La zone Euro, c'est tout l'inverse du Costa Concordia : le Bateau Euroship-16
souffre de vices de conception graves, mais les capitaines successifs, Trichet
et Draghi, ont réussi à piloter le monstre à travers quelques bancs de récifs en
limitant les dégâts à quelques très grosses éraflures que l'équipage a pu
colmater. Seul problème, à force de jouer avec les icebergs...
Trichet et Draghi, les Potemkine de l'Euro
J'avoue une certaine
admiration pour la roublardise de nos deux compères : monétiser un peu, mais
juste ce qu'il faut pour que l'illusion de la soutenabilité du système éloigne
toute peur inflationniste, déclarer à qui veut l'entendre que non, l'Euro ne
sera pas bradé aux intérêts à court terme des états, avant de lancer une
opération de LTRO (voir "braquage
à l'italienne") qui permet à ces mêmes banques de prêter indirectement à ces
mêmes états avec de la monnaie créée à partir de rien, tout en faisant croire
que l'argent est tout de même laissé en réserve à la BCE... Du grand art, à la
manière du Prince Potemkine arrivant à masquer l'état pitoyable de l'empire à la
Tsarine en faisant ériger de belles façades dans les villages qu'elle
traversait.
Comme la grande Catherine, les marchés semblent croire, en
ce début janvier, que la dernière manoeuvre du commandant Draghi permettra
d'arrimer le Paquebot Euro à bon port, en attendant que les armateurs, Sarko,
Merkel and co, ne se décident sur les modifications plus stucturelles à apporter
aux plans du bâtiment. Sauf que là, cela se gâte : les architectes officiels
prévoient simplement de rajouter un étage supplémentaire à la pile de dettes du
bâtiment, sous
la forme du MES et de l'EFSF. Ceux qui prônent la restructuration des dettes
doivent, pour l'instant, se contenter de celle de la Grèce, dont on nous avait
pourtant dit que l'Europe l'empêcherait de faire faillite...
Ca y est, je
ne peux pas m'empêcher d'être pessimiste. C'est vrai, quoi, les marchés
soufflent, les taux italiens et espagnols ont connu une détente, et les
prochains sommets européens vont consacrer enfin d'ambitieuses politiques de
redressement, non ? Qu'est-ce qui pourrait encore foirer, hein ?
Soupe
Portugaise...
Autrement dit, le Portugal, s'il devait refinancer sa dette sur les marchés internationaux, devrait consacrer plus de 15% de son PIB au seul paiement des intérêts. C'est impossible. Le Portugal est en faillite, point. Pas besoin de faire un dessin, LTRO ou pas, aucun banquier, aucun assureur sain d'esprit n'achètera de dette portugaise nouvelle. Le Portugal a bénéficié d'une première aide de 78 milliards, tout comme la Grèce en avait reçu une, pour le résultat que l'on connait. Il lui en faudra d'autres. Mais d'où viendra l'argent ?
Les marchés ne goberont pas les manoeuvres de collectivisation des ardoises de type EFSF ou MES qui n'arrivent
pas à lever de fonds, dans un contexte de dégradation de la note souveraine des
pays qui forment leur ossature. Les adhérents du FMI ne semblent pas prêts à
augmenter sa force de frappe à fonds perdus (tu m'étonnes !), et aucune épargne
sensée n'ira parier sur le redressement d'un tel bateau ivre.
Donc soit
le Portugal fait défaut, soit Super Mario trouve une nouvelle entourloupe pour
faire croire qu'il ne monétise pas tout en monétisant. En priant pour que le
volume de monétisation n'excède pas la contraction de l'argent dette, sans quoi
le retour de la très grosse inflation sera inévitable... Hyperinflation ou
méga-contraction, que l'alternative est joyeuse.
Ajoutons que la somme
des dettes publiques et privées du Portugal atteint 360% du PIB : plus que les
USA au moment de l'éclatement de la bulle des Subprimes. Dois-je vous faire un
dessin sur ce que cela signifie pour les banques portugaises ? Des prêts non
performants en pagaille, une contraction du crédit sans précédent, et un capital
qui fuira cet enfer comme la peste. Où les entreprises trouveront elles l'argent
pour recréer des postes de travail ? Dans ces conditions, toute prévision de
retour à la croissance du Portugal est vaine.
Contagion : les eurolâtres
veulent soigner le mal par le mal
L'imbrication des économies portugaises
et espagnoles provoquera évidemment des retombées dans toute la péninsule
Ibérique. Le temps nécessaire au franchissement des Pyrénées est incertain, mais
semble s'accélérer.
Mais que les portugais, espagnols et français se
rassurent : l'Irlande ou la Hongrie pourraient plonger avant. Voire même
l'Italie, malgré son excédent primaire dont on nous rebat les oreilles. Tous ces
pays souffrent des mêmes maux que le Portugal, seuls les chiffres varient à la
marge. Ca, c'est vraiment rassurant. Tenez, prenez l'Italie : des bons à 7% et
une dette égale à 120% du PIB, et plus de 400 milliards à emprunter sur les
marchés en 2012. Mmmm... Je vous laisse calculer l'excédent budgétaire
"primaire" nécessaire pour éviter que la situation ne se détériore...
Et
que prévoient nos euro-génies ? Et bien... Utiliser toutes les ressources du
FMI, qui n'a plus d'argent, pour prêter à l'Europe... "Le temps de passer un
simple mauvais cap", "la croissance va revenir..." - Sur BFM, les banquiers, les
politiques, les gérants de fonds (Sauf Olivier
Delamarche, le seul gérant avec accès aux médias à oser dénoncer l'idiotie
ambiante) se succèdent au micro pour appeler l'Europe à enfin mettre sur pied
l'EFSF ou le MES, ou des eurobonds, autant de dispositifs visant à résoudre un
problème d'emballement de la dette par plus de dette... Mais oui, bien sûr, ça a
si bien marché pour la Grèce !
La leçon de la Grèce, justement, est que
la promesse de sauvetages européens n'a fait qu'empirer la situation. En quatre
ans, la dette est passé d'environ 110% du PIB à 170%, et même les haircuts
proposés aujourd'hui, à plus de 70%, ne lui permettront pas de retrouver un taux
d'endettement soutenable... Si la Grèce n'avait pas eu l'Europe pour lui faire
croire qu'elle pouvait tout d'abord s'endetter au prix Allemand de façon
infinie, puis se sauver de cette crise de dette sans faire preuve de courage
politique, et bien, elle aurait dû prendre des mesures de redressement bien plus
précoces, à partir d'une situation encore rattrapable. On a voulu "faire jouer
la solidarité" entre membres de l'Eurozone, et voilà le résultat. Plus dure sera
la chute.
La Suède s'en était sortie... En dévaluant !
Rappelons
que la Suède s'est sortie en 1993 d'une situation un peu moins grave que celle
des PIIGS, mais bien compromise tout de même (un déficit annuel monté à 12% du
PIB en 92 contre 3% en 90, une crise de dettes publiques et bancaire liée à l'immobilier,
des dépenses publiques à 67% du PIB, etc...), d'une part en privatisant des pans
entiers de son état providence, mais d'autre part en laissant sa couronne se
dévaluer de plus de 30%... La Suède a dû se débrouiller seule, et a pu laisser
choir sa monnaie au niveau de correction que son surendettement rendait
nécessaire.
Dévaluer la monnaie n'est pas un acte joyeux, contrairement
à ce que nous chantent les adeptes de "l'euro faible", car il signifie une très
grosse perte de pouvoir d'achat pour ses détenteurs. Quand elle n'est pas
manipulée, la force d'une monnaie est le reflet de la force des entreprises qui
produisent dans cette monnaie. Mais parfois, il faut savoir reconnaître ses
pertes pour mieux repartir. La dévaluation est une forme de reconnaissance de
ces pertes.
Mais hélas, nos dirigeants ne semblent pas vouloir envisager une
dissolution intelligente de l'Euro pour permettre aux PIIGS de ne pas sombrer.
Nous coulerons tous ensemble avec la galère, au lieu de monter dans les
chaloupes de sauvetage.
Bon, mais rassurez vous, Super Mario va déployer
des trésors d'ingéniosité pour retarder l'échéance, après tout, c'est lui qui a
permis à la Grèce de maquiller ses comptes pendant des années... Et après cela,
"la croissance finira par revenir et nous sauver", nous disent les politiques.
Et oui, malgré toutes les incertitudes sur la fiscalité, la monnaie, et la
stabilité bancaire, et la raréfaction du capital, les européens vont se remettre
à faire des projets d'avenir, à investir, à innover en masse. Vous n'y croyez
pas ? Bande de défaitistes, va...
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