un accord qui ressemble à une mauvaise plaisanterie.

L'espoir vient des juges locaux

Mais si les procureurs généraux (AGs, Attorney General), représentants le pouvoir exécutif, semblent être prêts à baisser leur culotte devant la puissance des grandes banques, la musique n'est pas la même devant le pouvoir judiciaire et les "petits juges" en charge d'affaires reliées au Foreclosure Gate.

Ainsi, après l'Utah, c'est un juge d'Alabama, qui, en première instance, a rendu un jugement estimant que non seulement le non transfert des créances en bonne et due forme ote le droit aux banques d'opérer la saisie, ce qui est presque banal, mais qui en plus, affirme que la non transmission dans les règles de ces documents prouve une manoeuvre frauduleuse au départ du prêt de la banque, que sans cette manoeuvre frauduleuse, le prêt n'aurait pas été octroyé, et de facto, Dénie à la banque tout droit ULTERIEUR sur la maison. Autrement dit, "pas de titrisation en règle = pas de droit à saisir AD VITAM ETERNAM". Pas "revenez avec de la paperasse en ordre" ou "renégociez avec l'emprunteur", non. En substance, le juge signifie à la banque : "Vous avez violé votre propre charte de titrisation, sans titrisation, le prêt n'aurait pas pu être octroyé, donc vous ne pouvez plus vous prévaloir des termes d'un contrat que vous n'avez sciemment pas respecté dès sa signature : votre créance n'a pas d'hypothèque valide à faire valoir, point barre". Donc le propriétaire ne peut être saisi (ce qui rendra difficile le recouvrement de la dette...) et les investisseurs floués pourront arguer que les prêts vendus "sécurisés" par l'hypothèques ne l'étaient en fait pas...

La banque concernée (un établissement de seconde catégorie) a le choix entre faire appel, mais si elle perd à nouveau, le jugement fera jurisprudence, ou accepter la première instance, et être inondée de procédures visant à exploiter cette faille. Il est probable qu'elle fasse tout de même appel...

Deux états qui émettent ce genre de jugement, et l'Arizona qui a passé une loi sur des principes similaires : cela commence à faire beaucoup ! On pourrait s'acheminer vers une généralisation de la reconnaissance d'absence de droit à forclore des banques, ce qui entraînerait d'une part une recrudescence des défauts de paiement stratégiques, et surtout une véritable "implosion" du bilan des banques détentrices de créances, puisque sans collatéral, ces créances perdront une part considérable de leur valeur... On comprend que le jugement soit suivi de très près par toute la profession.

Exécutif vs Judiciaire

D'une façon générale, on s'achemine vers une dichotomie entre les procédures diligentées par des représentants du pouvoir exécutif (les procureurs, mais aussi la SEC ou l'agence de protection des consommateurs) qui relèveront de la poudre aux yeux pour tenter d'amadouer le public, et celles où des juges de terrain tentent encore de rendre des actes cherchant à réparer les torts causés par des pratiques plus que contestables.

Ainsi par exemple, ce rapport d'Yves Smith montre que l'état d'esprit des juges de Floride, autrefois très "pro-banques", est en train de changer du tout au tout, après que les juges aient pris conscience que derrière de "simples erreurs matérielles" se cachaient sans doute des pratiques frauduleuses pervasives.

Cependant, si l'accord des grandes banques avec l'exécutif sur les procédures de saisie aboutit, alors les enquêtes pénales s'arrêteront, ce qui ne permettra pas de "déterrer" les pièces à conviction qui auraient pu alimenter les plaintes d'investisseurs qui se sentent floués, qui constituent toujours, aujourd'hui, le danger le plus important pour les banques présumées fautives. Par conséquent, impossible de dire aujourd'hui, qui, de l'alliance oligarchique des banques et de l'administration d'un côté, ou de l'état de droit de l'autre, va gagner la bataille du Foreclosure Gate, mais hélas, les mauvaises banques semblent partir avec un léger avantage.

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