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En juillet 2007, après avoir soldé ma participation Photoways, j'ai fait un
pari important sur Select Comfort, l'un des grands
distributeurs du matelas aux USA, une chaîne intégrée production/distribution.
C'est un pari sur 5 ans, à échéance maximale juillet 2012, le cours devant juste
réatteindre 17$ environ pour que ce soit le jackpot. A l'époque, le marché
était très volatile, SCSS était orienté à la baisse, et mon
pari était très simple : qu'en juillet 2012 le cours de SCSS soit au
moins égal à son cours de juillet 2007, that's all. Et si c'est le cas,
je gagne environ +50% par an sur l'investissement, soit +250%. Ou, pour 1€ de
mise, je récupère 3,5€ en 5 ans, net de tout.
Mais si l'action ne retrouve pas les 17$ au minimum, là je ne récupère que la
proportion entre le cours et ces 17$. Par exemple, si l'action est à 10$ comme
aujourd'hui, je récupère 10/17ième de mon investissement. Ainsi, il y a
un certain risque, le capital n'est pas garanti, soit l'action est au
dessus des 17$, et je fais alors du x3,5 en 5 ans, soit elle est en dessous, et
je fais au mieux du x1. Il n'y a pas de miracle, le rendement potentiel est lié
au risque que l'on prend !
Il y a un petit raccourci, mais fondamentalement le pari réside dans ce
simple fait, d'être ou pas au niveau où le cours était quand j'ai fait le pari !
Etonnant, mais c'est ainsi, la forte volatilité de l'époque explique le
rendement qu'on m'offrait (la Soc Gen est très créative question produits
structurés !).
Evidemment, quand l'action a chuté de 17$ en juillet 2007 à 0,25$ en décembre
2008, soit une chute de 98,5%, je pouvais avoir quelques
raisons d'être inquiet ! Warren Buffet a bien dit que "celui qui n'est pas
capable de voir sereinement une baisse de 50% ne devrait pas faire
d'investissement", mais il n'a pas précisé pour ceux qui voyaient leur
investissement chuter de 99% en 18 mois !
Pourtant, mon pari était basé sur une analyse historique, une
compréhension de son modèle d’activité, ainsi que des fondamentaux,
et je n'étais pas totalement inquiet (un peu quand même) :
1) La perspective historique
Voici l'évolution de l'action, avec un pointage trimestriel, ce depuis décembre
1998 :
On constate une très forte cyclicalité !
Entre décembre 1998 et décembre 2000, l'action est passée de 26$ à 1,4$ environ,
soit -95%, avait plus ou moins stagné en 2001 pour finir à 2$ à la fin de cette
année, puis avait rebondit à 25$ 2 ans plus tard en décembre 2003, x12 !
Le cours de SCSS est donc capable, sur juste 2 ans, de chuter de 95% comme de
faire du x12 ! Idéal pour celui qui sait arriver au bon moment, attendre
patiemment, puis sortir !
2) Les modèle économique
Une chaîne de distribution a un niveau de coûts fixes intrinsèquement très
élevé, avec les loyers et le personnel (SCSS gère environ 500 magasins aux US).
Ainsi, une baisse de 10% de l'activité et du chiffre d'affaires entraîne
mécaniquement une baisse bien plus importante des profits. Et inversement.
Select Confort a une particularité supplémentaire, son niveau de marge brute est
de l'ordre de 60%, donc très important par rapport à d'autres types de
distribution (pour prendre quelques autres benchmarks, Walmart est à 25%, Macy's
à 40%, Whole Foods à 35%, Bed Bath & Beyond à 40%, etc).
Donc les variations d'activité ont un impact mécaniquement plus important que
d'autres sur le « bottom line » : la chute des profits peut être aussi rapide
que leur rebond.
3) Les fondamentaux
Select Confort maîtrise son produit et possède de nombreux brevets. Le terme
"Select" fait référence au fait que l'utilisateur peut choisir et adapter à tout
moment la dureté de son matelas. La firme a un avantage produit, ce qui
m'apparaît clé pour le long terme.
En conséquence, j'ai fait le pari que l'avantage produit de Select Confort
allait leur permettre, une fois la crise passée, de prospérer de nouveau, et
d'avoir un cours de l'action reflétant une performance économique qui devait
mécaniquement fortement s'améliorer. Cette société a le potentiel pour faire
entre 50 et 100M$ de profit net - elle a fait 50M$ en 2006 d'ailleurs - ce qui
devrait mécaniquement l'amener un jour à une valorisation entre 600 et 1,5Mds$,
soit un cours par action entre 13 et 30$. A 17$, je me mets au bas de la
fourchette, et je me donnais 5 ans.
On reste enfin dans de la distribution, domaine que je comprends et sais
analyser, contrairement à de la pure techno ou des réseaux sociaux ! Je ne
prendrais pas un tel genre de pari sur une société comme Google ou Yahoo par
exemple.
Maintenant, si le pari était rationnel, c'est toujours un pari, et il n'est pas
gagné. Il ne reste plus que 2 ans environ (juillet 2012) pour que l'action
remonte à 17$ minimum (elle est actuellement à la moitié, 8,5$ environ). Il peut
y avoir une rechute économique (quoi qu'un double dip s'éloigne aux US, pas
forcément partout ailleurs, ie Allemagne), la concurrence peut se renforcer, il
peut y avoir des erreurs de gestion, etc.
Mais j'aime ce genre de "gros pari", renforcé par quelques éléments factuels. Je
pense avoir pris un risque de 25/30% de mon investissement pour un gain
potentiel de 250%.
Comme le préconise Monish Pabraï, investisseur réputé et auteur du "the Dhandho
Investor", "Few Bets, Big Bets, Unfrequent Bets" ! China Ceramics, dont j'ai
parlé récemment, en est un autre pour moi.
Warren Buffet ne dit pas autre chose quand il préconise de concevoir sa carrière
d'investisseur comme une carte avec 20 cases, et quand on fait un investissement
on en coche une !
Derrière ce gros pari SCSS, il y en avait un autre en filigrane : celui que je
pouvais avoir une croissance meilleure de mon investissement qu'en conservant
tranquillement mes parts de Photoways. Début 2007, avec les débuts
d'Inspirational Stores, j'ai choisi de vendre mes actions Photoways, et ai même
lourdement insisté la-dessus auprès des actionnaires majoritaires de l'époque
(Highland et Index) qui ne voulaient pas me racheter !
De fait, ce fut HarbourVest, leur principal "Limited Partner" (le gros bailleur
de fond) qui m'a totalement racheté (ainsi que l'ensemble des autres
actionnaires historiques, qui sont tous sortis à cette occasion), à un niveau
que j'estime vraiment très appréciable.
Ainsi, même si Photoways, que j'avais donc fondée il y a maintenant plus de 10
ans, se faisait racheter (cas très probable) ou rentrait en Bourse en 2010 ou
2011 pour 50% de plus que ce que j'ai touché à l'été 2007, et si mon pari SCSS
réussit, j'aurais fait bien mieux puisque je vise du x3,5 sur 5 ans.
On verra donc dans les 2 ans si ce gros pari et cette réallocation d'actifs fut
payant ou pas !