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Sérieux et logique ne paient pas toujours en bourse

Par Christophe Gautheron

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J’ai chipé à un auteur pas encore célèbre, et terriblement sympathique; je le sais car je le connais bien; ... la citation suivante qui fait figure d’introduction à son dernier livre :
" Le trader et l’investisseur sont sous le contrôle d’émotions inconscientes, et leurs actes sont dénués de la logique dont ils se prévalent".
Les intervenants réguliers sur les marchés financiers resteront probablement pétrifiés par le fait qu’en quelques mots, tout est exprimé sur la réalité du trading.
Pour les autres, c'est-à-dire pour ceux qui restent scotchés face à l’hermétisme de cet aphorisme financier, je vais tenter de vous illustrer la chose.

On attend de l'aphorisme qu'il prononce le vrai, et je sais qu’en matière de finance, le vrai, une fois énoncé, provoque systématiquement des accès de fureur ... alors, petites guêpes, soyez gentilles, ne m’aiguillonnez pas trop violemment.

" On peut gagner beaucoup d’argent sur les marchés financiers avec un taux d’opérations réussies de 50%, voire beaucoup moins, par exemple : 30 % d’opérations à succès !" : voilà le secret que nous confia jadis, un vieux professeur d’économie qui faisait couiner sa craie blanche sur le tableau noir, tandis que nous notions vigoureusement son conseil avisé en noir sur nos pages blanches.

" Sur le plan arithmétique, en voilà une proposition qu’elle est robuste !" affirmera avec aplomb la fameuse Madame Michu avec son PEA à -65% ...
En effet, il suffit que les 50% de cas gagnants génèrent des gains copieux tandis que les 50% de pertes soient d’envergure famélique, et hop, le tour est joué.
Mais, il y a un hic !
Car, s’il est vrai qu’un auteur ne fait pas un bon critique, pas plus qu’un ivrogne ne fait un bon barman, alors moins encore, un dévoué professeur d’économie au sein d’une grande école ne fait un bon trader.
En effet, ce raisonnement est parfaitement viable sur le plan financier, mais il fait fi d’une méconnaissance du fonctionnement du cerveau et de la psychologie des êtres.
Sur le plan cérébral : un gain n’est pas égal à une perte.

Au sein du cerveau, une perte laisse un sillon environ 3 fois plus profond qu’un gain. C’est là une constante dans tout le genre animal.
Dame nature, par le biais de l’évolution, nous a raffiné un logiciel qui agit de telle manière qu’une peur nous laisse de bien plus profondes empreintes qu’une joie.
Cela afin de nous éloigner à tout prix de ce qui nous est pathogène, et de nous pousser inconditionnellement vers ce qui est profitable.
La série : un gain, une perte, un gain, une perte, un gain, une perte ... ne fait pas zéro !
Cette séquence reproduite à l’infini, laisse l’individu normalement constitué, non pas dans une situation psychologiquement équilibrée, mais plutôt dans une configuration de déficit émotionnel : ce qui revient à le placer dans l’antichambre de la dépression.
Sur le plan cortical, aussi bien que sur le biais hormonal, l’équilibre idéal se situerait du côté de 3 gains pour 1 perte ... 75 % de positions gagnantes, indépendamment du montant !

Dans le même genre d’idée lumineuse qui vous mènera probablement vite fait, bien fait, tout droit à la caserne des pauvres, examinons simplement la manière dont vous établissez la liste des valeurs à acheter.
J’ai la conviction que vous êtes fiers de votre mode opératoire, et de la qualité de votre sélection, bref, de ce que l’on nomme, en excellents déserteurs de la langue Française, votre " stock picking".
Vous tirez cette certitude du fait que vous avez bigrement phosphoré en amont du choix, et vous jubilez à mort de la puissance de vos conclusions.
" M’enfin !" dirait Gaston Lagaffe " N’est-ce pas écrit partout qu’on opère ainsi pour devenir un fin stratège, hein, M’amzelle Jeanne ?".
" C’est simple, c’est trop con ! On analyse : le price earning ratio, l’évolution du chiffre d’affaire, la rentabilité, le dividende, ... la configuration graphique ; et c’est tout : Chauffe Marcel !" lui répondra Vincent Lagaffe, un cousin contemporain de Gaston, tandis qu’il roulait en moto sur le crâne de son meilleur pote Bigdil.
Il est donc impossible de perdre ainsi, et pourtant ... ce sera inévitablement pour le néophyte, quelquefois à une vitesse supra-lumineuse, le drame du choc mortel de la ruine !

J’imagine ce que vous murmurez : " Quel indigent ce type ! Une analyse fondamentale conjuguée à une analyse chartriste, c’est tout de même ce qu’il y a de mieux !".
Rassurant, c’est certain ; utile, c’est probable ; efficace, cela reste à voir.
Ma tâche est ingrate, car je ne cherche pas à user la fibre motivationnelle du trader à succès qui est en vous.
Je souhaite simplement vous renseigner sur des processus complexes, piégeux, et qui sont d’autant plus perfides que leurs ressorts se situent au niveau de l’inconscient.
Transitons ensemble et harmonieusement (Waou le gourou !) des sciences économiques et financières vers les sciences humaines afin de guider vos pas hésitants sur le sentier tortueux de la finance comportementale.
Des travaux scientifiques de premier plan montrent que, contre toute attente, la partie gauche du cerveau, celle qui est dévolue au langage et à la rationalité, est moins impliquée dans les décisions finales que la partie droite, celle qui est dévolue aux émotions.
En fait, même si nous tentons de rationaliser au maximum le sens de nos choix, l’acte final est plus souvent que nous le croyons le fait d’une pulsion profonde et inconsciente.
Par exemple, on achètera l’action Alcatel-Lucent, un peu par le truchement du raisonnement (les chiffres, le graphe et les perspectives), et beaucoup car on aime l’informatique et les réseaux.
Les spécialistes nomment cette distorsion sous le vocable de biais du foyer.

Au fait, n’avez-vous pas remarqué qu’il existe des valeurs sur le CAC 40 que vous ne tradez jamais, quand bien même les news sont prodigieusement bonnes, et que la configuration graphique du cours est sublime ?
Pourquoi, à votre avis, hein ?

C’est tout simplement le résultat du pouvoir de la partie droite du cerveau ... inconsciente et émotionnelle qui prend le dessus !
A ce dysfonctionnement du processus de décision vient se greffer un second bug cognitif ... Bill Gates sort de ce corps, je te l’ordonne ... que je te patche.
En effet, en cas de choix inadapté qui tournerait au cauchemar, la partie rationnelle du cerveau se déchaînera pour trouver en rafale des arguments logiques dans le but de tenter de rationaliser le hasard, et pour vous contraindre à tenir vos positions en mode espoir.
Tous les chercheurs connaissent ce trait de caractère qu’ils affublent de biais de confirmation.
Lorsque les moins values deviendront épouvantables, le cerveau rationnel ira jusqu’à se concentrer uniquement sur les informations confirmant le sens de votre choix primaire, occultant à la manière de l’autruche (c'est-à-dire les yeux fermés, la tête dans le trou, et le postérieur en l’air bien en évidence ... le marché est vicieux, attention à la savonnette !), tout ce qui va à l’encontre du choix initial.
Faites un tour rapide sur le site internet de votre broker préféré.
Branchez vous sur les forums des actions : Thomson, Soitec, Orco, Alcatel, Natixis, AGF, Rodriguez, BNP, Nicox ... et jugez par vous-même de l’expérience des protagonistes.
Mesurez ce qu’ils échangent quotidiennement à l’aune de ce que je viens de d’écrire, et faites vous un avis personnel.

Vous avez la possibilité de ne rien retenir de mon humble bafouille, qui suis-je après tout ? ... mais je sais ce qu’il vous adviendra immanquablement ...et, au fond vous le savez aussi. C’est bien caché, mais c’est déjà là au tréfonds de vos êtres depuis toujours !
En cas de mort imminente, ne dit-on pas que l’on voit un tunnel, des sons apaisants et une lumière réconfortante ... une lumière au bout du tunnel ...
Et, pour le trader non avisé, un truc pas croyable qui avance dans sa direction, en silence, vite, très vite, c’est un être évanescent ... et il murmure de sa voix de miel une effroyable vérité : " Tu sais, le plus grand défi du placement financier auquel il faut faire face ? C’est de détenir la vérité sur soi-même, et d’être capable d’accepter ce dont on est incapable !".
Qu’est ce que j’en sais ? Ben, euh ... avant de pouvoir écrire ... je suis mort plusieurs fois !


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