Trader et regrets
Par Christophe Gautheron
Pour les day traders de la place Parisienne, la journée du 1er avril 2009 fut
stupéfiante.
Cette journée a livré aux accros des mouvements violents et schizophréniques la
dose de volatilité suprême sur l’indice : -2% (en une heure), puis +2% (en
3h30), ensuite -2% (en 3h30), et enfin l’ultime frisson extatique : +3% en 30
minutes sur le fil, juste avant la clôture des marchés.
Pour les swing traders et les overnights de la corbeille, la journée du 02
avril 2009, qui faisait suite à l’euphorie du 1er avril 2009 ne fut pas moins
jouissive que haletante.
L’indice CAC ouvrit en Gap haussier de +2%, pour se répandre de +2%
supplémentaires en moins de deux heures.
Toutes les valeurs du SRD explosèrent à la hausse... façon pression démentielle
d’un Jéroboam de plusieurs étages fabriqué pour des Titans Grecs : les plus 15%
furent légion ce jour là.
En bref, entre les deux courtes bornes du 1er et du 2 avril 2009, on
releva 15% de volatilité (hausse + baisse, en ne comptant que les vagues
majeures, celles de 2% pic à pic), et, pas moins de 8% de volatilité à la hausse
uniquement entre le 01/04 – 15h30 et le 02/04 – 11h30... une demi journée de
cotation !
Pourtant, rares sont ceux qui purent surfer ces courbes divines.
Les changements de sens continuels, doublés d’amplitudes hors du commun,
laissèrent la majeure partie des traders en état de pétrification, sonnés sur la
touche par la fulgurance des coups.
Et, j’aime dans ces situations à me souvenir de ces paroles de Michel Audiard
prononcées avec gouaille : " Un financier, Monsieur, un financier, ça n’a jamais
de remords. Même pas de regrets ... Non, tout simplement de la pétoche !".
C’est désopilant, mais partiellement faux, car, à l’issue du 2 avril 2009, une
masse incroyable d’opérateurs ne songeait plus qu’à se flageller violement, à la
manière des membres de l’Opus Déi, tant ils étaient pétris de REGRETS !
L’investisseur fonctionne de telle manière qu’il lui semble toujours être le
dindon ridicule du jeu des deux erreurs fondamentales : vous achetez ... les prix
s’effondrent ... vous vendez ... ils s’envolent ...
Grrrr ... il leur semble ne jamais être dans le bon sens, ni au bon endroit, ni au
bon moment : la machine à regrets est prête à ronronner.
Les regrets sont issus d’un processus lent survenant " à froid " : " Pourquoi ai-je acheté cela ? ", " Pourquoi n’ai-je pas vendu plus tôt ? ", " Pourquoi n’ai-je pas acheté ? " ... et l’examen du portefeuille d’opportunités manquées est le générateur suprême de ces regrets qui mobilisent à n’en plus finir la quasi-totalité des ressources cognitives. Alors, comment se dépatouiller avec ce sentiment envahissant et peu productif ?
A dire vrai, on ne peut pas !
De nombreux chercheurs acharnés, appliquant à plein le principe de Nietzsche :
"
Toujours, creuse plus profond ! ", ont découvert la manière dont sont structurés
nos cerveaux d’investisseurs.
Et, des recherches récentes en neurobiologie mettent en évidence, qu’au sein de
nos encéphales, on trouve ni plus, ni moins qu’un véritable circuit spécialisé
dans le regret.
Nous sommes donc naturellement structurés par dame nature, et par la sélection
naturelle pour REGRETTER !
Les raisons et les conditions exactes de la mise en place par les lois de
l’évolution de ces robustes systèmes du regret restent obscures.
Les chercheurs murmurent avec prudence : " Il est possible qu’éviter tout ce qui
peut être ressenti comme une perte aidait probablement nos ancêtres à rester en
vie. La survie à tout prix par le biais du questionnement permanent et des
regrets, en quelque sorte !".
On retiendra, à l’issue de la lecture d’un grand nombre de travaux sur le sujet,
que le degré de regrets sur le plan strictement financier est déterminé, non par
ce qu’il est arrivé, mais par ce qu’il aurait pu survenir.
Cet ancrage psychologique envers des possibles non réalisés se nomme
techniquement : la pensée contre factuelle.
Les regrets, par l’entremise des pensées contre factuelles, sont donc la
soumission inconsciente à des mondes imaginaires alternatifs, et, l’intensité du
regret n’est que la facilité à se projeter dans ces mondes.
Le regret est un acte vain, car comme le disait un humoriste : " On regrette
toujours pour rien ...car on ne peut regretter qu’après ".
La science, par le biais des progrès de l’imagerie cérébrale, a désigné au sein
de nos cerveaux l’endroit précis où la maturation de nos regrets s’effectue.
C’est dans le cortex préfrontal, plus particulièrement dans l’aire 10 de Broadman, c'est-à-dire pour simplifier entre les yeux, que se situe le malicieux
agencement de neurones fautifs.
Cette zone est 2 fois plus grande chez l’homme que chez les animaux supérieurs,
et, elle contient 4 fois plus de neurones chez l’homme que chez le singe par
exemple.
Bref, le paquet de cellules neuronales dédiées au regret est quasiment 10 fois
plus dense chez l’homme que chez les autres créatures !
On sait que cette zone du cerveau entretient des liens privilégiés avec le
cortex préfrontal ventromédian, une zone du cerveau essentielle pour les
investisseurs, en laquelle se traite la comparaison entre les gains actuels et
les gains espérés ...
Les êtres humains cérébrolésés, c'est-à-dire les victimes d’une destruction de cette zone du cerveau, deviennent INCAPABLES de planifier des travaux, de les évaluer ; et, face à la peur, ils ne transpirent jamais, pas plus qu’ils n’ont de variation de rythme et d’intensité cardiaque... brrr, à faire froid dans le dos ces zombies de la finance !
Pour la plupart des intervenants sur les marchés, le regret est un amplificateur
du désir. Ce désir fait monter la prise de risque.
Et, l’augmentation de la prise de risque, à son tour, vous fait chuter de la
branche ou vous étiez confortablement assis sur l’arbre à plus values.
La quasi-totalité des investisseurs, sous le joug de la machine biologique à
regrets que nous abritons, finira par croire à l’impossibilité de gagner en
bourse... autrement qu’avec l’aide de Dame Fortune !
Cela génère de l’incompréhension, des pertes de repères, et un besoin accru de
quête du sens.
Comment cette pulsion peut-elle être assouvie ?
C’est Paul Léautaud qui nous donne la surprenante clef de cette énigme : " La
plupart des liaisons sont faites de laissés pour compte qui se rencontrent et
trompent ensemble leurs regrets "...
Vous venez de comprendre la raison fondamentale de la ruée vers les forums Boursiers : c’est là que vous rencontrerez le club des "regretteurs-anonymes", tous ceux qui échangent de leurs misères, et qui entretiennent ensemble la flamme qui pourrait bien être soufflée par les bourrasques financières.