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Dans les mines de chrome d'Albanie, les gueules noires ont un "gros problème"


Actualité publiée le 11/11/20 09:18

Des mineurs dans une galerie à Bulqizë (Albanie) le 23 septembre 2020 (AFP/Gent SHKULLAKU)

"Quand la Chine et l'Amérique ont un problème, les mineurs de Bulqizë ont un plus gros problème": en Albanie, où des dizaines de galeries de chrome ont fermé, la pandémie menace d'achever une industrie déjà victime de la morosité économique mondiale.

Au bord de l'Adriatique, sur le port de Dürres, Henri Kurti contemple les montagnes de minerai de chrome qui s'accumulent à perte de vue sous le ciel bleu éclatant de l'automne, attendant désespérément de trouver preneur.

Le secteur albanais du chrome est entièrement dépendant des exportations, si bien que le destin des hommes et des femmes qu'il fait vivre est déterminé par les aléas des marchés et des cours mondiaux.

C'est le cas des 40.000 habitants de la région minière de Bulqizë, l'une des plus pauvres du petit pays des Balkans, où les gueules noires sont depuis quelques mois bien moins nombreuses à pousser les chariots au fond des tunnels sombres pour gagner leur pain.


Des salariés dune usine de ferrochrome à Elbasan (Albanie), le 8 octobre 2020 (AFP/Gent SHKULLAKU)

"Sur 2.660 mineurs qui travaillent dans la région, plus de 750 sont déjà au chômage technique et risquent de perdre définitivement leur emploi à cause de la crise qui frappe l'industrie du chrome, à Bulqizë comme dans le reste du monde", explique à l'AFP Zhuljeta Deda, une responsable de la municipalité.

Seules résistent une vingtaine d'entreprises enregistrées sur 130 alors que les cours du minerai de chrome ont plongé à 150 dollars la tonne contre plus de 400 dollars aux années fastes, un prix qui ne couvre plus les frais de production.

Le maire Lefter Alla redoute un effondrement total et ses "conséquences sur le niveau de vie d'habitants dont la seule possibilité de revenus sont les mines".

- "Coups de grisou" -

Florent Veseli, 33 ans, est de ceux qui continuent de forer sous la montagne de Duriç, dans une galerie froide où les lampes frontales peinent à percer les rideaux de poussière qui tombent sans cesse dans l'obscurité oppressante.

"Ces derniers mois ont été très difficiles avec la pandémie, la peur de perdre notre travail", dit Florent Veseli. "Si la mine ferme, il ne nous restera rien, on ne pourra plus nourrir nos familles".

Le labeur d'ouvriers qui gagnent 20 euros par jour, 50 euros pour les mieux payés, est pénible. Les mineurs n'ont ni masque ni lunettes de protection, et des dizaines d'accidents se sont produits ces dix dernières années, selon la presse albanaise.

Fin octobre, une explosion de gaz a coûté la vie à trois mineurs, dont un père de famille qui avait perdu récemment son frère, également tué par un coup de grisou, et sa mère, ensevelie sous le minerai.

"Le travail est dangereux, très dangereux", confirme Manushaqe Dani, 48 ans, en triant à la main des déchets de chrome. A chaque fois que son mari et son fils mineurs s'enfoncent dans les tunnels, elle prie Dieu pour qu'ils ressortent sains et saufs.

Mais plus que le danger, les ouvriers craignent le chômage. "Bulqizë vit de la mine, sans les mines, Bulqizë, c’est fini", souffle Andon Murrja. A 53 ans, il a passé toute sa vie dans les tunnels qui sont pour lui une "deuxième maison".

Selon les spécialistes, le chrome est victime depuis plus de deux ans du recul de l'appétit chinois pour ce métal qui entre dans la composition de l'acier inoxydable et d'aciers spéciaux utilisés entre autres dans l'agro-alimentaire, les hôpitaux ou l'aéronautique. Parallèlement, la guerre commerciale entre les Etats-Unis et la Chine a encore attisé la volatilité du marché.

- "Rêves d'ailleurs" -

Mais le Covid-19 "a porté le coup de grâce" car "de nombreuses industries en fin de chaîne de valeur sont au ralenti", explique à l'AFP Mme Sheraz Neffati, directrice exécutive de l'ICDA (International Chromium Development Association).


Des mineurs discutent devant une mine de chrome à Bulqizë (Alabanie) le 23 septembre 2020 (AFP/Gent SHKULLAKU)

Selon les douanes albanaises, 590.000 tonnes de minerai de chrome avaient été exportées en 2016. Mais dès 2018, les expéditions se sont effondrées à 330.000 et à 200.000 cette année.

A Durrës, Henri Kurti, chef de la logistique et du chrome chez l'opérateur portuaire EMS, filiale du groupe allemand EMS-FEHN, confirme à l'AFP que "la situation est pire cette année", en contemplant les 200.000 autres tonnes de minerai noir en souffrance sur les quais.

Dans la localité centrale d'Elbasan, l'usine de ferrochrome AlbChrome, un alliage exporté entre autres aux Etats-Unis et en Europe, accuse aussi une chute d'activité, avec des expéditions en chute libre. Seul fonctionne un four sur deux.

Luan Saliaj, son directeur exécutif, déplore la "confusion et l'incertitude" provoquées par la pandémie. Malgré un récent frémissement chinois, "le plus dur c'est le manque de visibilité", dit-il à l'AFP. "Personne ne peut dire comment on va sortir de cette crise, cela fait peur aux entreprises mais aussi aux salariés".

Cependant, parmi les jeunes générations, certains ont tourné le dos à la mine et rêvent de rejoindre la nombreuse diaspora albanaise à l'étranger.

"Un jeune ne veut rien d'autre que de ne pas travailler dans les mines de chrome à Bulqizë", lance Griseida Derti, étudiante en économie, à l'AFP.

"Personne ne veut rester travailler ici. Nos rêves sont ailleurs".

© 2020 AFP

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