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La différence de revenus entre salariés des pays "occidentaux" établis et des
pays émergents reste palpable, quand bien même certains de ces derniers opèrent
des rattrapages fulgurants. Mais cette suprématie semble toucher à sa fin, et
cette fin là pourrait être plus brutale que nous ne le souhaiterions...
La wealth machine de l'occident
Qu'est-ce qui faisait et fait encore pour un temps qui nous est compté la
supériorité de nos économies ? Sans aucun doute, l'antériorité de notre
conversion à l'économie de marché, qui a permis de maximiser dans nos pays les
gains d'innovations technologiques que nous avons su faire naître, et dont les
pays qui ont refusé ce modèle n'ont pu récolter que les miettes.
Cette conjonction de facteurs favorables a créé une osmose qui a permis de
fabriquer du capital productif mais aussi et surtout le savoir humain permettant
de le faire fonctionner et de l'améliorer. Ce second point est souvent sous
estimé, mais il est absolument essentiel. Lorsqu'un Chavez ou un Morales
exproprient les compagnies pétrolières exploitant leur sous-sol, ils constatent
très vite que les dirigeants et techniciens locaux installés à la hâte au sommet
des nouvelles compagnies n'arrivent pas à extraire du sol la même quantité de
combustible, avec pourtant la même technologie parfaitement en place. Lorsque
Robert Mugabe lance une vaste campagne d'expropriation brutale des fermiers
blancs du Zimbabwe, il oublie que les amis politiques qu'il installe à la tête
des exploitations ne savent pas traire une vache ou ensemencer un champ dans les
règles de l'art, et provoque une chute drastique de la production agricole
précipitant sa population dans un désastre humanitaire. Le capital n'est
rien sans le savoir. Et vice versa.
Cette fabrication du savoir n'est pas seulement nécessaire à la production
industrielle existante, mais à l'innovation permanente qui a longtemps été la
marque de fabrique quasi exclusive de l'occident capitaliste.
Mais aujourd'hui, dans nombre de pays autrefois considérés avec condescendance
par l'occident riche, la production de savoir faire industriel bat son plein, et
surtout, les politiques fiscales de ces pays tendent à favoriser la formation de
capital qui permet à leurs entreprises de ne plus être de simples copieurs ou
suiveurs, mais de véritables innovateurs. La Corée, Taïwan, Singapour, la
Malaisie, mais aussi la République Tchèque ou la Pologne sont aujourd'hui
capables de fabriquer les élites créatives et techniciennes indispensables pour
accroître leur productivité, et les politiques fiscales de ces pays tendent à
permettre à leurs industriels de se doter d'outils de recherche et de production
capables de faire fructifier ce potentiel humain régénéré. La Chine a le
potentiel pour suivre le même chemin. Et le Brésil. Et la Russie. Et une partie
de l'Inde également.
Quand bien même ces pays ne sont pas totalement exemptés de difficultés - par
exemple, l'éclatement de la bulle immobilière chinoise risque
de leur faire très mal à court terme -, cette évolution à la japonaise de pays
considérés il y a peu comme relativement arriérés économiquement n'en reste pas
moins le phénomène marquant de ces deux dernières décennies, au point que
certains n'hésitent pas à parler de la naissance d'un nouvel ordre économique
mondial.
La pierre philosophale du capitalisme occidental a été cette capacité unique à
faire rencontrer le capital physique et l'intelligence humaine, et de catalyser
cette réaction grâce à l'esprit d'entreprise.
On a perdu la pierre philosophale
Or, l'occident capitaliste "ancien" est en train de perdre cette faculté
catalytique. Tant l'Amérique autrefois triomphante que l'occident européen
semblent avoir totalement perdu le sens de ce qui a fait autrefois leur force.
Nous continuons à confier une part croissante de nos économies
à un acteur économique, l'état, qui se révèle invariablement peu productif,
simplement parce que les structures d'incitations en son sein obéissent à une
logique démagogique et corporatiste, et non à une pure logique de marché, qui
tend à obliger chacun à se maintenir au meilleur niveau de compétitivité.
Nous laissons nos éducations dépérir, tant du fait de la mainmise de syndicats
et de pseudo-pédagogues sur le corps enseignant, que de celui du triomphe des
théories de l'excuse permanente qui tendent à absoudre l'élève de toute
obligation d'effort et de discipline, sous le regard enamouré de parents
totalement démissionnaires et qui considèrent toute tentative de démonstration
d'autorité contre leurs petits chéris comme une intolérable ingérence dans leur
droit imprescriptible et inaliénable à l'enfance heureuse.
Malgré l'obsession de certains systèmes scolaires à détruire toute trace
d'excellence, il existe encore des élèves capables d'atteindre un niveau
permettant de tirer la société vers le haut, mais le fossé avec les élèves
maintenus dans la médiocrité par la déliquescence ambiante ne cesse de se
creuser.
Pire encore, dans la vieille Europe, nous faisons tout pour qu'une part
croissante de ces élèves au dessus de la moyenne aille goûter l'herbe des autres
pour voir si elle est plus verte, mais nous échouons misérablement à provoquer
un mouvement inverse dans la même proportion. Certes, les USA échappent encore à
ce mouvement, et arrivent toujours à attirer des brillants cerveaux dans leur
R&D, mais pour combien de temps encore ?
En imposant une double pénalité, par un délire réglementaire croissant et une
fiscalité marginale non moins expansive, à ceux qui pourraient former le capital
de qualité dont les gens ont besoin pour réaliser leur potentiel, nous incitons
ce capital à se former ailleurs, et à une époque où changer de pays ne
représente plus un obstacle insurmontable pour la partie la plus dynamique de la
population (qui n'est pas toujours la mieux diplômée, d 'ailleurs), nous
incitons le potentiel humain à rejoindre le capital là ou il se forme. Ajoutons
que les craintes -et les charges d'intérêts...- qui résultent de l'endettement
hors de contrôle de nos états n'inciteront pas nos entrepreneurs potentiels à
tenter l'aventure.
Les mauvais investissements chassent les bons
Pire encore, pour soi-disant compenser notre capacité déclinante à former ce
capital d'excellence, nous avons voulu financer notre croissance à crédit.
Depuis la fin des années 60, la plupart des états occidentaux ont donc encouragé
l'endettement public et privé en subventionnant le crédit de toutes les façons
possibles et imaginables: abandon de la discipline monétaire des étalons
métalliques, banques centrales accommodantes envers les banques commerciales,
fiscalité favorable au crédit, lois encourageant des prises de risques
inconsidérées à coups d'effet de levier inimaginables quelques décennies
auparavant...
Le résultat est que dans un pays comme les USA, l'investissement brut privé des
entreprises est plus faible aujourd'hui qu'il y a 12 ans et que
cet investissement poursuit les "bulles" plutôt que l'augmentation de la
productivité réelle. La croissance réelle des USA pendant les années de bulle à
certainement été plus proche de zéro que des 20 à 25% officiels.
Pendant ce temps, les investisseurs doués d'intelligence vont installer dans les
ex Pays de l'Est ou à Shenzen des outils de production qui enterrent les nôtres
en termes de performance pure, parce qu'ils trouvent désormais la main d'oeuvre
capable de les faire fonctionner et de les développer.
Et ne croyez pas que la justification de ces implantations soit uniquement les
bas salaires: les employés de ces unités performantes voient leurs rémunérations
croître bien plus vite que les nôtres. Ce qui maintient encore les salaires des
pays émergents en dessous des autres, est qu'ils n'ont pas encore fini de
renouveler leur stock de vieux capital peu performant, et que du coup, la
concurrence entre salariés qualifiés pour occuper les places les plus riches de
potentialités reste vive. Mais ne nous y trompons pas, cette situation n'est que
provisoire. Même la Chine, réputée pour maintenir par la coercition législative
ses ouvriers dans des fourchettes de rémunération très basses, semble obligée de
lâcher du lest, des grèves étant déclenchées par les salariés dans tout le pays,
avec pour corollaire des augmentations de salaires de parfois
plus de 50%... Bien sûr, les salaires chinois restent encore très inférieurs aux
nôtres, mais le rattrapage ne devrait pas prendre plus d'une génération, sauf
cataclysme politique imprévisible.
La route du déclin...
Pendant ce temps, nous continuons à nourrir par la dette des secteurs publics
métastasés hors de toute raison, nous continuons à vouloir nous offrir des vies
faciles à crédit, nous produisons de moins en moins de scientifiques
(c'est qu'en sciences, il faut bosser...) mais des charrettes entières
de jeunes au mieux illettrés et paresseux, aspirant aux deux tiers à devenir
fonctionnaires si l'on en croit les sondages, et au pire violents, qui croient
que tout leur est dû et que "le système" leur "doit" un emploi bien payé, pas
trop fatigant, et près de chez eux, un logement, la santé, la retraite à 60 ans
maximum, liste de droits "à" non exhaustive.
Le krach -assumé ou dissimulé par l'impression monétaire- des dettes
souveraines, que je juge absolument inévitable, et par la même la crise majeure
des états providence qui s'ensuivra, va ramener sur terre très durement tous
ceux qui ont cru à l'existence d'une corne d'abondance inépuisable. Mais il
n'est pas certain que de l'inévitable "bordel ambiant" qui en résultera naisse
une société permettant à nouveau de récompenser par la compétition sur un marché
libre l'esprit d'entreprise et la réussite, d'accumuler du capital productif, de
décourager les comportements purement spéculatifs et la dette, et de remettre
école et parents dans le droit chemin de la responsabilité pour éduquer
correctement nos enfants.
... Et celle de la servitude ?
Faute de poser le bon diagnostic et de laisser à tout bout de champ accuser le
grand méchant marché, nos politiciens couards, nos pseudo-intellectuels et nos
journalistes "engagés et citoyens" chercheront la fuite en avant dans la société
organisée sous l'égide des "élites qui savent mieux que nous" ce qui est bon
pour nous. Ces élites, sous couvert d'intérêt général, endosseront le costume du
père fouettard rassurant, et n'hésiteront pas à intensifier leur lutte contre
tous les choix que nous pourrions faire qui ne seraient pas les leurs, de
Grenelles en principes de précaution, de
renforcement des monopoles publics en nouveaux pouvoirs confiés aux
"régulateurs" tellement bienveillants et pertinents dans le passé. Dictatures
molles ou dures, comment le savoir, mais si nous poursuivons notre fuite dans la
dette et la confiance aveugle en "l'état sauveur", alors nous connaîtrons des
décennies de peine, de pauvreté et de douleur, alors que nous avons si longtemps
cru que notre condition ne pouvait que s'améliorer.
En conséquence, nos salaires réels et notre niveau de vie vont plonger, et dans
une à trois décennies, nous serons le tiers monde, à l'ouest du rideau de fer.
Outrageusement pessimiste, moi ? Non, juste témoin du refus des "élites"
intellectuelles et dirigeantes actuelles de de voir l'impasse dans laquelle
notre très anti-libéral "capitalisme cogéré" par les états et
les grandes puissances financières nous mène. Les nostalgiques de Marx verront
l'origine du problème dans le capitalisme, les libéraux dans la
cogestion. Pas sûr que le second point de vue l'emporte sur le premier,
et c'est bien cela qui, dans la noirceur actuelle des perspectives, est le moins
rassurant.
Voilà pourquoi, quand bien même le mur dressé devant eux semble bien difficile à
franchir, la flamme qui anime les trop rares personnes qui se battent encore
pour faire triompher la liberté, tant politique qu'économique, doit rester
allumée.