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Ma recherche sur la régulation financière avance à petits pas, et je n'espère
pas publier quelque chose de conséquent avant décembre. Mais d'ores et déjà, je
parviens à une certitude: la façon dont la loi se crée aujourd'hui favorise
l'émergence d'un monstre sociétal, que le terme de néo-corporatisme peine à
rendre dans toute sa nuance. Je parlerais bien de "collusionnisme", une
co-gestion de l'économie par les élites politiques et financières au détriment
de ceux qui veulent gagner leur vie dans honnêtement dans l'économie que l'on
dira "réelle", quoique le terme soit également impropre. En tant que libéral, ce
phénomène me touche particulièrement, car les politiques ainsi promulguées sont
souvent étiquetées "néo-libérales" par leurs contempteurs, alors qu'elles en
sont l'exact opposé.La faillite d'AIG
J'ai déjà évoqué cette faillite de la cogestion de l'économie par des
élites co-optées. Bien que j'aie déjà souligné l'existence du phénomène
au niveau Franco-français dès 2005, dans mon discours pour le congrès de
l'ISIL à Cologne, j'étais loin de me douter que le pays le plus proche
de la France en terme de conduite des affaires se révèlerait être les USA. Et si
vous croyez que j'exagère, plongeons nous dans les délices de la très possible
"affaire AIG", car la faillite du premier assureur américain (voire mondial)
semble avoir été l'occasion de manoeuvres que la justice pourrait qualifier de
frauduleuses... si elle peut suivre son cours.
Rappelons les origines de la faillite d'AIG à la mi 2008.
Après que son ancien patron durant plus de 40 ans, le très emblématique
Maurice Greenberg, ait été poursuivi pour divers soupçons de fraude par
le sulfureux procureur Eliott Spitzer (affaires civiles
toujours en cours - Toutes les poursuites au pénal ont été abandonnées), la
nouvelle équipe dirigeante décida de mettre les bouchées doubles sur un marché
porteur sur lequel le "vieux" Greenberg, en bon risk manager, avait souhaité
limiter l'exposition de son entreprise, les "Credit Default Swaps".
Quand une assurance devient un produit dérivé hautement spéculatif...
Que sont ces produits dérivés ? Un Credit Default Swap est en quelque sorte une
assurance sur une obligation. L'assureur vend une option sur la valeur future
d'une obligation, que le détenteur de l'obligation va acheter pour se prémunir
contre le défaut éventuel de paiement de l'émetteur de l'obligation. En
contrepartie, il paie une prime d'assurance. Si l'émetteur de l'obligation fait
défaut, non seulement le détenteur d'une CDS doit recevoir le capital restant
dû, mais aussi, selon le contrat, une partie des intérêts qu'il aurait reçus si
l'obligation était allée jusqu'à son terme !
Nb. La société de l'analyste très en vue Janet Tavakoli publie de
nombreux papiers explicatifs sur les CDS. Pour les mordus !
L'ensemble des primes collectées par l'assureur doit être supérieur aux
sinistres enregistrés, sinon, l'assurance perd de l'argent, et si les pertes
sont trop importantes, la faillite est... assurée !
Le très gros problème des CDS est que le principal "Market Maker" de ces
instruments, AIG, a transformé ce produit d'assurance en gigantesque marché
spéculatif.
Accepteriez vous que votre assureur vende des assurances sur votre vie à
votre chirurgien ?
Imaginez que votre assureur vende des assurances contre l'incendie de votre
maison non seulement à vous même, ce qui est normal, mais aussi à des tiers qui
n'ont aucun lien juridique avec votre maison: vous ne seriez pas étonné
d'observer une recrudescence d'individus louches se promenant avec des
jerricanes d'essence autour de votre domicile, espérant toucher la valeur de
votre maison en cas de sinistre. Bref, l'assureur créerait une forte incitation
à ce que vous soyez sinistré. Fort heureusement, votre assureur n'est pas fou,
et de toute façon, la loi le lui interdit: vendre de telles assurances à des
tiers non juridiquement liés à la maison serait évidemment considéré comme la
justice comme un préjudice porté au propriétaire de la maison.
Pourtant, c'est exactement ce que AIG a fait en vendant des CDS "à découvert" à
des personnes n'ayant aucun lien de propriété ni avec les maisons servant de
collatéral au prêt, ni les obligations CDO packagées à partir de prêts
immobiliers.
Un assureur devenu spéculateur fortement leveragé...
Pourquoi un assureur agirait il aussi curieusement ? Officiellement, le
raisonnement était le suivant: en vendant plusieurs contrats d'assurance sur
chaque émission d'obligations, AIG encaissait beaucoup de primes, et si elle
avait bien calculé son risque, multipliait les bénéfices. Et donc les bonus pour
ses cadres.
Mais que AIG ait mal estimé le potentiel de faillites immobilières, même de
quelques pour-cent, et alors l'effet de levier permis par la multiplication des
contrats se retourne contre lui. Et la clause contractuelle permettant au
détenteur du CDS de recevoir non seulement le montant du nominal restant dû de
l'obligation, mais aussi une partie des intérêts escomptés, avec une simple
décote, fait de la faillite de l'émetteur une très bonne affaire pour le
spéculateur qui a acheté un CDS, en pariant sur la faillite du marché
immobilier, et une très mauvaise pour l'assureur.
Bref, AIG a cessé d'être un simple assureur pour spéculer sur la solidité
financière des produits qu'il assurait, et voilà pourquoi, lorsque la faillite
de Fannie Mae et Freddie Mac est devenue patente, en Août 2008, AIG s'est
retrouvé en situation de faillite.
Malversations en tout genre autour d'AIG
La justice américaine se pose quelques questions. D'abord, il semblerait que des
personnes impliquées dans des transactions immobilières, ou dérivées, tels que
des gros courtiers, ou des gros employés au sein de banques d'affaires qui
vendaient des obligations "CDO" sur les marchés, voire de grandes banques en
tant que telles, aient plus ou moins secrètement spéculé contre la faillite de
ces CDO en achetant eux mêmes des CDS, et aient donc au sein de leur entreprise
encouragé le repackaging de prêts douteux sur le marché sans se montrer trop
regardants sur la qualité des prêts collatéralisés, jouant leur intérêts
personnel contre celui de leur boite: un cas évident de "predatory capitalism".
Mais plus grave encore, il est possible que le sauvetage d'AIG par la FED, sur
lequel je reviendrai, ait été l'objet de fraudes massives impliquant des membres
du conseil d'administration de la FED de New York, dont nous rappellerons que le
directeur de l'époque s'appelait Tim Geithner, actuel ministre des finances de
Barrak Obama.
Mike Shedlock livre ici le contenu de la lettre envoyée par un sénateur
républicain de Californie, Darell Issa, qui mène une investigation du congrès
sur ces question, à l'actuel directeur de la Fed de New York.
En résumé, que dit-il: avant la faillite, AIG négociait avec les détenteurs de
CDS un rabais sur les sommes dues au titre de la couverture du sinistre
obligataire, de 40%. Mais la FED de New York a agi sans la moindre publicité
pour que ce rabais soit ramené à zéro après la nationalisation de fait d'AIG,
ce qui n'est rien moins qu'un énorme cadeau (estimé au minimum à 19
Milliards de $) fait par le contribuable américain aux détenteurs de CDS, et
notamment Goldman, Merill, notre bonne vieille société générale et Deutsche Bank.
Et au passage, un dirigeant de la FED de New York a fort opportunément réalisé 5
millions de dollars de profit personnel en achetant au très bon moment des
actions d'une des banques ayant ainsi reçu, que les employés de la Générale
m'excusent cette plaisanterie facile, un "coup de pouce" de quelques milliards
de dollars.
Une faillite aurait été nettement préférable au sauvetage par l'état
Il apparait évident qu'en vendant des CDS à des acheteurs à découvert, AIG a
quitté son rôle d'assureur et est devenu spéculateur, et a encouragé la mise sur
le marché de produits de très mauvaise qualité, dont les acheteurs sincères sont
les dindons de la farce. Ajoutons qu'AIG, en se trompant de métier, s'est révélé
très mauvais, puisqu'elle a gravement sous estimé la prime de risque qu'elle
aurait dû exiger des acheteurs de CDS.
Ajoutons que tout assureur doit, lorsqu'un sinistre se fait jour, effectuer un
minimum de recherches pour vérifier si le bénéficiaire du contrat n'a pas commis
une fraude. Il semble qu'AIG ait été bien peu diligent en la matière.
Si l'on met à part les questions d'ordre purement frauduleux, il est évident que
les détenteurs de CDS auraient dû être pénalisés, au même titre que l'émetteur,
par une faillite en ordonnée d'AIG. Et si les mauvaises créances d'AIG avaient
provoqué en cascade d'autres faillites, pourvu que le processus de ces dernières
ait été correctement géré et vite, avec des accords express d'échange "capital
contre dette", alors l'affaire AIG n'aurait en rien représenté le "risque
systémique" dont on nous a rebattu les oreilles fin 2008, qui a justifié tant de
plans de sauvetage de gros intérêts financiers par l'argent du contribuable.
Mais il y a tellement de politiciens et de hauts fonctionnaires à Washington qui
semblent manger au ratelier de Merrill Lynch ou Goldman Sachs, que certains ont
estimé qu'il valait mieux mettre le contribuable en coupe réglée pour éviter à
ces deux géants financiers d'avoir à supporter des pertes liées à leur
inconséquence. Une fois de plus, la collusion entre grandes banques d'affaires
et l'état conduit à des fraudes massives.
Leçons : quel type de régulation pour les assurances obligataires ?
Face à l'ampleur du désastre AIG (plus de 90 milliards de fonds
publics mobilisés à ce jour), et parce que le marché des CDS était peu
réglementé, certains estiment que nous avons affaire à un cas typique de manque
de régulation d'une activité privée par la puissance publique. Mais AIG et les
autres compagnies qui ont opéré sur ce marché n'ont fait qu'exploiter des
manques dans un droit normatif devenu de plus en plus touffu. Un droit plus
étoffé sur les CDS n'aurait fait que déplacer le problème vers d'autres failles
que le législateur n'aurait pas anticipées. Plus de réglementation ne réglera
pas le problème de fond d'un droit normatif devenu foisonnant, inapplicable et
plein de failles.
Certains affirment qu'il faut interdire les CDS. Cela parait excessif. Si la
vente d'options sur défaut à des non détenteurs d'obligations assurées est une
pratique hautement contestable du point de vue assuranciel, et génère sûrement
des incitations perverses, l'on ne peut sérieusement interdire à des détenteurs
de bons de vouloir s'assurer contre le défaut de paiement de l'émetteur.
La meilleure protection contre les prises de risques excessives des acteurs de
la finance n'est pas de tenter de définir de façon exhaustive ce qui est permis
et ce qui ne l'est pas. Le meilleur rempart contre trop de défaillances est la
quasi certitude que la faillite entrainera le démantèlement de la société ou une
restructuration à la hache de son passif et de ses actifs, et que ceux qui
arbitreraient sciemment leurs intérêts à court terme contre ceux de l'entreprise
et de ses actionnaires à long terme auraient toutes les chances d'être
condamnés, quand bien même les manoeuvres incriminées ne feraient l'objet
d'aucune codification formelle.
De même, AIG aurait été bien plus prudent si la législation n'avait pas tenté
d'écire tout ce qui est permis et tout ce qui est interdit, mais avait
simplement tenu en quelques principes de base de respect de la propriété
d'autrui, à charge pour la justice de déterminer si la vente d'assurances
faillite à de non détenteurs de créances ne constituait pas une incitation à
"l'incendie volontaire" portant préjudice aux détenteurs "réels" d'obligations
assurables.
Enfin, rappelons que les justices du monde entier semblent se montrer
bienveillantes envers les puissants sur l'application du principe de
"responsabilité limitée" des dirigeants d'entreprise. La responsabilité limitée
ne doit exister que tant que des fautes patentes, par incompétence ou par
malhonnêteté, n'ont pas été commises. Toute erreur flagrante de gestion, se
traduisant par une mise en danger des créanciers et actionnaires, doit engendrer
un risque personnel réel pour les dirigeants impliqués, ce qui les forcerait à
se montrer plus regardants sur la gestion des risques internes à leur
entreprise.
Conclusion : retrouver les bases libérales du droit
Faillite, principe de responsabilité personnelle pour faute, et jugement
sans concession de l'honnêteté des actes passés: ce sont les bases de
la régulation libérale des marchés. Or, l'affaire AIG-FED montre qu'à
l'évidence, l'administration US actuelle prend le chemin inverse: sauvetage des
institutions financières à l'évidence incompétentes, avec blanc seing
d'organismes sous contrôle public pour couvrir d'évidentes irrégularités, et
aucune sanction contre les dirigeants qui ont conduit AIG vers le désastre.
Répétons le: de tels agissements n'ont rien à voir avec le libéralisme. Ce
capitalisme là, qu'un autre auteur a appelé "le capitalisme de Davos",
n'est rien moins qu'une mise en coupe réglée de l'économie par une clique qui
sait s'assurer les bonnes grâces de l'état complice. Que l'on l'appelle
corporatisme, féodalisme, "crony capitalism" ou "collusionnisme", cette
cogestion de l'économie par de grands barons des affaires et des hauts
fonctionnaires souvent issus des même cercles n'est qu'une perpétuation d'un
système de fraude et de spoliation collective.
C'est la collusion entre état et capitalisme financier qu'il
faut combattre, et non le renforcement des prérogatives de l'état dans la bonne
marche des affaires qu'il faut favoriser. Tout accroissement du pouvoir
régulateur de l'état ou de ses satellites (tels que la FED), et toute
perpétuation des liens incestueux entre grands financiers et gouvernement de
Washington, ne peut qu'aboutir à la répétition de tels épisodes dommageables. La
solution pour sécuriser le monde des affaires passe par une véritable séparation
du capitalisme et de l'état, celui ci n'intervenant que pour sanctionner fraudes
et veiller au bon déroulement du réglement des procédures de gestion ordonnée
des défaillances.