Cet article synthèse sera complété d'un deuxième volet publié la semaine
prochaine sur Abcbourse, focalisé sur la période 1990-2009
Les enseignements de la crise des subprimes n'en finissent pas d'être tirés, et
d'ores et déjà notre connaissance de cet épisode malheureux de notre histoire
économique s'est affinée. Si je devais ré-écrire aujourd'hui les premiers
articles dans lesquels je tentais d'assembler les morceaux du puzzle, sans doute
accorderai-je moins d'importance à certains facteurs, et plus à d'autres, comme
la crise interne à Fannie Mae et Freddie Mac suite à des scandales comptables en
2003-2004, qui a précipité une fuite en avant quasi délinquante de ces deux
institutions. Je réviserai au moins partiellement mon jugement sur la règle de
Mark To Market, en son temps dénoncée ici.
Parmi les points que je n'ai pas encore traités et qu'il m'ont demandé pas mal
de temps pour être démêlés, figure en bonne place la bizarrerie apparente du
modèle américain du crédit.
Deux modèles du crédit immobilier: intégré vs. éclaté
En France et dans un certain nombre de pays européens, la plupart des banques
opèrent de la façon la plus simple qui soit sur le marché du crédit: elles
rencontrent elles mêmes leurs clients potentiels, ce sont leurs salariés qui
instruisent les dossiers de crédit, selon des politiques définies par la banque.
Parfois, le chargé de clientèle connaît l'emprunteur, et lorsqu'il s'agit d'un
nouveau client, la banque est très regardante sur la qualité des pièces fournies
pour justifier de la solvabilité du prêteur. Les banques européennes en général,
et françaises en particulier, savent qu'elles devront gérer elles mêmes le
risque représenté par des défauts de paiement et sont très regardantes sur les
moyens de se prémunir contre cette difficulté.
Il en résulte que tous les salariés de la banque ont intérêt à ce que les prêts
accordés le soient en accord avec les critères fixés par leur direction,
lesquels sont autant que faire ce peut issus d'une longue expérience de l'art du
crédit. Certaines banques pratiquent même un système de primes récompensant non
seulement l'octroi de bon prêts, mais aussi la détection de mauvais dossiers.
Les banques européennes gèrent généralement elles mêmes la plus grande partie du
refinancement des prêts qu'elles octroient. La France possède bien un organisme
public de rachat de créances immobilières en vue de diffuser le risque de
certains crédits par des techniques de titrisation. Mais cet organisme, la CRH
(Caisse de Refinancement de l'Habitat) ne titrise que moins de 10% des prêts, et
les règles prudentielles qui l'animent sont celles de banques normales. Malgré
les apparence, la CRH ne ressemble que de très loin à Fannie Mae ou Freddie Mac.
Bref, le modèle dominant du crédit immobilier en Europe est un modèle
"intégré". Les banques européennes se sont globalement bien accommodées de
ce modèle, leurs problème actuels ne viennent pas de là.
Pourquoi diable le modèle du crédit qui a triomphé aux USA, avant de s'écrouler
lamentablement, est il grandement différent ?
Aux USA, 71% des crédits hypothécaires étaient titrisés mi 2007. La plupart des
crédits sont vendus par des courtiers que les banques ne connaissaient parfois
même pas. Ceux ci sont payés à la commission s'ils octroient un crédit, et tant
pis si celui ci se révèle mal calculé: la commission est touchée. Puis des prêts
venus de tout le pays sont placés par lots de 1000 à 20 000 dans des « fonds »
obligataires, appelés Mortgage Backed Securities, par d'autres établissements
qui n'ont qu'une vision très médiocre du contexte dans lequel chaque prêt est
accordé. Ces fonds émettent à leur tour des obligations par tranche de niveau de
taux et de risque variable, appelées « CDO », lesquelles sont rachetées en grand
nombre par des investisseurs institutionnels attirés par un rendement légèrement
supérieur à celui des bons du trésor, pour une sécurité apparemment identique
(croyait-on !). Les refinanceurs du crédit n'ont donc qu'un lien très ténu avec
les crédits supports de leurs opérations.
Il résulte de ce modèle que chaque acteur ne traite qu'une petite partie de
l'opération de crédit.
Ce modèle, que j'appellerai le modèle " éclaté" du crédit, est risqué,
car chaque intervenant se moque du risque qu'il peut faire courir aux autres,
pourvu qu'il limite le sien et touche sa commission. De plus, il est
étonnamment peu performant du point de vue de l'emprunteur final. Alors que les
taux de base de la BCE ont été plusieurs années de rang supérieurs à ceux de la
FED, les taux auxquels les français, notamment, ont pu emprunter pour leurs
achats immobiliers, entre 4 et 5% en taux fixe entre 2004 et 2006, et parfois
légèrement moins, ont été très inférieurs à ceux pratiqués aux USA, où les prêts
« prime », les meilleurs dossiers, ont rarement pu descendre sous les 5%. Les
taux bas pratiqués par la FED ont sans aucun doute profité aux intermédiaires
nombreux de la chaîne du crédit aux USA qui ont pu ainsi financer des montages
coûteux (toute cette ingénierie financière, il faut bien la payer), mais pas aux
emprunteurs.
Les américains n'étant pas économiquement plus idiots que les français,
quoiqu'en pense "alternatives économiques", on peut se demander pourquoi ils ont
privilégié un modèle aussi pernicieux et aussi peu intéressant pour les
consommateurs. Et là encore, l'état porte une lourde responsabilité, de par ses
multiples interventions qui ont façonné le marché bancaire américain.
Un peu d'histoire: 1927 – 1938
De nombreux observateurs (dont moi même) ont évoqué les conséquences de la
création de la FED en 1913 ou du Glass Steagall Act de 1933, interdisant de
facto le modèle de banques universelles. Mais bien peu ont évoqué le McFadden
Act de 1927, qui a confié aux états la réglementation permettant aux banques de
s'établir dans un état fédéré autre que leur état d'origine. La plupart des
états adoptèrent des législation visant à protéger les « petites banques locales
».
En 1935, le McFadden Act fut amendé (Amendement Douglas) et interdit carrément
aux banques de franchir les frontières des états. Malgré un très léger
assouplissement en 1956, cette législation a largement contribué à maintenir aux
USA un secteur bancaire morcelé et notoirement peu performant, les mauvaises
banques locales faisant face à une concurrence limitée.
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