A chaque élection, les mêmes thèmes reviennent en boucle. Aujourd'hui, un de ces "marronniers" de la vie politique est la "relocalisation" de l'industrie française, source de mesures supposées la favoriser, au premier rang desquelles la fameuse TVA sociale éreintée ici même il y a peu.
Mais certains candidats imaginent un retour à un protectionnisme bien plus
contraignant, qu'il soit européen, voire, pire encore, national. Dans la période
économique difficile que nous connaissons, de telles politiques
protectionnistes, qu'elles soient revendiquées ou masquées, seraient absolument
suicidaires. Voyons pourquoi.
D'où vient la valeur de ce que nous
consommons ?
Lorsque vous achetez un jouet, un smartphone, un
ordinateur ou un appareil électrique, il y a toutes les chances qu'ils aient été
fabriqués en Chine, ou en Asie du sud est. Le politicien démagogue y verra une
invasion inacceptable de produits "étrangers".
Toutefois, il y a des
chances que la réalité soit beaucoup plus complexe. Ainsi, une grande partie de
ces produis aura certes été fabriquée en Chine. Mais avant d'être fabriqués, ces
articles auront dû être conçus, puis vendus, ce qui aura supposé de bien
caractériser les consommateurs potentiels.
Or, lorsque l'on regarde un produit moderne, on constate que sa valeur
provient bien plus de l'adéquation aux besoins du consommateur qu'il suscite, ou
de la cote d'amour que sa marque recèle, que du seul fait qu'il ait été
fabriqué. De surcroît, la capacité de nombreux intermédiaires de nous délivrer
ces produits à proximité de chez nous, voire chez nous, au lieu de nous obliger
à aller les chercher chez des producteurs du monde entier, ajoute à ces
"produits" une valeur immense. Des ordinateurs qui resteraient stockés dans les
hangars de lenovo sans la "supply chain" qui permet à ces produits de franchir
des milliers de kilomètres, n'auraient que très peu de valeur à nos yeux.
Autrement dit, dans un monde ou des milliers de références se battent pour
conquérir le portefeuille de la ménagère comme du yuppie, la capacité d'un
produit à se faire connaître, à séduire, à s'adapter au plus près des besoins du
consommateur, à lui être livré, avec un service après vente et des prestations
annexes de qualité, comptent autant que la fabrication du produit lui même,
voire, de plus en plus souvent, beaucoup plus.
La valeur ajoutée est la clé
La Valeur Ajoutée, encore est toujours, est la base de toute l'économie. Quand vous vendez un produit made in China, ou made in Mexico, vous importez certes une valeur ajoutée par la fabrication créée dans ces pays, mais vous encaissez également la valeur ajoutée créée par la conception, le marketing, la distribution du produit, qui peuvent être en partie bien de chez nous. Ou d'ailleurs. Et ces valeurs ajoutées peuvent être infiniment supérieures à celles apportées par la simple fabrication du produit.
Et bien sûr, lorsqu'un méchant industriel américain fait fabriquer en chine
un produit vendu au Brésil conçu par une boite de design Française, la France
récupère une petite partie de la vente faite au Brésil. Bref, un peu partout,
des entreprises de tous les pays récupèrent un peu de la valeur ajoutée de
transactions conduites dans le monde entier.
Georges Kaplan illustre à
merveille ce principe dans un article dont je copie un extrait :
Le pays qui s'enrichit le plus est donc celui dont les entreprises sont capables de maîtriser la plus grande part de la valeur ajoutée. Si dans quelques secteurs, la production reste un élément important de cette VA (la légendaire qualité de fabrication des voitures allemandes ou des pianos Estonia les distingue sans aucun doute du véhicule ou du clavier lambda...), dans d'autres, elle est nulle : un costume dessiné en France et fabriqué en Turquie ne se distingue en rien d'un costume dessiné en France et frabriqué en France.L’exemple classique c’est l’iPhone d’Apple qui est, comme vous le savez certainement, assemblé par oxconn à Shenzhen. Voilà les faits [5] : pour faire produire un iPhone, vous avez besoin de $172,46 de composants produits principalement par Toshiba (Japon), Samsung (Corée du sud), Infineon (Allemagne) et quelques entreprises américaines comme Broadcom, Numonyx et Cirrus Logic. Ces composants sont importés par l’empire du milieu puis assemblés par Foxconn pour un coût par appareil de $6,5. Quand le produit est fini, il est directement livré près de chez vous et passe la douane à $178,96 FAB. En termes de comptabilité nationale, nous avons donc bien importé un iPhone « made in China » pour une valeur de $178,96 mais ce que cet exemple démontre, c’est que ce qui est effectivement « made in China », ce sont les $6,5 d’assemblage – soit 3,6% du prix d’importation.
Mais ces investissements seront-ils pérennes si la situation éducative et fiscale du pays continue de se déteriorer ? Quel avenir s'offrira à ceux que notre école laisse à l'âge adulte sans avoir assimilé les compétences de base du citoyen, sans la moindre capacité de mener à bien un raisonnement logique, sans esprit critique, ou sans être en mesure de lire un document un peu complexe ? Et si notre élite, mobile, trouve plus rémunérateur de s'employer massivement ailleurs, qui créera des emplois pour les déshérités du système éducatif ?
Car ne nous y trompons pas. La Chine, l'Inde, le Brésil, etc... grâce aux revenus générés par ces fabrications destinées initialement à l'occident riche, développent de fait une classe de cadres intermédiaires et supérieurs qui leurs permettront à terme de ne plus être que les simples réservoirs de cols bleus de l'occident. Leurs entreprises emmagasineront le savoir faire qui leur permettra d'investir les créneaux à forte valeur ajoutée dans lesquels ils se situent encore en retrait. Leurs systèmes éducatifs se modernisent à grande vitesse. De copieurs et sous-traitants, ils deviendront concurrents de plein exercice, et encore l'emploi du futur est-il ici abusif, cette évolution ayant déjà commencé.
Si nous ne corrigeons pas le tir, le déclin de notre système éducatif et notre fiscalité punitive de la prise de risque pourraient, dès le second tiers du présent siècle, cantonner un pays comme la France au rôle de pourvoyeur de cols bleus mal payés pour le compte de décideurs des pays émergés...
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