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Rappelons le point de départ la crise financière actuelle : sous la pression
du gouvernement fédéral US qui veut étendre la propriété immobilière aux pauvres
en facilitant le crédit aux ménages défavorisés, les banques se demandent
comment vendre des prêts normalement invendables aux investisseurs, parce que
consentis à des personnes aux revenus trop faibles, trop irréguliers, ou
représentant un pourcentage trop faible de l'investissement. Ces emprunteurs
sont généralement appelés "subprime", même s'il y a des variantes.
Transformer le plomb en or, ça ne marche pas
Les banques croient trouver la martingale au milieu des années 90 en créant des
fonds obligataires segmentés, "Mortgage Backed Securities à tranches multiples"
(MBS), des "tranches obligataires" à plusieurs taux, les obligations aux taux
les plus élevés absorbant les premières pertes du fonds.
Avec la complicité d'agences de notation très peu regardantes sur le contenu
réel du produit, les banques arrivent à mélanger des emprunteurs à 4.8% et des
emprunteurs à 8% dans une proportion donnée, et à revendre les différentes
tranches entre 4 et 7.5, s'assurant une marge opérationnelle moyenne de l'ordre
de 2%.
Seul problème, malgré de multiples fraudes, la marge était trop
faible pour couvrir les risques de défaillance des tombereaux d'emprunteurs trop
"limite" par rapport aux prêts consentis. Le résultat est que le marasme
économique provoqué par la chute successive des MBS, après avoir envoyé par le
fond les emprunteurs subprime, touche désormais des emprunteurs jugés fiables.
Leçons de l'histoire :
1- Quelle que soit l'astuce mathématique mise en oeuvre, aucun miracle ne peut
transformer un prêt pourri en créance"AAA", et plus encore avec une ingénierie
financière intermédiaire qui mange les spreads. Toute méthode
prétendant y parvenir n'est qu'illusion.
2- Forcer les bons élèves à partager le destin des mauvais ne peut que forcer
une extension des ennuis des cancres aux bons éléments. La pourriture contamine
la viande saine, mais la bonne viande ne nettoie pas la barbaque pourrie. En
matière financière comme dans d'autres domaines, la transmission des caractères
ne se fait que dans un seul sens, celui de la contamination des bons produits
par les mauvais.
Si ça n'a pas marché, recommençons !
Pourtant, l'Union Européenne et les intervenants de marché financiers semblent
applaudir à deux mains une idée pourtant épouvantablement semblable : la
cartellisation des dettes européennes sous formes d'Euro-bonds.
L'Europe est composée d'emprunteurs devenus "subprime", les PIIGS, parce que
personne ne croit dans leur capacité de lever assez d'impôts pour rembourser les
intérêts de leur dette, à court ou moyen terme, et d'autres emprunteurs jugés,
pour l'instant du moins - et de façon totalement irrationnelle à mon avis - plus
fiables que les premiers nommés et qui méritent encore des notes d'agence
honorables. Comment faire en sorte que ces imbéciles d'épargnants du monde
entier qui commencent à sentir l'odeur faisandée qui émane des émissions
souveraines continuent de financer sans se poser de question les trous noirs
sans fond de Dublin à Lisbonne, et demain Madrid ou Rome ?
Les petits génies qui dirigent les gouvernements des PIIGS, et plus encore leurs
créanciers, voudraient bien que les rares états encore AAA servent de garantie
aux prêts octroyés aux états exsangues. C'est ainsi que des Euro-Bonds viennent
d'être émis, avec la garantie de la France, des Pays Bas et de l'Allemagne - les
autres signatures de la zone EURO sont soit bancales, soit insignifiantes
quantitativement -, à moins de 2.5% à 5 ans, qui serviront à prêter de l'argent
à la Grèce, au Portugal et à l'Irlande, en attendant plus, en dessous des taux
que le marché, c'est à dire les épargnants du monde entier en quête de revenu
sûr et récurrent, leur réclament. Autrement dit, les états encore présentables
se portent caution pour les cancres.
Cette manipulation devrait, dans un monde comptablement normal, inscrire au
"bilan" de l'état français et allemand, une provision pour caution à fort risque
apportée à un tiers. Et donc, en dégradant le bilan, la note devrait voir ses
fondamentaux ébranlés.
Et comme même l'Allemagne n'a, de façon évidente, pas les reins assez solides
pour sauver le reste de l'Europe d'un défaut de paiement en cascade, cela veut
dire que la signature des Eurobonds ne devrait pas valoir 2.5% mais certainement
beaucoup plus. Pour l'instant, les grands créanciers des banques irlandaises
(principalement des banques anglaises et allemandes, mais sans doute aussi
françaises) préfèrent entretenir l'illusion de la viabilité de la manipulation
et sur-souscrivent aux émissions d'Euro-bonds, tout en les plaçant en masse
auprès de leurs clients. Il n'y a aucune autre explication plausible au fait que
le taux de placement se révèle inférieur au taux individuel du meilleur élève de
la classe, l'Allemagne.
Mais dès que le volume d'émission des bons atteindra une certaine masse critique
pour pallier aux besoins de financement de toutes les faillites que compte
l'Europe, alors, faute d'acheteurs, la mécanique s'enrayera, la valeur des
Euro-bonds s'écroulera et le taux des bons s'envolera. Et l'on voit mal comment
il ne pourrait pas y avoir répercussion individuellement sur les bons de chaque
pays membre : les euro-bons ne sont qu'un bidouillage pour retarder l'inévitable
crise majeure des dettes souveraines excessives.
Ajoutons qu'au risque de solvabilité classique s'ajoute le risque politique :
que les élections irlandaises prochaines nomment une majorité anti-plan de
sauvetage, ou que la cour suprême de Karlsruhe mette des freins constitutionnels
à la participation du contribuable allemand à des plans de sauvetage pour les
grecs, et c'en est fini de la valeur décidément bien putative des euro-bons.
Les GBS ne vaudront pas mieux que les MBS
Bref, les euro-bons sont un produit indubitablement risqué, dont le prix de
commercialisation ne reflète en rien le risque réel porté par les investisseurs.
Mélanger de la viande saine et de la viande pourrie n'assainit pas la viande
pourrie.
Mutualiser des créances sur des emprunteurs "surs" et d'autres "subprime" dans
des fonds obligataires dont le prix de commercialisation ne compense pas le
risque réellement porté... Cela ne vous rappelle rien ?
Les "German Backed Securities" (GBS ?) sont aussi surestimées que les
tranches AAA des "Mortgage Backed securities" (MBS). Avec une
différence majeure : avec les Euro-bonds, on essaie même pas de faire croire aux
investisseurs que les tranches supposées sûres sont "couvertes" par des tranches
spéculatives "junior" et "mezzanine".
La cartellisation des dettes européennes est juste un moyen d'étendre la
catastrophe souveraine à toute l'Europe, certainement pas un moyen de sauvetage
des cancres par les têtes de classe.
Variante : vers une monétisation massive des euro-bons ?
Bon, on peut aussi imaginer un scénario alternatif, peut-être encore plus
crédible, comme le fait Charles Dereeper, à savoir que les états membres sont
d'ores et déjà d'accord pour monétiser de façon furtive toute dette future en
euro-bons. Autrement dit, la BCE prendrait en collatéral tout Euro-bon apporté
par une banque privée, avec pour cette dernière la promesse tacite d'utiliser le
cash ainsi collecté pour racheter de nouvelles émissions d'Euro-bons. Et ainsi
de suite, dans une fuite en avant perpétuelle.
Je ne puis en aucun cas certifier que ce scénario de Ponzi est celui qui
prévaudra, mais on ne peut pas l'écarter d'un revers de manche. Les états
européens espèrent ainsi relancer l'inflation tout en maintenant
artificiellement bas les taux d'intérêt auquel ils arrivent à emprunter les
tranches servant à refinancer celles arrivant à échéance, ce qui effacerait
progressivement leur dette. Un numéro d'équilibriste dont on se demande comment
il peut se terminer...
Bref, la BCE et les grandes banques entreraient dans l'ère de l'économie
Potemkine généralisée, où la vertu cardinale serait l'art de camoufler les
pertes, sans aucun égard pour aucune forme de vérité des comptes. Je m'attends
d'ailleurs à une décennie de scandales sur les manipulations des taux
officiels d'inflation des prix à la consommation, pour endormir les
opinions.
Ce serait alors juste les détenteurs d'Euros, vous, moi, et plus gravement, vos
employeurs, qui verraient leur épargne et leur trésorerie se déprécier, pendant
que le prix des consommations de base, lui, s'envolerait, sans que les salaires
ne puissent suivre. Les employeurs qui ne pourraient pas suivre les demandes
d'augmentation salariales licencieraient massivement, dans un scénario de
stagflation digne des années 70, mais à une échelle incomparablement supérieure.
Et, faute de rentrées fiscales, les états providence reviendraient à la case
départ : surendettement, faillites.
Comme le prophétise Nassim Taleb, nous connaîtrions alors une période d'un
phénomène d' "indéflation" : déflation de votre épargne, "ce que vous avez", et
inflation de vos besoins, "ce que vous n'avez pas encore". Mais combien de temps
pourra-t-on cacher longtemps aux
contribuables-consommateurs-épargnants-électeurs l'étendue du désastre financier
de la dette souveraine européenne ? Et quand il ne sera plus possible de le
cacher, comment réagiront-ils ?