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Comme je l’ai déjà écrit, la bulle immobilière qui explose aux USA n’a touché qu’une dizaine d’états sur 50. Quand bien même les plus peuplés, à la
notable exception du Texas (n°2), y figurent tous, cela laisse plus de 60% de la
population dans des zones qui n’ont pas connu l’explosion immobilière qui fait
la une de tous les journaux depuis fin 2008.
La raison de cette différence de comportement entre différents marchés soumis
aux mêmes conditions délirante de la gestion du crédit aux USA, est bien connue
des lecteurs réguliers de ce blog, et a été maintes fois pointée du doigt par
moult économistes comme
Ed Glaeser, Paul Krugman, Wendell Cox :
dans les villes ou la réglementation du sol n’empêche pas de trouver facilement
du terrain pour construire les maisons neuves que le marché demande, « une bulle
immobilière ne peut même pas démarrer », selon les termes même de Krugman.
La plupart des analystes de la crise s’arrêtent aux questions financières
sous jacentes, fussent ils remarquables dans ce domaine. Arnold Kling,
Peter Schiff, Stan Leibovitz, et quelques autres, auront indiscutablement
contribué à populariser les graves dysfonctionnements du système monétaire et du
crédit engendrés par l’interventionnisme mal à propos du gouvernement fédéral
dans ces domaines.
Mais tous ignorent le facteur immobilier, que seuls Glaeser, Thomas Sowell ou
Wendell Cox ont largement étudié. La question se pose de savoir si les questions
liées à la réglementation du sol ont joué un rôle majeur, secondaire ou mineur
dans la crise.
Essayons d’imaginer ce qu’aurait été la crise si les USA avaient sur tout
leur territoire eu un droit des sols du même type que ceux en vigueur à Dallas
ou Houston, toutes les autres conditions (Gestion irresponsable de Fannie Mae et Freddie Mac, réglementation bancaire
inadaptée, Alan Greenspan peu inspiré)
étant restées identiques à ce qu’elles ont été.
Impact sur les prix
Malgré une demande de logement stratosphérique, les prix des logements à
Houston, Dallas, Atlanta, Omaha, Kansas City, Austin, et quelques autres, n’ont
augmenté "que" de 10% plus vite que l’inflation entre 1999 et 2006. Les trois
premières agglomérations citées sont des mégalopoles de plus de 6 millions
d’habitants, qui ont toutes vues leur population presque doubler en 25 ans, et
dont le taux de croissance démographique a été bien plus rapide que celui de
villes qui ont connu une forte bulle comme LA ou San Francisco. Il est donc
impossible d’incriminer une moindre demande, une moindre attractivité ou un
moindre dynamisme économique comme facteur décisif de non-formation de la bulle.
Ces cités ont été classées par la très réputée institution (de centre Gauche)
Brookings comme disposant d’un droit du sol « réactif», c'est-à-dire fournissant
en permanence un excès de foncier disponible à la construction aux développeurs.
Au contraire, les villes bullaires disposent quasiment toutes soit d’un droit du
sol "prescriptif", c'est-à-dire stipulant par défaut qu’un terrain est non
constructible jusqu’à ce qu’il obtienne l’autorisation. Deux exceptions, Las
Vegas et Phoenix, où le droit du sol est réactif sur le papier, mais où le sol
développable autour des cœurs de ville sont essentiellement la propriété de
l’état (local), lesquels ont pratiqué de la rétention foncière
("land banking") pour maximiser leurs revenus à partir de 2004, lors de
ces dernières années de folie spéculative. Ces villes maintiennent donc
artificiellement la disponibilité du sol en dessous de sa demande potentielle.
Dans les villes « non bullaires », l’augmentation moyenne des prix a été de 30%
en 7 ans. Dans les villes « bullaires », la moyenne a été de 130%, avec des
pointes à 180% en Californie.
Si toute l’Amérique avait disposé d’un droit du sol réactif, il est probable
que le prix des marchés immobiliers serait resté autour de sa norme historique,
autour de 2.5 à 3 fois le revenu médian des ménages, avec des pointes à 4-5 fois
pour quelques emplacements « premium » particulièrement recherchés (Central
Park, Laguna Beach…) forcément limités géographiquement, et sans impact
statistique.
Impact qu’aurait eu la stabilité des prix sur les comportements des agents
économiques : du point de vue du système financier
Il est important de comprendre que si 2/3 des maisons américaines étaient
sous le coup d’un emprunt hypothécaire (soit environ 50 millions de ménages sur
75), ce n’est pas parce que les deux tiers des ménages ont changé de maison dans
les 10 ou 20 dernières années, mais parce qu’une part non négligeable de ces
ménages ont pratiqué pendant les années « bulle » le « borrow against equity ».
Autrement dit, des ménages ayant totalement ou partiellement payé leur maison
(parfois depuis très longtemps) ont ré-emprunté sur hypothèque à hauteur de la
valeur estimée de la maison, pour financer qui une entreprise (ce qui est
normal, l’emprunt hypothécaire sert avant tout à ça), qui de la consommation
immédiate d’écrans plats et de SUV.
Les banques ont massivement adhéré à ces pratiques de refinancement fort
risquées, d’une part parce que les réglementations et le système monétaire qui
encadre le crédit les poussait au crime (je n’y reviens pas), mais aussi
parce que la croyance était en train de s’établir selon laquelle les cours de
l’immobilier ne pouvaient pas baisser parce que si cela devait arriver, la banque centrale agirait pour faire baisser les taux à tout prix, afin d’éviter tout dégonflement de la
bulle en cours de formation (Greenspan lui-même avait déclaré dès 2004 que la
FED agirait ainsi en cas de risque de baisse des cours). Personne ne
semblait se préoccuper du fait que bizarrement, les prix immobiliers de la
Middle America étaient stables. L’explication la plus courante de ce phénomène,
pour ceux qui prenaient la peine de le remarquer, tenait simplement de « l’effet
retard » : la bulle, le Texas y viendrait, comme tout le monde.
L’on connaît le résultat : des millions de prêts ont été accordés en fonction
non pas de la capacité de remboursement réelle des emprunteurs, mais en fonction
de la valeur supposée de revente d’un bien saisi en cas de faillite de
l’emprunteur. Nous en esquisserons l’impact macro-économique général plus tard.
Bornons nous pour l’instant à noter que l’encours des prêts hypothécaires est
passé de 5000 milliards à 12 000 milliards de dollars entre 1999 et 2007. 85% de
l’augmentation de cet encours est localisée sur les zones « bullaires ».
Si ces zones avaient connu la même augmentation de prix qu’à Atlanta,
l’encours de ces mêmes prêts, à supposer qu’ils aient été contractés, aurait été
inférieur de 4 000 milliards de dollars
(estimation de Wendell Cox corroborée par mes propres calculs). De surcroît, ce
sont les 4000 milliards les plus risqués marginalement qui n'auraient pas été
inscrits dans les bilans des banques et autres établissements.
Pour l'instant, ce sont un peu plus de 1000 milliards de dépréciations
d'actifs qui ont été passées par les banques américaines. Les estimations des
dépréciations restant à inscrire sont variables, mais Nouriel Roubini, l'un des
rares à avoir prévu l'ampleur de la crise avant qu'elle n'arrive, estimait le
total des dépréciations à enregistrer aux alentours de 2000 milliards.
Disons le tout de suite, l'immense majorité de ces dépréciations n'aurait pas
eu à être inscrites au compte des banques, de Fannie Mae ou de Freddie Mac si le
droit du sol avait empêché la formation de la bulle.
Toutefois, le changement de comportement des prix du marché aurait modifié
d'autres paramètres, positivement sans doute, négativement parfois. Il convient
de passer en revue ces différents points. Et tout d'abord, que ce serait-il
passé dans les bureaux du banquier ou du « broker » spécialiste du « placement »
(comment ça, « refourgage » ? ) de prêts aux John Doe de passage.
Point de vue des ménages ?
Quelle est la proportion de ménages ayant emprunté pour s’offrir une nouvelle
maison au dessus de leurs moyens réels, et quelle est celle des ménages ayant
emprunté pour consommer plus ? C'est assez difficile à dire, d'autant plus que
certains ménages ayant emprunté d'abord pour payer leur maison ont « refinancé »
leur prêt une fois celle ci partiellement payée, par « borrowing against
equity », pour s'offrir, avec la hausse de valeur imputée à la maison, un peu de
consommation supplémentaire.
Pourquoi les ménages ont-ils si massivement sauté dans le train du crédit
facile ? Pas uniquement à cause des taux. Mais aussi parce que pour conclure le
deal, les banquiers étaient prêts à accepter que la défaillance éventuelle de
l'emprunteur se paie par une procédure de « foreclosure », c'est à dire saisie
de la maison par la banque pour solde de tout compte. Cette clause contractuelle
(et semble-t-il obligatoire dans certains états de l'union, je n'ai pas trouvé
d'indication précise sur cette question) est inenvisageable dans la plupart des
pays d'Europe, où la saisie du bien hypothéqué dont la revente ne couvrirait pas
la totalité du capital restant dû n'effacerait pas le solde de la dette.
Par conséquent, les brokers, dont l'intérêt était de toucher une commission,
à charge pour la banque émettrice et Fannie Mae ou Freddie Mac de gérer le
risque de long terme, ont vendu aux personnes tièdes pour prendre de tels
risques qu'avec de telles évolutions des prix de l'immobilier, il leur
suffirait, en cas de difficulté, de laisser la clé au banquier, et de relouer
dans un logement un peu plus petit.
Imaginons maintenant qu'aucun broker n'ait pu faire rêver les pigeons avec
les courbes de Case Schiller, parce que celles ci auraient été quasi plates.
D'une part, les banques auraient été beaucoup plus regardantes sur la
solidité des dossiers des emprunteurs, car elles n'auraient pas cru pouvoir
compter sur une plus value facile et élevée pour combler les pertes imputables à
1%-3% d'emprunteurs un peu "courts", la proportion habituelle hors période de
crise. D'autre part, les emprunteurs eux mêmes n'auraient pas pris autant de
risques, puisque le potentiel de hausse de leur maison aurait été bien moindre.
On peut en outre estimer que cette moindre prise de risque aurait concerné la
pratique du « borrowing against equity » en vue de consommations
immédiates.
En contrepartie, les prix du logement restant bas auraient sans doute attiré,
pour des montants plus faibles, une partie des ménages modestes, qui, malgré les
incitations nombreuses du gouvernement (prêts FHA bonifiés, etc...), n'avaient
pas franchi le pas de l'achat, rebutés par les prix hors de toute raison
atteints par les logements.
Auraient ils pour autant emprunté à des conditions exagérément risquées ?
Peut-être. Notre hypothèse de départ suggère que Fannie et Freddie auraient
cherché à vendre du prêt aux plus modestes à tour de bras, mais pour des
montants malgré tout plus raisonnables. Et surtout, en cas de foreclosure, la
banque n'aurait pas eu à supporter un marché aussi volatile à la baisse, ce qui
aurait limité ses pertes.
Par conséquent, un droit des sols réactif, c'est à dire permettant de
fabriquer du terrain constructible à la demande, aurait fortement diminué les
emprunts à haut risque de maisons surcotées et aurait sans doute augmenté
l'exposition au risque sur des emprunts de petits montants avec un risque
de perte unitaire assez faible. Nul doute que l'éclatement de la bulle de
crédit aurait été bien moins spectaculaire, et serait sans doute resté,
médiatiquement parlant, confiné aux colonnes techniques de la presse économique.
Effets macro-économiques
Tant la consommation de logements que la consommation de biens de
consommation a donc été artificiellement dopée par des crédits, c'est à dire de
la création monétaire, gagée non pas sur une estimation saine de la capacité de
l'emprunteur à participer à une chaîne de création de valeur de qualité
suffisante pour rembourser le prêt via ses revenus, mais sur une estimation
malsaine de valorisations totalement artificielles de biens immobiliers.
Autrement dit, plusieurs milliers de milliards de dollars ont été mis en
circulation sans création de valeur réelle. Lorsque les échéances ne sont pas
respectées, les banques, lorsqu'elles ne font pas faillite, observent donc une
chute brutale de leur capacité à réemprunter, puisque les défaillances qu'elles
inscrivent sur leurs comptes réduisent significativement leurs fonds propres.
L'économie réelle est mue par une certaine forme de loi de la gravité: toute
monnaie de crédit artificiellement créée augmentera provisoirement la
sensation de richesse mais tôt ou tard, le nuage de faux dollars retombera au
sol pour s'écraser comme un excrément de pigeons, sauf, bien sûr, à ce que
l'état, en nationalisant de nombreuses pertes, puis en faisant racheter ces
dettes par la FED, ne pérennise la sur-création monétaire ainsi engendrée sans
contrepartie en création de valeur, engendrant un retour de l'inflation.
Sans bulle immobilière, les dettes immobilières auraient été moins élevées,
et auraient été mieux assises sur la capacité de la chaîne de création de valeur
des emprunteurs à leur assurer le revenu nécessaire pour payer leurs traites. La
consommation de blackberries et de pick ups GMC eut été sûrement un peu moins
élevée, mais du même coup, les ressources nécessaires à leur fabrication
n'auraient pas connu, ou alors dans une moindre mesure, les phénomènes bullaires
que l'on a observé un peu partout dans le monde, au plus grand dam des pays les
moins riches.
Vernon Smith, a estimé que le PIB américain avait été
surestimé de plusieurs points de pourcentage durant les années « bulle ». Sans
l'un des deux piliers majeurs de la formation de cette bulle, le PIB réel aurait
été réduit de la fausse création de valeur engendrée par la hausse artificielle
des emprunts adossés à l'immobilier fou. Mais en contrepartie, bien des
ressources affectées aux industries du bâtiment, à la construction de maisons
inutilement luxueuses, ou à l'industrie du crédit, se seraient orientées vers
d'autres secteurs.
Est-ce à dire que cette réorientation des ressources aurait favorisé une
création de richesse supplémentaire plus saine ? Cela reste discutable.
Quelle bulle en dehors de l'immobilier ?
Rappelons nos hypothèses de départ : un système de crédit aussi fou qu'il
l'était mais un droit des sols rendant la formation de bulles sinon impossible,
du moins totalement marginale.
Si le prix des maisons n'avait pas augmenté, alors notre vieille connaissance
Alan Greenspan n'aurait pas eu de signal en provenance de l'immobilier, fin
2004, lui indiquant de remonter les taux de la FED. Ceux ci, sauf à ce
qu'une autre bulle se soit formée aussi rapidement, seraient donc restés
artificiellement bas pour "un certain temps supplémentaire".
De fait, le potentiel de création monétaire artificielle par le crédit serait
resté intact. Aurait-on vu le Dow Jones atteindre de nouveaux records façon
1929, soutenu par encore plus de LBO's hyper leveragés ? Aurait on vu une
nouvelle bulle des Dotcoms, des entreprises « vertes », des BRIC, ou que sais-je
encore ?
Sans aucun doute de telles bulles se seraient formées. De même, aux crédits
hypothécaires à la consommation en excès auraient sans doute été partiellement
substitués des crédits à la consommation plus classiques.
Toutefois, ce n'est pas parce que vous disposez d'un découvert autorisé à la
banque que vous vous y vautrez. Il faut pour cela que l'occasion de dépense soit
« trop belle », et la perception du risque faible. Sans la fausse assurance
constituée par un patrimoine immobilier qui se renchérissait pendant que ses
occupants dormaient, l'appétit pour l'hyper-endettement eut été bien moindre. La
dette privée des ménages américains (pointe à 160% du PIB au sommet de la bulle)
se serait donc tout de même écartée de ses fondamentaux historiques, parce que
l'argent facile doit nécessairement se positionner quelque part. Il en aurait
été de même pour la dette totale (ménages+ entreprises+pouvoirs publics), qui se
serait écartée de sa moyenne historique de 200% du PIB, mais n'aurait sans doute
pas explosé à 360%. L'effet de levier aurait été plus supportable pour la
plupart des agents économiques incriminés, à commencer par les ménages.
L'économie américaine aurait donc connu sa bulle de crédit, parce que la
politique de taux pratiquée par Alan Greenspan aurait été sans doute laxiste un
peu plus longtemps qu'elle ne l'a été entre fin 2001 et 2004, mais cette bulle
aurait sans doute été moins conséquente, et aurait fait bien moins de dommages
collatéraux chez tous les américains ordinaires à qui ces questions financières
sont étrangères.
Il n'en reste pas moins que même si cette bulle ci avait été moins sévère, la
propension de la FED à proposer un taux favorisant le dérapage de la masse
monétaire aurait créé à terme une autre bulle, puis une autre, puis une autre...
Cela n'aurait il pas conduit à la chute du système, tôt ou tard ? Je ne lis pas
dans le marc de café, mais il est évident que la répétion de ces phénomènes de
« boom and bust » à chaque fois un peu plus spectaculaires aurait a terme été
insoutenable.
Conclusion
Le droit des sols n'a pas en lui même créé la crise, le catalyseur en a été
la politique de crédit aberrante du gouvernement américain (Fannie,
Freddie,...), un droit mondial de l'activité bancaire poussant vers trop de
dettes et pas assez de fonds propres, et la politique monétaire d'Alan Greenspan
a été le coup de marteau fatal empêchant une valve de sécurité essentielle,
celle des taux d'intérêts de marché, de jouer son rôle de confinement du risque
dans des proportions acceptables.
Mais le droit du sol malthusien des états tels que la Floride ou la
Californie, et quelques autres, a indiscutablement été l'élément
amplificateur majeur qui a permis à la bulle de crédit de prendre des
proportions qui garantissaient que son explosion produirait des dégats
considérables. Sans cela, cette bulle n'aurait pas pu prendre les mêmes
proportions.
Une économie « bullaire » est une économie qui se met inutilement en danger à
chaque itération des processus de formation de bulle. Le bon sens commande que
tous les facteurs législatifs de formation de ces bulles soient identifiés et
expurgés de nos arsenaux institutionnels et législatifs. Cela est valable pour
la France également, où la bulle a chassé du logement décent des dizaines de
milliers de familles.
L'élimination du principal facteur d'expansion des bulles immobilières
n'effacerait pas les risques liés aux politiques favorisant l'excès de dette,
mais elles en limiteraient grandement le potentiel destructeur. Il est donc
urgent d'en finir avec les droits du sol malthusiens qui, non contents de violer
les droits de propriété, créent des désordres économiques et sociaux majeurs.
Mais quand donc des gouvernements seront ils assez matures pour entendre un
tel message ?