OK
Accueil > Analyses > Chroniques

Economie : les effets pervers de l'action publique

Par Vincent Benard;

vincent benard

Vous aimez écrire ? vous souhaitez que vos textes soient publiés dans cette rubrique ? contactez-nous

L'une des lois de l'économie la plus universellement vérifiée, et la moins comprise des politiciens, est la loi des conséquences inattendues, le terme devant ici être compris comme "non anticipées", "law of unintended consequences", qui postule que toute action sur un système complexe entraîne toujours des effets secondaires non anticipés par celui qui entreprend l'action, effets qui souvent tendent à contrecarrer, voire réduire à néant ses résultats escomptés. Et le moins que l'on puisse dire est que cette loi se manifeste empiriquement de façon omniprésente dans le champ de l'interventionnisme public sur l'économie.

Exemple : conséquences inattendues des lois urbaines

Mes lecteurs réguliers sont familiers des manifestations de cette loi, que l'immense économiste Frédéric Bastiat a sans doute le mieux décrite dans sa métaphore intitulée "ce qu'on voit et ce qu'on ne voit pas". Ainsi, exemple parmi des centaines, les promoteurs des lois anti-étalement urbain, censées limiter l'extension périphérique des grandes métropoles, n'avaient pas anticipé que ces lois provoqueraient un grand effet de rareté, et donc de hausse des prix, dans ces villes centrales et leurs banlieues proches, forçant les ménages à rechercher du foncier accessible dans des villages éloignés : au lieu de restreindre l'étalement urbain, ces lois l'ont déplacé à la périphérie des petites et moyennes cités rurales.

De même, ces lois de zonage, en provoquant une hausse artificielle des prix pendant les années bulle, ont provoqué un transfert de richesse des acheteurs de logement vers les vendeurs de plusieurs dizaines de milliards d'Euros (environ 45 milliards en France en 2006, selon mes calculs), transfert non justifié par la valeur de long terme des biens vendus. Les acheteurs constituant un groupe globalement moins fortuné que celui des vendeurs, du fait de la présence de nombreux primo-accédants, ce transfert peut être qualifié d'anti-social, dans l'acception la plus "à gauche" du terme.

Il est à noter que le législateur tend à ne pas tenir compte des enseignements du passé et, malgré les conséquences avérées de ses décisions antérieures, il peut ne pas hésiter à persister dans la même voie : les lois dites du "Grenelle de l'Environnement" vont renforcer les biais décrits ci dessus.

Au delà de l'urbanisme, mon ouvrage sur le logement, "crise publique, remèdes privés", est une anthologie de la loi des conséquences inattendues : un blocage des loyers justifié politiquement par une guerre mais jamais aboli par la suite a entrainé une pénurie de logement et une dégénérescence du parc, conduisant, 40 ans après, l'état à nationaliser la politique de l'urbanisme et du logement social... Le fonctionnement des organismes de logement social, combiné à de nombreuses erreurs de la politique d'immigration, a conduit à créer aujourd'hui des centaines de ghettos de non droit gangrénés par la délinquance et l'activisme intégriste religieux, qui créent autant de situations potentiellement explosives... Et personne ne sait encore quelles seront les "conséquences inattendues" futures de cet empilement de bêtises historiques dont il semble bien que nous soyons définitivement prisonniers.

Exemple : la crise financière, une gigantesque conséquence inattendue

Autre exemple particulièrement significatif, toute la crise financière que nous vivons est le produit dérivé (le terme est à la mode) de dizaines de législations, certaines votées depuis plus de cinquante années, dont la combinaison a encouragé la formation d'une bulle de crédit totalement insoutenable car non remboursable : Créations d'organismes de titrisations de créances sous parapluie public, obligations pour ces organismes de racheter une masse croissante de créances de faible qualité, débasement du dollar de son ancrage à l'or, vote de lois obligeant les banques affaiblir leurs critères prudentiels d'acceptation de prêts, impositions de standards de gestion bancaire incitant les banques à préférer garnir leurs bilans de produits opaques au niveau de risque mal estimé, lois d'usage des sols favorisant l'émergence de bulles foncières... Si vous me lisez depuis quelques temps, vous connaissez tout cela par coeur, sinon, je vous invite à découvrir mon recueil d'articles sur la crise et ses suites.

Ce dernier exemple illustre de façon parfaite l'aspect cumulatif du désordre législatif : les conséquences inattendues ne sont pas uniquement liées à une loi par elle même, mais aussi à la combinaison d'une loi votée aujourd'hui avec une loi qui sera votée demain sans que l'autre ne soit abrogée, phénomène que j'ai baptisé "incohérence déstabilisatrice".

Exemple récent : les primes à la casse

L'actualité américaine nous fournit un autre "superbe" (sauf pour ceux qui en seront victimes) exemple de manifestation de la loi : le programme de primes à la casse "Cash For Clunkers", dont j'ai déjà abordé les coûts réels il y a près d'un an, non seulement, se révèle avoir constitué un pur effet d'aubaine (7 mois après la fin du programme, les ventes d'automobiles neuves cumulées sur 12 mois ne sont pas différentes d'une année normale) d'après une étude récente, mais en plus, la dernière livraison de statistiques sur l'inflation américaine nous montre qu'il a provoqué une hausse de 15,5% sur 12 mois des véhicules d'occasion (alors que la hausse n'a été que de 2% pour les voitures neuves), alors que l'indice global sur 12 mois est de 1,1% !

Or qui achète les véhicules d'occasion les plus anciens mais encore capable de rouler ? Les plus pauvres et les jeunes faiblement fortunés ou qualifiés, qui accèdent ainsi à la mobilité tellement indispensable pour retrouver un emploi. La politique "Cash for clunkers" va donc considérablement renchérir le coût du déplacement pour ces catégories, lesquelles, comme par hasard, sont les plus touchées par la hausse brutale du chômage et ont donc cruellement besoin de mobilité pour pouvoir s'en sortir. C'est une constante de l'action politique : les effets secondaires indésirables touchent en priorité les populations les plus faibles, quand bien même les bénéfices supposés de l'action sont censés leur revenir.

L'analyse de Merton

Le sociologue Robert K. Merton (à ne pas confondre avec l'économiste charlatan nobélisé Robert C. Merton, l'homme qui a provoqué la faillite de LTCM...) a publié pour la première fois en 1936 une analyse des causes profondes de la loi des conséquences inattendues, "The Unanticipated Consequences of Social Action". Il isole 5 facteurs clé :

1. L' ignorance : certains effets secondaires se manifestent pour la première fois, où la mémoire de ses manifestations précédentes n'a pas été conservée. Cette cause isolée par Merton me parait réellement mineure dans l'action politique. Ce que l'on appelle "ignorance", chez le politicien et ses courtisans experts, est le plus souvent volontaire.

Les quatre causes suivantes me paraissent autrement plus intéressantes.

2. L'erreur : Mauvaise analyse, ou reproduction de recettes ayant marché par le passé, mais appliquées à des conditions initiales différentes. Les effets pervers des premières lois anti-étalement urbain en sont une manifestation typique. J'ajouterai pour ma part que le manque d'interdisciplinarité des technocrates joue un grand rôle dans l'erreur : par exemple, les économistes du logement sont en général nuls en urbanisme, et l'inverse est également vrai, à quelques rares exceptions près. De même, la connaissance de quelques lois sociologiques basiques aiderait nombre d'économistes, et notamment interventionnistes, à anticiper mieux les conséquences inattendues...

3. Les intérêts immédiats, qui s'opposent à d'autres intérêts à plus long terme : les lois votées en fonction de l'élection suivante sans considération pour de possibles conséquences adverses de long terme sont la règle. De même, des lois votées dans l'urgence pour résoudre un problème immédiat sont porteuses de dérèglements à long terme. A ce titre, la fin de la convertibilité Or-Dollar en 1971 peut servir d'exemple parfait.

4. Les valeurs, les principes, qui peuvent interdire ou prôner certains modes opératoires quand bien même le résultat, même prévisible, en serait défavorable. La prohibition de substances nocives - Alcool entre 1919 et 1933 aux USA, drogues diverses- entre clairement dans ce champ.

5. Les comportements échappatoires, la crainte des conséquences d'une évolution prévue (législative ou autre) induit des comportements d'évitement anticipés de la population, qui conduisent le problème anticipé par la loi à ne pas se présenter. Toute l'histoire du progrès technologique ressort d'une logique échappatoire généralisée : par exemple, la peur d'une pénurie de pétrole pousse nombre d'agents économiques soit à rechercher des substituts, soit à réduire leur consommation.

L'analyse de Merton, déjà ancienne, parait devoir être complétée. La propension naturelle -montrée par nombre de sociologues d'après guerre- des individus à vouloir détourner tout système à leur profit, soit dans les limites de la loi, soit dans la transgression, joue à mon sens un rôle central dans l'apparition de conséquences inattendues. Les points 3 et 5 de Merton ne font qu'effleurer cette cause.

En outre, l'erreur d'analyse est le plus souvent dissimulée par l'arrogance et l'orgueil des experts, qui n'aiment pas voir leur autorité contestée, et dont beaucoup détestent plus que tout perdre la face. Si quelqu'un ose démontrer à sa majesté nobélisée Paul Krugman - celui qui, dès 2001, pressait la FED de tout faire pour alimenter la bulle immobilière, car elle nourrissait la consommation...- que ses vues sur la politique de relance sont erronées, celui ci tendra à puiser dans toutes les ressources de sa mauvaise foi pour justifier à tout prix ses arguments. Le politique, nécessairement généraliste, n'ayant d'autre choix que de s'en remettre à des experts pour prendre des décisions, il est à la merci des erreurs d'appréciation alimentées par l'orgueil des sommités qu'il côtoie.

Conséquences inattendues et positives de l'action privée libre

Notons enfin que les conséquences inattendues ne sont pas propres à l'action publique. De l'effet "papillon" aux conséquences du 11 septembre, nombre d'actions à caractère privé génèrent des conséquences inattendues, positives ou négatives. La manifestation positive la plus célèbre des conséquences inattendues est la célébrissime "main invisible" d'Adam Smith, que Bastiat développera sous le nom d'harmonies économiques ou que Hayek théorisera par la notion d'ordres spontanés : lorsqu'un monde est majoritairement dominé par des échanges entrepris librement par l'ensemble des acteurs, donc perçus comme gagnants par chacune des parties, alors le résultat global tend à être le plus harmonieux possible, car chaque échange tente d'intégrer au mieux toutes les informations perceptibles sur le résultat des échanges précédents ou voisins.

Mais ce "plus harmonieux possible" ne peut en aucun cas être "optimal", car l'erreur d'appréciation est la caractéristique la plus certainement prévisible de l'action humaine. D'où l'envie de tous les interventionnistes du monde de tenter, jusqu'ici sans le moindre succès, de construire un monde encadrant plus fermement l'action humaine, d'où l'erreur serait absente, ou du moins ses conséquences minimisées. Ce qui entraine des décisions à leur tour aux conséquences inattendues, et le plus souvent négatives !

Conclusion : des conséquences parfaitement prévisibles, mais sciemment ignorées

Toutes les conséquences indésirables des décisions politiques sont de moins en moins "inattendues" de ceux qui prennent ces décisions, mais sont désormais souvent anticipées par un nombre croissant d'analystes et de commentateurs, l'expérience aidant. Cependant, les politiciens s'empressent souvent de ne pas écouter les voix qui leur déplaisent, troisième cause de Merton oblige !

Les conséquences indésirables sont donc de plus en plus souvent bien connues des décideurs mais ceux ci tendent à laisser prédominer l'intérêt à court terme. L'important est qu'ils aient satisfait un lobby ou donné l'illusion d'agir. La loi ne devrait-elle donc pas être rebaptisée "la loi des conséquences adverses ignorées" ?

Vincent Benard

Twitter Facebook Linkedin email
Les derniers articles de l'auteur

Investir en Bourse avec Internet