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"Too big To Fail" : la plaie de l’économie américaine

Par Vincent Benard;

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Le 4 mars a eu lieu une séance d'interviews particulièrement intéressante au Sénat américain, sous la présidence du Sénateur Kaufman, consacrée aux effets du sauvetage des grandes banques US lors de la grande panique de 2008. Cette séance a permis d'exposer tout ce qui ne va pas dans le système financier américain, et qui n'a pas été corrigé depuis la crise malgré les injonctions et nouvelles lois votées à grand renfort de publicité.

Les personnes interviewées par T. Kaufman étaient entre autres, Joseph Stiglitz, Prix Nobel 2001, dont je n'apprécie guère les préceptes macro-économiques mais dont la pertinence en matière de rapport entre état de droit et efficacité économique est avérée, Simon Johnson, ancien économiste en chef du FMI, également marqué à Gauche, Luigi Zingales, souvent cité ici, de 'université de Chicago, auteur de "Sauvez le capitalisme des capitalistes", et Allan Meltzer, de l'université de Carnegie Mellon, ainsi que quelques représentants d'organismes publics.

Je vous livre un très court résumé de l'essentiel des propos de ces quatre experts de haut niveau extérieurs à l'administration. Je puis avoir (en toute immodestie !) un désaccord de détail sur tel ou tel point, mais dans l'ensemble, cela rejoint toutes les analyses que j'ai pu faire lors de mes recherches sur le Foreclosure Gate.

----- (début du résumé) -----

Le Plan TARP n'a pas permis de régler les problèmes du système bancaire. Simplement, au lieu d'avoir 2 GSE (entreprises privées avec soutien d'état), Fannie Mae et Freddie Mac, il y en a 6 de plus, Bank of America, Wells, JPM, Citi, Goldman et Morgan Stanley. (Nd VB:ils oublient AIG ?) qui utilisent leur position de Too Big To Fail, "TBTF" pour accroitre leurs profits à court terme sans la moindre considération pour leurs résultats de long terme.

La garantie aujourd'hui explicite de l'état fédéral et de la FED, matérialisée par le rachat de 1,2 trillions d'actifs "toxiques" par la FED, leur permet d'emprunter à environ 0,5 points de base de moins que les autres banques qui ne bénéficient pas du même soutien. Plus encore, ces rachats d'actifs toxiques ont permis à ces Big 6 d'augmenter leur valeur de marché de 130 milliards de dollars dont 40 constituent une subvention directe jamais remboursée, ni remboursable, supportée par le contribuable.

Le résultat est que ces banques peuvent en toute quiétude investir dans des placements risqués à court terme, puisque l'argent nécessaire pour ce faire leur coûte moins que leurs concurrentes et qu'en cas de problème, la FED est là. L'économie réelle, celle des petites entreprises, manque de financement. Les banques qui ne sont pas dans cette situation n'ont qu'une seule envie : devenir à leur tour "too big to fail". Le plan TARP et les rachats de produits toxiques par la FED constituent de ce fait le plus grand programme "d'état providence pour les grandes corporations" de l'histoire humaine.

Il est évident aujourd'hui que, comme quelques rares personnes l'ont proposé, il fallait agir autrement et laisser les banques défaillantes faire faillite, en forçant les détenteurs de créances à manger une partie de leur droit de tirage sur les banques faillies, par des échanges de dettes contre actions (debt to equity swaps). Ainsi, l'on n'aurait pas socialisé les pertes des TBTF.

Cela n'a pas été fait. Résultat, les bilans de ces banques ne sont pas assainis. Les profits annoncés par les banques ne proviennent pas de flux de cash réels mais, en grande partie, de changements faits par les banques dans l'évaluation de leurs pertes. Ce sont de simples artifices comptables.

Résultat, les Bonus que les dirigeants de ces banques vont se distribuer constituent un véritable vol des actionnaires. Ils vont manquer aux fonds propres de ces établissements si de nouveaux soubresauts financiers se produisent. Aujourd'hui, les banquiers font un lobbying d'enfer pour faire croire que si l'on augmente leurs niveaux de fonds propres, elles ne pourront pas financer l'économie. C'est faux. Simplement, les taux d'intérêts demandés aux emprunteurs seront plus représentatifs de la réalité économique, et les banques, moins léveragées, rémunèreront moins leurs fonds propres et devront adopter de ce fait un profil de risque de portefeuille moins risqué.

Déjà, la banque centrale anglaise ou suisse imposent ou envisagent d'imposer à leurs banques de nouveaux taux de fonds propres bien plus élevés qu'avant (19% pour la suisse). Quoique l'on fasse, une condition nécessaire à la rémission du système financier passe par plus de fonds propres. Pas des pseudo-fonds propres genre dette subordonnée et autres trucs comptables, du vrai capital. Or, les sauvetages de type TARP visant à sauver les flux d'intérêts versés aux créanciers inciteraient plutôt les investisseurs à apporter leur ressource sous forme de prêts plutôt que de capital.

Enfin, il faut noter que les programmes visant à aider à sortir les familles en difficulté de leur sur-endettement ont été de graves échecs dispendieux, une fois encore à cause des nombreux conflits d'intérêts que ces banques ont, notamment en portant des prêts de "seconde hypothèque" dans leur bilan. Elles feront tout pour retarder le moment d'enregistrer les inévitables pertes qui s'annoncent, si possible après une ou deux distributions de bonus...

En Résumé, le plan Tarp a failli selon tous ses objectifs : chômage, stabilité financière... Pire, il contribue encore à rendre l'économie réelle plus fragile, et conduit encore et toujours les grandes entreprises financières à opérer des choix stratégiques qui vont dans la mauvaise direction.


----- (fin du résumé) -----

Commentaire personnel : Je ne puis qu'abonder dans le sens des témoins. Juste deux remarques : visiblement, aucun d'eux ne parle (sauf paragraphe qui m'aurait échappé) du problème de la distorsion fiscale entre fonds propres et dette, largement documentée ici et là par mes soins. En clair, le fait que les intérêts versés aux créanciers soient déductibles des bases taxables de l'impôt sur les sociétés et pas les dividendes aux actionnaires crée une énorme incitation pour les banques (et les autres entreprises) à opérer selon des modèles très léveragés, où la dette domine sur les fonds propres.

Tant que cette distorsion subsistera, nous serons contraints d'imposer aux banques des taux de capitaux propres minimaux. Mais qu'elle saute, et que l'esprit du droit de la finance soit recentré sur l'exigence de transparence et d'honnêteté au sens le plus basique du terme, et alors il n'y aura plus besoin de dire aux banques quel est "le bon" niveau de fonds propres, le marché arbitrera entre les différents niveaux de rapport entre le risque de portefeuille (volatilité des actifs) et le niveau de couverture par les fonds propres.

Enfin, il faut noter que les représentants de l'administration interviewés ont défendu le plan TARP, et sont en désaccord avec les quatre intervenants extérieurs sur ce point.

Vincent Benard

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