Ce qui se passe sur les marchés financiers peut-être vu de façons différentes en utilisant des périodes de temps variées.
En analysant une journée de trading, n'importe quel intervenant sur les marchés peut vous raconter une histoire plausible sur l'arrivée d'une information qui a changé la perception des traders pour une société ou pour l'économie toute entière et poussé les cours à la hausse ou la baisse. Si vous prenez maintenant cette même journée sur une échelle en millisecondes vous verrez que les choses sont bien différentes.
Quand deux économistes et financiers américains, Joel Hasbrouck et Gideon Saar, jetèrent un œil sur l’activité du trading à l’échelle des microsecondes, il y a à peine deux ans, ils trouvèrent d’étranges périodicités et irrégularités.
La périodicité la plus frappante se matérialise par de grands pics d'activité, séparés par presque exactement 1000 millisecondes : ils apparaissent 10-30 millisecondes après le tick de chaque seconde. Les irrégularités, par contraste, semblent ne pas être gouvernées directement par le temps mais par un événement : l’exécution d’un ordre d’achat ou de vente, l’annulation d’un ordre ou l’arrivée d’un ordre nouveau.
Les niveaux d’activité moyens à la première milliseconde après un tel
événement sont environ 300 fois plus hauts que la normale. Il y a des périodes
longues, longues c’est-à-dire, sur une échelle mesurée en millisecondes dans
laquelle rien ou peu de choses surviennent, ponctuées par des irrégularités de
milliers d'ordres pour une action et d’annulations d'ordres. Ces irrégularités
débutent de façon brusque, durent une minute ou deux, et finissent aussi
brusquement.
Du plancher à l'écran
Une part de ce phénomène a un rapport direct avec l’action humaine. Aucun de nous ne peut réagir à un événement en une milliseconde : la réaction la plus rapide que nous pouvons avoir est d'environ 140 millisecondes pour un simple stimulus tel un son soudain. Les périodicités et les irrégularités trouvées par Hasbrouck et Saar sont les traces d'un changement d'époque.
Il y a à peine vingt ans, le cœur de la plupart des marchés financiers était
un parquet de trading sur lequel les êtres humains se passaient les ordres face
à face. La criée ouverte qui se déroulait par exemple sur le parquet du Chicago
Mercantile Exchange se résumait souvent en une mêlée de centaines de corps
transpirant, criant et gesticulant.
Aujourd'hui le cœur de nombreux
marchés (au moins les produits standards comme les actions) se trouvent dans une
pièce à air conditionné pleine d'ordinateurs contrôlés juste par quelques
personnes de maintenance informatique. Les ordres qui avaient l’habitude d'être
exécutés sur le parquet sont désormais exécutés par des systèmes d’ordinateurs
qui traitent les ordres d’achat et de vente et complètent l’ordre s'ils trouvent
un ordre d’achat et un ordre de vente qui se correspondent.
Les
ordinateurs qui permettent l'exécution des ordres sur le NYSE, par exemple, ne
sont pas dans les vieux sièges de Broad Street, lieu d'échange du siècle
précédent aux colonnes et aux sculptures corinthiennes mais dans un nouveau
centre de données de 150 000 mètres carrées de brique pleine, à Mahwah, dans le
New Jersey, à 30 miles du centre-ville de Manhattan.
Vous ne dérangez personne si vous prenez des photos de Broad Street et de sa façade néoclassique saisissante sur le bâtiment, mais essayez de photographier le centre de données Mahwah et vous trouverez rapidement la police sur votre chemin car il est classé comme élément de l’infrastructure cruciale des États-Unis.
Le trading algorithmique
Les êtres humains peuvent envoyer des ordres depuis leurs ordinateurs aux
machines exécutant les ordres et ils le feront toujours, mais ceci compte pour
moins de la moitié de tout le trading sur les actions US. Le reste est
algorithmique : il résulte des programmes sur ordinateur du trading d'actions.
Beaucoup de ces programmes sont utilisés par de grandes institutions comme les
fonds communs de placement, les fonds de retraite et les compagnies d'assurance,
ou par les courtiers agissant en leurs noms.
L’inconvénient d’être gros
est que lorsque vous essayez d’acheter ou de vendre un grand bloc d’actions,
l’ordre habituel ne peut pas être exécuté sur-le-champ (si c’est un ordre
d’achat, par exemple, il excèdera habituellement le nombre d’ordres de vente
dans la machine correspondante qui sont proches du cours actuel du marché), et
si les traders repèrent un gros ordre qui a été seulement en partie exécuté, ils
changeront leurs propres ordres et leurs prix dans le but d'exploiter cette
opportunité. C’est ce que les intervenants du marché appellent le "slippage" :
les prix augmentent quand vous essayez d'acheter, et tombent quand vous essayez
de vendre.
Dans une tentative de contourner ce problème, les grandes
institutions utilisent souvent "l’exécution par les algorithmes", qui prend des
ordres de grande taille, les découpent en petits ordres, et choisissent la
taille de ces ordres pour les envoyer sur le marché à des moments différents de
manière à minimiser le "slippage". Par exemple les algorithmes en charge des
volumes calculent le nombre d’actions achetées et vendues durant une période
donnée – la minute précédente par exemple – puis envoient une partie de l'ordre
institutionnel dont la taille sera proportionnelle à ces chiffres. Il y aura
moins de slippage quand le marché sera agité que quand il est calme.
L’exécution de l’algorithme la plus répandue, connue comme moyenne de
l’importance du volume ou algorithme VWAP (on le prononce "viwap"), fait son
découpage d’une manière légèrement différente, en utilisant des données
statistiques sur les volumes d’actions qui ont été "tradées" sur des périodes de
temps équivalentes sur les jours précédents. Les périodicités de temps trouvées
par Hasbrouck et Saar résultent presque certainement de la méthode du VWAP et
d’une exécution d’algorithmes coupée en intervalles de longueur fixe.
Éviter de perdre de l’argent Versus gagner de l’argent
Le but de l’exécution des algorithmes est d’éviter de perdre de l’argent pendant le trading. Les autres algorithmes sont conçus pour gagner de l'argent par le trading et ce sont ces opérations qui déclenchent les irrégularités trouvées par Hasbrouck et Saar. Les "algorithmes électroniques" de market making copient ce que les market makers humains ont toujours essayé de faire : constamment proposer un prix auquel ils vendront des actions et un prix plus bas auquel ils les rachèteront, dans l'espoir de gagner la différence (spread) entre les deux prix -mais ils revoient leurs prix en fonction de l’évolution des conditions du marché, qui est bien plus rapide que ne peuvent le faire les êtres humains. Ces révisions sont l’élément principal du flux d’ordres et d’annulations qui suit les changements, même moindres, dans l’offre et la demande.
Les algorithmes d’arbitrage statistique cherchent les divergences dans les
figures graphiques des cours. Par exemple, le prix des actions semblent souvent
fluctuer autour d’une moyenne mobile relativement doucement. Un ordre d’achat de
grande taille provoquera une augmentation du prix à court terme, et un ordre de
vente conduira temporairement à une baisse. De nombreux algorithmes d’arbitrage
statistique calculent simplement un prix moyen fluctuant ; ils achètent si les
prix sont au dessous d’un certain montant et vendent s’ils sont au-dessus, donc
en pariant sur des prix revenant à la moyenne.
Les algorithmes plus
compliqués cherchent des perturbations dans les figures graphiques impliquant
les actions de plusieurs sociétés. Un exemple d'une divergence graphique qui
nous est expliqué ici par un ancien arbitragiste, implique les actions de
Southwest Airlines, Delta et ExxonMobil. Une montée dans le prix du pétrole
bénéficierait aux actions d'Exxon et nuirait à celles de Delta, tandis qu'elle
aurait un petit effet sur celles de Southwest (parce que les intervenants du
marché ont su que, contrairement à Delta, Southwest entre sur le marché pour
arbitrer et faire contrepoids à son exposition au prix du pétrole).
En conséquence, il y avait normalement une équation approximative parmi les changements dans les cours des trois actions : Delta + ExxonMobil = Southwest Airlines. Si cette équation disparaît temporairement, les arbitragistes en profitent alors et parient (d’habitude avec succès) sur le retour à l'équilibre de cette équation.
La deuxième et dernière partie de cette introduction au trading algorithmique est disponible ici.
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