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Le président de la république a donné rendez-vous aux "partenaires sociaux"
le 15 février pour fixer la feuille de route d'une éventuelle
réforme des retraites. Il est vrai que rarement réforme n'aura paru aussi
urgente.
En effet, les déficits projetés par le conseil d'orientation des
retraites, venant s'ajouter à la dette publique, font courir un risque
à la fois très proche et particulièrement dramatique sur la capacité de la
France à faire face à ses engagements financiers. Réformer les retraites n'est
donc pas seulement une question technique, mais une question de survie.
Le problème
Rappelons les données du problème: notre régime de retraites court à la
faillite certaine, faute d'un rapport actifs/retraités défavorable et
de retraites trop "généreuses" par rapport aux cotisations qui rentrent (ce qui
ne veut pas dire qu'elles soient toutes généreuses dans l'absolu, loin s'en
faut). Il faut donc le réformer. Mais jusqu'ici, toute tentative de réforme met
la France dans la rue, ce qui oblige les gouvernements à s'en tenir a des
réformettes sans rapport avec les enjeux.
La perspective d'une réforme concertée entre "gouvernement" et "partenaires
sociaux" me fait craindre le pire, à savoir un compromis de façade gentillet
donnant à notre régime de retraite une dizaine d'années de répit, en admettant
que nous évitions une crise financière 2.0, ce que je ne crois
guère possible. Lesdits partenaires syndicaux, qui ne représentent plus que 8%
de la population avec une surpondération de corporations privilégiées
(fonctionnaires et salariés de droit privé d'entreprises publiques type SNCF),
auront à coeur de maintenir coûte que coûte l'essentiel des privilèges de leurs
adhérents, alors que le petit salarié du régime général ne pourra compter pour
le défendre que sur... le gouvernement et les députés, eux mêmes
hyper-privilégiés du régime actuel ! Je ne donne pas cher de ses intérêts dans
un tel contexte.
Le problème est qu'une réforme ambitieuse doit absolument être acceptée par
l'opinion pour avoir une chance d'être conduite. Voici donc, librement tirées de
mon "dossier retraites", les pistes que je suggère pour réussir
la réforme des retraites.
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Les conditions de la réussite de la réforme
1. De la pédagogie sans langue de bois et sans prendre les français pour des
benêts:
Il convient que le gouvernement mouille la chemise pour expliquer simplement les
enjeux, mais sans raccourci hâtif, et sans exclure a priori du débat une
solution en particulier. Il serait désastreux qu'une telle réforme soit limitée
à des discussions de salon entre gouvernements et syndicats.
Malgré l'urgence, une discussion en deux phases, un diagnostic à faire partager
puis l'élaboration d'une réforme complète, doivent faire l'objet d'une
explication quasi quotidienne de la part du gouvernement, et tous les moyens
actuels doivent être utilisés pour générer du feedback et répondre sans rien
cacher, travestir ou enjoliver, aux questions les plus fréquemment posées.
Je suis assez pessimiste, quand je vois comment aujourd'hui, le gouvernement
achète la paix sociale en adossant en catimini le régime spécial de certaines
entreprises publiques (EDF, RATP, SNCF) au régime général tout en maintenant les
avantages exorbitants dont ces salariés jouissent. Mais ce pessimisme ne doit
pas nous empêcher de proposer des voies de réforme plus respectueuses de la
majorité silencieuse de ceux qui se font plumer par le lobby des syndicats de
défense des privilèges de la noblesse d'état.
2. Pas une réformette paramétrique de plus:
Allonger la durée de cotisations de "n trimestres" ou porter l'âge de la
retraite à "X années" ne fait que repousser le temps de la "vraie réforme". En
ce sens, tant la "réforme Fillon" de 2003, présentée à tort comme un acte
politique majeur, que les ballons d'essai lancés par tel ou tel ministre, comme
la retraite à 67 ans, ne sont que des changements de paramètres qui ne
règleraient rien du problème structurel de nos retraites. C'est le paradigme
qu'il faut changer, pas les paramètres.
Nous avons besoin d'une réforme "big bang" des retraites, pas d'un nouveau
rafistolage conçu pour tenir 10 ans au mieux.
3. Ne pas se tromper de problème:
Inutile de crisper l'opinion sur la question de la retraite par capitalisation,
invendable dans le contexte de crise financière, et de manipulation de la valeur
de la monnaie et de l'épargne par des banques centrales devenues folles, alors
que le principe de répartition n'est pas le problème numéro un de nos retraites
aujourd'hui. Je sens quelques cheveux de lecteurs habitués se dresser sur leur
tête, mais c'est ainsi.
Le problème numéro un réside dans l'opposition entre, d'une part, les systèmes à
"prestations définies", ou l'on promet de servir "X%" du dernier
salaire plus de 40 ans à l'avance, ce qui est voué à l'échec, et les systèmes à
"cotisations définies", d'autre part, où l'on ne s'engage pas sur ce que le
système pourra produire dans X années, mais sur un pourcentage de cotisation qui
opère un bon compromis entre niveau de vie des personnes âgées et conservation
d'un revenu du travail motivant pour les actifs.
Un système à cotisations définies a un ENORME avantage sur la construction
actuelle: il ne peut pas se trouver en faillite, puisque seule la cotisation est
définie, le système ne pouvant redistribuer plus que ce qui est entré.
D'ailleurs, nombre de systèmes de retraites à prestations définies, qu'ils
soient par répartition ou par capitalisation, sont en difficulté, voire ont
effectivement fait faillite. Ainsi, les systèmes de retraite par capitalisation
mais à prestations définies adoptés par les constructeurs automobiles américains
dans les années 60 sont ils la source majeure de la non compétitivité de ces
mêmes constructeurs aujourd'hui: obligé de les renflouer parce que les
projections à 40 ans faites à l'époque se sont, bien évidemment, révélées
erronées, les big three se retrouvent financièrement à genoux et contraints de
réclamer l'assistance du contribuable...
Prétendre définir des décennies à l'avance les conditions de calcul d'une
retraite est le plus sûr chemin vers la banqueroute. Quel que soit la solution
retenue, la transition d'un système à prestations définies vers un autre à
cotisations définies doit être la priorité numéro un de la réforme.
Ajoutons qu'une transition de la répartition à la capitalisation coûte cher,
car, de quelque façon que l'on prenne le problème, il faut payer les retraites
deux fois durant la période de transition. Or, contrairement aux rares pays qui
ont réussi une transition de la répartition à la capitalisation, la France
d'aujourd'hui cumule les handicaps:
• Le différentiel massif entre âge moyen du départ en retraite actuel et
espérance de vie rend le coût du financement de la transition insupportable,
supérieur à 10% du PIB annuel, avec des projections à la hausse.
• Une pression fiscale élevée rend difficile le financement de la transition par
l'impôt
• Un endettement excessif rend impossible le financement de la transition par
l'emprunt
• Il n'y a pas assez d'actifs comptables vendables par l'état pour financer la
transition par un plan de privatisations.
En outre, la perspective possible d'un retour à des inflations fortes du fait
des politiques de monétisation rampante des dettes publiques stratosphériques
accumulées par des états irresponsables dans tous les sens du terme ne rend pas
très sécurisante une formule de retraite basée sur de l'épargne longue. Tous
ceux qui ont connu la Russie des années 90, où toutes les économies libellées en
roubles, accumulées on ne sait comment par le peuple en cachette des
gouvernements communistes ont été balayées en dix années d'inflation forte lors
d'une transition vers l'économie de marché dont nous dirons par euphémisme
qu'elle n'a pas été maîtrisée, comprendront de quoi je veux parler. Or notre
système monétaire actuel ne peut en aucun cas prétendre nous immuniser contre
une telle résurgence de l'hyper-inflation.
Les économistes Georges Lane et Jacques Garello, grands défenseurs d'une
transition vers la capitalisation, ont estimé que cette transition pourrait être
financée sur des périodes comprises entre 25 et 71 ans, selon que l'on soit plus
ou moins volontariste dans la réforme. Mais la dégradation de nos finances
publiques ne nous donne pas un tel délai de grâce pour nous éviter la faillite:
une étape intermédiaire, impliquant le passage à un système par répartition
toujours, mais à cotisations définies, dans les deux ans, est absolument
indispensable pour que l'état français puisse espérer faire face aux obligations
qui seront les siennes dans les toutes prochaines années.
4. En finir avec les passe droits, pour une retraite universelle :
Le régime proposé devra en finir avec les iniquités actuelles: on ne peut les
citer toutes tant elles sont nombreuses, mais relevons :
• Le calcul avantageux pour certaines corporations, au détriment des retraités
du régime général,
• Les systèmes de décote/surcote qui sont désavantageux pour ceux qui s'écartent
de la norme prévue par le législateur,
• La mauvaise prise en compte des années de grossesse ou d'aide "gratuite" au
mari commerçant pour les femmes dans certaines branches professionnelles,
• Etc...
Même si quelques unes de ces iniquités ont été récemment partiellement corrigées
par la réforme Fillon, elles restent trop nombreuses pour pouvoir être abolies
dans le cadre de la conservation du régime actuel. Les ouvrages de l'économiste
Jacques Bichot sont à lire absolument pour comprendre toutes les perversions du
système actuel.
Il faut une retraite à mode de calcul et conditions d'accès unique pour tous, de
l'ouvrier au président de la république en passant par l'agriculteur, le
fonctionnaire, le cadre supérieur et le député. Certes, les fonctionnaires et
les politiciens commenceront par y perdre beaucoup, mais une fois le premier
ajustement douloureux fait, tout le monde avancera ensemble. Les salariés du
régime général, et notamment les non-cadres, ne doivent pas une fois de plus
être les cocus du système.
5. En finir avec un "âge de la retraite" défini par l'état
Lorsque la Suède a réformé ses retraites dans les années 90, à partir d'un
système dont l'état était aussi déplorable que chez nous, les suédois ont
abandonné l'âge de la retraite légal pour une retraite à la carte avec âge du
départ libre entre 61 et 71 ans, calculée en fonction des "points" accumulés par
les cotisations des salariés au cours de leur carrière, et de l'âge de l'entrée
dans la retraite. Ainsi, deux personnes ayant cotisé le même nombre de points ne
touchent pas la même somme si l'une liquide sa pension à 60 ans et l'autre à 65,
car celle qui liquide sa pension à 65 ans touchera sa retraite moins longtemps :
en contrepartie, elle touchera plus. C'est ce que les assureurs appellent un
calcul "actuariel".
Les suédois ont donc choisi, juste après leur quasi faillite de 1993, un système
de retraite à la carte à cotisations définies (environ 15% du coût total
employeur), avec calcul actuariel. Dès sa promulgation, les suédois ont
massivement choisi d'augmenter leur durée d'activité pour améliorer leur
pension. L'effet économique en a été particulièrement bénéfique, puisque
rapidement, la pension moyenne a augmenté plus vite que l'inflation, avec en
outre une incidence collatérale positive: la suppression d'un "âge de référence
unique" pour la retraite a débloqué les freins psychologiques à l'embauche des
55-63 ans par les entreprises et a permis une baisse importante du chômage des
séniors.
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La réponse proposée : une retraite "à points" et à "cotisations définies"
Il est possible de répondre à toutes les questions posées ci avant. Un
économiste français propose depuis plusieurs années de transposer, en
l'améliorant encore, le système nordique réformé en France, par le biais d'une
retraite "à points", "à cotisations définies", "à régime unique universel", et
"à âge de retraite libre, avec pondération de la retraite en fonction de l'âge
de départ".
Il s'agit de Jacques Bichot, auteur de plusieurs ouvrages sur la question. Les
avantages de sa proposition sur le système actuel sont innombrables:
• Système financièrement insubmersible, redonnant confiance dans la solidité de
la signature publique,
• Système juste puisque la base de calcul et les conditions d'accès sont
identiques pour tous,
• Système assez prévisible, avec des formules de calcul de la retraite
"actuarielles" qui font qu'une personne qui choisit de partir tard n'est pas
pénalisée par celles qui choisissent de partir tôt.
Seul problème: la proposition de Jacques Bichot, pour intéressante qu'elle soit,
n'a reçu jusqu'ici que le soutien public de... Alain Madelin. Et dès que l'on
évoque l'une des rares figures du libéralisme en France, les visages se ferment,
et le projet est balayé sans examen d'un revers de manche, au nom du fantasme
anti-libéral nourri de l'ignorance et des préjugés. En politique, se déclarer
viscéralement anti-libéral dispense, semble-t-il, d'être intelligent.
Faute d'ouverture d'esprit, la proposition de Jacques Bichot n'a reçu que peu
d'échos médiatiques, et de soutiens politiques.
Même certains libéraux parmi les plus engagés l'ont dénigrée au motif qu'il
dédaignait la retraite par capitalisation -- ce qui est faux, mais M. Bichot ne
considère la capitalisation que comme une possibilité de retraite
complémentaire: pour les raisons que j'ai exposées, et quelques autres, il n'est
pas envisageable d'instaurer un basculement rapide vers une retraite par
capitalisation intégrale. M. Bichot, et je partage son avis, estime qu'en
contrepartie, la possibilité doit être offerte aux actifs, en franchise
d'impôts, de cotiser à des retraites complémentaires qui elles seront basées sur
la capitalisation. Ainsi, il sera possible aux individus les plus prévoyants
d'améliorer leur pension une fois le temps de la liquidation venue, ou de partir
plus tôt en retraite avec plus de moyens pour vivre.
Réforme complémentaire quasi-indispensable: le "salaire complet"
Les conservatismes susceptibles de s'opposer à de telles réformes pour sauver le
système actuel auront beau jeu de proposer de faux remèdes, parce qu'il les
avantage: "yaka" faire payer les riches, "yaka" augmenter les cotisations
patronales, "yaka" instaurer la TVA sociale...
Comme l'ont expliqué les économistes peu suspects d'ultra libéralisme débridé
Cahuc et Zylberberg, "faire payer les riches" ne paie pas, parce que les
"riches" sont insuffisamment nombreux pour financer tous les trous de notre
protection sociale, et qu'à compter d'un certain niveau de ponction, les riches
tendent à devenir à la fois moins riches et moins nombreux, du moins chez nous,
donc rapportent moins d'argent au trésor public. J'ai déjà évoqué comment
l'ISF
coûtait chaque année au trésor de 12 à 25 milliards en recettes non encaissées
faute de richesse produite, alors que son produit fiscal était d'environ 3
Milliards d'Euros avant bouclier fiscal.
Pour ce qui est de la TVA sociale, augmenter les cotisations en inventant de
nouvelles bases taxables ad infinitum tout en maintenant les rigidités du
système actuel ne fera qu'appauvrir d'une façon ou d'une autre, la société
active, ce qui dans un second temps, se fera aussi au détriment des inactifs
qu'une telle "solution" serait censée favoriser.
Enfin, l'augmentation des "cotisations patronales" se fait in fine contre les
salariés eux mêmes, puisqu'elle augmente ce que l'employeur verse POUR
s'attacher les services d'un salarié sans que la part qui revient AU salarié
n'augmente. La distinction entre cotisations salariales et patronales n'est
qu'une fiction.
La retraite est en quelque sorte un salaire différé, une part de rémunération
que le salarié accepte de ne pas toucher immédiatement pour avoir un revenu une
fois l'âge de la retraite arrivé. Il est donc parfaitement honnête et lisible
d'affirmer que la retraite du salarié doit être calculée à partir de l'effort
qu'il fait en tant qu'actif pour préparer cette retraite.
Afin que cet effort soit parfaitement établi, il convient donc d'abolir la
distinction artificielle entre cotisations patronales et salariales, et
d'appeler "salaire complet" l'ensemble du "coût total employeur" figurant sur
les feuilles de paie, et de déterminer une fois pour toutes le pourcentage
prélevé sur ce salaire complet pour financer les retraites, ce que l'on appelle
une "cotisation définie". Au delà des pensions, une telle réforme améliorerait
considérablement la lisibilité du coût de nos différents pans de protection
sociale, et permettrait d'engager un débat sur de meilleures bases cognitives
pour les réformes à suivre sur le système de santé, de la fiscalité, etc.
Conclusion
La proposition de M. Bichot d'un régime général universel de retraite à points à
cotisations définies, en ce sens qu'elle réinstaure l'égalité de traitement
entre cotisants, mais qu'elle permet d'individualiser le choix du moment du
départ, réalise le meilleur compromis entre l'aspiration sociale d'une
couverture vieillesse garantie, et celle, plus libérale, d'un arbitrage laissé
aux individus quant au rapport "âge de départ/montant de la retraite".
Le gouvernement et les partenaires sociaux auraient tort de ne pas la considérer
au nom de leur grand fantasme anti-libéral collectif. Et les libéraux auraient
tort de la rejeter au nom du dogme totalement illusoire de la capitalisation
intégrale.