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Malgré sa baisse récente, due aux déboires de la Grèce (dégradation de sa
notation par les agences), l’euro fluctue actuellement dans une fourchette de
1,40 à 1,50 dollar, alors que sa parité devrait s’établir aux alentours de 1,15
dollar ; à titre d’illustration, c’est le taux que devrait refléter l’euro, si
on comparait les prix d’un même produit (le super Mac-do) par exemple en France
et aux Etats-Unis. Il faut également savoir qu’une augmentation de 10% du cours
de l’euro par rapport à l’ensemble des autres monnaies (« taux effectif » de
l’euro) implique une perte de croissance de 1% du PIB, pour la zone euro. En
2008, l’euro avait approché la barre record de 1,60 dollar à deux reprises
(printemps et été). Par ailleurs, l’euro a aussi connu des chutes prolongées :
en 1985, avant « les accords du Plaza » il s’était effondré à 0 ,64 dollar ( en
équivalent-euro, car à l ‘époque, c’étaient les monnaies nationales, franc,
lire, mark, etc, qui étaient en vigueur) et à 0,82 dollar, au 1er janvier 1999,
date de création de l’euro « scriptural ». Les fluctuations de l’euro sont donc
très fortes par rapport au dollar (variations de plus ou moins 40%, par rapport
à un taux central de 1 pour 1,15 dollar, au cours d’une période de 35 ans). En
conclusion, l’euro se situe en ce moment près de sa valeur maximale,
avec les conséquences que l’on peut anticiper, sur la compétitivité de nos
industries.
En ce qui concerne le yuan, la politique du gouvernement
chinois consiste à se caler le plus durablement possible sur le dollar. Dans un
contexte de dollar faible, comme c’est le cas aujourd’hui, l’économie chinoise
profite d’un yuan sous-évalué par rapport à l’euro, pour inonder l’Europe de ses
produits, accentuant de ce fait la délocalisation de nos
entreprises vers l’Asie (la plupart des pays de ce continent ayant tendance à
s’aligner sur la politique chinoise) et le déficit de notre balance commerciale
avec la Chine .
En outre, compte tenu de leurs réserves en dollars (environ 1900 milliards, dont
800 milliards d’obligations du Trésor américain), les Chinois n’ont pas intérêt
à voir leur monnaie s’apprécier. D’où leur refus de réévaluer le yuan, ce qui
implique de garder une forte main-mise étatique sur leur monnaie et donc de
limiter la convertibilité du yuan. C’est aussi un frein naturel à la
diversification monétaire pour la Banque de Chine : si celle-ci convertit ses
dollars en euros, elle contribue de ce fait à la baisse du dollar, donc à la
baisse de la valeur de ses réserves de change ! On comprend donc que les Chinois
sont « pris dans une souricière » (c’est le débiteur américain qui tient son
créancier chinois dans ses filets). La même chose s’applique aux pays pétroliers
du Moyen Orient, détenteurs de dollars et freinés dans leur souci de
diversification par peur de se « tirer une balle dans le pied » (c’est à dire
déprécier leurs réserves de change, essentiellement libellées en dollars). Idem
pour le Japon.
Quelles conclusions en tirer ? Comme je l’indiquais précédemment (mon éditorial
du 1er octobre), l’euro, qu’on le veuille ou non ( en fait, on souhaiterait
qu’il baisse) restera durablement fort par rapport au dollar et
donc aussi par rapport au yuan, (et toutes les monnaies indexées sur ces 2
devises). Les exhortations de Jean - Claude Trichet ou de la Commission de
Bruxelles ne changeront rien à l’affaire : ils recevront, en terme très polis
(entre gens « bien ») , une fin de non-recevoir !
Et la France dans ce contexte ? Elle devra s’adapter. D’abord
en favorisant le développement des industries peu susceptibles d’être touchées
par un euro fort (beaucoup de services de proximité, le luxe, l’agro-alimentaire
de haut de gamme, le tourisme culturel, etc). Ensuite en encourageant
l’innovation dans les secteurs industriels où nous avons un savoir-faire reconnu
(aéronautique, nucléaire, spatial). Dans cette perspective, les investissements
prévus par le Grand Emprunt en matière de recherche sont les bienvenus.
Troisièmement, un effort doit être consenti pour protéger « nos marques » qui
constituent un véritable capital « immatériel », dont la valorisation tend à
s’accroître, compte-tenu de l’élargissement de la base de consommateurs, au
niveau mondial.
Enfin, un euro fort doit permettre aux entreprises françaises de
s’implanter à l’étranger à bon marché, ce qui aboutira à des
exportations supplémentaires (composants, matériels d’équipement, services
annexes) vers les filiales étrangères et des rentrées de dividendes en France,
source d’un rééquilibrage de notre « balance courante ». Compte-tenu des
mutations que cela entraîne pour notre économie, il faudra redoubler d’efforts
en matière d’éducation, domaine où nous avons accumulé beaucoup de retard (cf.
le classement de Shangaï où nos universités font triste mine !) et qui sera
décisif dans cette bataille économique.
Bernard Marois
Professeur Emérite HEC
Président du Club Finance