Vous aimez écrire ? vous souhaitez que vos textes soient publiés dans cette rubrique ? contactez-nous
Le serpent de mer de la TVA sociale va, semble-t-il, se concrétiser dans les
prochains mois. Les critiques de ce projet sont nombreuses, qu'elles soient
récentes ou anciennes.
La Valeur Ajoutée* et la masse salariale, deux éléments très liés
Pour les lecteurs pressés, en voici une synthèse que j'espère accessible.
- Aujourd'hui, l'ensemble "Salaire + Charges", appelé "salaire complet"
par les libéraux et "coût total employeur" par le fisc, est un
maquis qui se décompose entre salaire direct (le net perçu avant impôts
directs...), le "salaire différé" (appellation impropre, mais passons) à savoir
la retraite, l'assurance maladie et l'assurance chômage, et des taxes assises
sur la masse salariale, à savoir le 1% transport, le 1% logement, le 1%
formation, et surtout, les allocations familiales.
- La Valeur ajoutée* est taxée au niveau de la TVA ("taxe sur la valeur
ajoutée"), puis ce qui reste après ce premier passage du fisc est divisé entre :
• "Salaires complets" ci-dessus (la "masse salariale"), qui
représente environ 63-64% de la valeur ajoutée nette, ou encore 53% de la valeur
ajoutée brute, en moyenne.
• Part de l'entreprise : amortissements (toujours) + réserves
(si bénéfice),
• Rémunération des ressources : rémunération des créanciers
(toujours) et des actionnaires (s'il reste assez d'argent),
• Part du fisc : taxe de substitution à la taxe
professionnelle, impôts de filières (exemple : taxe OFIVAL pour les producteurs
de viande - il y en a des dizaines comme cela pour chaque profession), impôts
locaux (foncier des entreprises, OM, etc...) et impôt sur les bénéfices (si
bénéfices il y a).
Par conséquent, taxer la valeur ajoutée ou taxer la masse salariale revient à
taxer LE MEME FLUX, mais à des moments différents dans l'entreprise. Le
transfert de quelques points de l'un vers l'autre serait donc tout sauf une
révolution économique, mais plutôt un tour de bonneteau...
- Pour 100 euros de salaire net, un employeur paie donc à peu près 185 à 190
euros de salaire complet**, mais plus encore doit réaliser environ 360 euros de
valeur ajoutée brute. Ces rapports désastreux entre une rémunération nette peu
motivante et le coût total employeur, ou entre le salaire net et la valeur
ajoutée brute, sont parmi les plus mauvais du monde occidental. Ils ne sont que
le reflet du coût très élevé de nos structures publiques, état et collectivités.
Conséquences pratiques : ce qu'on voit, ce qu'on ne voit pas
Aujourd'hui, on ne sait pas si la baisse des charges servira à augmenter le
salaire net, à baisser le coût total employeur, ou les deux. Dans tous les cas,
les variations seront marginales.
Du point de vue de l'employeur, que se passera-t-il :
- Ou bien il pourra répercuter la hausse de la TVA sur ses clients français :
dans ce cas, les consommateurs perdront à la caisse ce qu'ils auront
éventuellement gagné en salaire net. Eventuellement, car les non-salariés, eux,
ne verront que les augmentations de coût.
- Ou bien ils ne pourront pas répercuter la hausse de la TVA : dans ce cas, le
"gâteau" de la Valeur Ajoutée nette, à partager selon les grands agrégats vus
plus haut, sera réduit. Et donc :
- Ou bien l'entreprise renforcera sa rigueur salariale en terme de coût total
employeur, et la petite sucrerie que représentera la baisse initiale des charges
dites salariales sera vite compensée par une plus grande raideur dans les
augmentations futures,
- Ou bien l'employeur concèdera tout de même des hausses à l'avenir, mais cela
ne pourra se faire qu'au détriment du capital (car les créanciers et le fisc ne
feront pas de cadeau sur leur part, eux...). Or, le capital n'est pas l'ennemi
du travail, bien au contraire : seul un capital productif maintenu au top-niveau
permet de donner au salarié la productivité permettant à son employeur
d'augmenter sa rémunération finale.
Donc, au final, à long terme, la hausse de la TVA aura plutôt pour conséquence
de réduire le salaire net et de limiter les possibilités, pour les entreprises,
de maintenir leur compétitivité... Alors même qu'un des objectifs avoués de
cette TVA "sociale", "anti-délocalisations", est de redonner un peu de
compétitivité aux entreprises françaises. Une fois de plus, nos politiciens
prônent des mesures qui, à moyen terme, provoqueront les effets inverses de ceux
qui sont attendus.
Ajoutons que comme l'état a besoin d'argent, il est probable qu'il augmente la
TVA plus qu'il ne baissera les charges : les entreprises et leurs salariés
seront donc doublement perdants, car le résultat final net sera bel et bien une
augmentation des prélèvements obligatoires sans aucune réduction de dépenses.
Bref, tout le blabla autour des prétendus avantages de la TVA élevée, qui
"augmenterait la compétitivité des entreprises françaises vis à vis des
importations", n'est qu'un embobinage des masses, destiné sans doute à donner
l'illusion aux français que l'état cherche à réformer sans le faire vraiment.
Le vrai danger : un modèle social irréformable
Conclusion de tout ceci : Comme toujours, le gouvernement cherche des expédients
alors qu'il devrait se pencher sur le problème de fond : le coût total
du modèle social français impose, à chaque niveau, des prélèvements trop élevés
sur la valeur ajoutée créée par l'entreprise.
C'est le modèle social qu'il faut réformer, c'est son coût qu'il faut réduire,
la meilleure façon de plumer les oies qui le nourrissent n'est qu'un problème
assez secondaire.
Bon, soyons un peu positifs : si l'employeur voit disparaitre de son "coût total
employeur" les allocations familiales et le 1% Logement/Transports, il ne s'en
portera pas plus mal, psychologiquement, même si ce qu'il ne voit pas, à court
terme, compensera négativement les avantages qu'il voit.
La psychologie étant importante en économie, un transfert de ces prélèvements
obligatoires vers le budget général, via la TVA ou tout autre impôt, serait sans
doute un moindre mal que la surtaxation directe actuelle de la masse salariale.
Si le gouvernement pouvait faire disparaitre cette charge du coût total
employeur, sans augmenter d'autres impôts, ce serait tout à fait positif. S'il
compense par un impôt autre de même montant que la réduction, l'avantage n'est
que psychologique pour les entreprises, mais ce n'est peut-être déjà pas si mal,
après tout... Va pour le transfert des allocations vers une autre assiette
fiscale, si cela peut faire plaisir.
Mais le très hypothétique petit côté positif, uniquement psychologique et de
court terme, risque d'être largement contrebalancé par un effet pervers bien
plus grave si nous n'y prenons garde. Si une partie de la branche maladie, des
retraites ou de l'UNEDIC venait à être financée par un morceau de la TVA, le
risque serait important de brouiller un peu plus le coût de la protection
sociale pour le salarié. Déjà, aujourd'hui, rares sont ceux qui savent lire leur
feuille de paie et ses deux dizaines de lignes, au bas mot. Mais si demain, le
coût total employeur que certains regardent tout de même, perd tout rapport avec
le coût réel de la "protection" sociale Française, alors la volonté de réformer
cette "protection" en restituant l'intégralité du salaire complet au salarié, à
charge pour lui de choisir ses assurances, sera encore plus faible
qu'aujourd'hui.
Notamment, la privatisation des assurances maladie, telle que la pratiquent les
Suisses et les Néerlandais pour leur plus grande satisfaction, ou de l'assurance
retraite, avec la mise en place très progressive d'une capitalisation, seule à
même de garantir des retraites correctes à des gens qui vivent plus vieux sans
les forcer à travailler jusqu'à plus de 70 ans, deviendra notoirement plus
difficile si le coût total employeur, une fois rendu aux salariés, ne leur
permet pas de payer ces assurances. Voilà pourquoi la gauche et les syndicats
ont longtemps soutenu la TVA sociale, ne la critiquant qu'à partir du moment où
cette proposition a été faite par un gouvernement de droite.
Bref, noyer une partie de la protection sociale dans la TVA, ou dans toute autre
recette du budget général, porte en germe un blocage encore plus fort
qu'actuellement de toute possibilité de réforme. C'est pour cela qu'il faut
s'opposer à tout transfert hors de la masse salariale de cotisations maladie,
retraite ou chômage.
* Comptablement, la valeur ajoutée est la différence entre ce qu'une entreprise
arrive à vendre et les achats qu'elle effectue pour y parvenir.
Philosophiquement, la "valeur ajoutée" est la base du capitalisme, et de la
prospérité de toute civilisation. Une tonne de minerai de fer n'a d'utilité pour
personne à l'état brut. Quand cela devient, grâce au savoir-faire d'une
entreprise, une automobile, cette ferraille prend une valeur immense. C'est
cette capacité, sans cesse améliorée, à transformer des choses inutiles sous
forme brute en choses utiles et désirables pour des consommateurs finaux qui
rend continuellement nos existences matériellement moins pénibles.
Economiquement parlant, toute richesse provient de la valeur ajoutée, tout
commence par la valeur ajoutée.
** Pour les salaires inférieurs à 1,6 smics, les charges sont un peu moins
élevées du fait des "allègements Fillon" votés du temps où notre premier
ministre était aux affaires sociales, un budget spécial de l'état compensant le
"manque à gagner" pour la sécurité sociale.