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Réguler, réguler, réguler... En ce qui concerne le secteur financier, la
religion de l'état et des opinions publiques semble faite: l'état devrait
beaucoup plus réguler, c'est à dire intervenir préventivement pour normaliser
l'activité des banques, les contrôler au quotidien, et renforcer les règles
prudentielles destinées à empêcher les banques de faire massivement faillite.
Seul problème, cette philosophie de la régulation est déjà largement en vigueur
et a amplement démontré son inefficacité, voire sa nocivité. Et si les
gouvernements osaient parier sur une bonne gestion de la faillite des mauvaises
banques pour parvenir à une véritable auto-régulation du secteur financier ?
Régulation, qu'entend-on par là ?
Plus que jamais, la crise actuelle a focalisé le débat autour de la "régulation
des marchés financiers", des banques, des assureurs. La question est légitime:
de nombreuses entités privées ont commis de grosses erreurs de jugement. Leurs
difficultés, jusqu'à la faillite parfois, ont été suivies d'une intervention
massive de certains états, avec pour corollaire une croissance explosive des
dettes publiques dont d'aucuns se demandent - avec raison - si elle est
soutenable. Quant aux baisses d'impôts, elles ne sont qu'un rêve lointain.
Dans ce contexte, les bonus des traders, qui découlent de l'extraordinaire
subvention à l'activité bancaire dont la haute finance bénéficie via des banques
centrales laxistes et un système fiscal conçu comme une gigantesque
machine à favoriser le recours au crédit,
choquent, alors que les licenciements se multiplient et que le crédit devient de
plus en plus difficile à obtenir pour les PME qui vivent des heures très
difficiles. Après avoir mené l'économie réelle au bord du gouffre, l'économie
financière festoie comme si de rien n'était.
Par conséquent, des appels à "plus de régulation" de la banque, de l'assurance,
et d'une façon générale de tout ce qui touche de près ou de loin à la finance,
se multiplient. Il est fréquemment sous entendu que la finance serait
"dérégulée", et que de cette "dérégulation" seraient nés tous nos ennuis. Mais
qu'entend on par "régulation" ou "dérégulation" ?
Un tel sujet mériterait un livre et bien des développements théoriques. Pour
faire simple, disons que le problème rencontré provient du risque de faillite en
cascade de banques, pouvant faire disparaître la valeur de comptes bancaires de
déposants, particuliers ou entreprises, ce qui causerait un dommage incalculable
à la société, et que la régulation telle qu'elle est généralement évoquée vise à
la fois d'une part, à prévenir, ou du moins
limiter, le risque de faillite, et d'autre part, à
gérer efficacement la faillite des établissements lorsque celle-ci
survient.
La thèse que je défends est simple: les régulations "préventives" sont vouées à
l'échec et obèrent notre capacité à gérer correctement le "nettoyage" des
accidents de parcours, une régulation simple fondée sur une gestion rapide et
préparée à l'avance des éventuelles faillites serait bien plus efficace.
Régulation préventive: "on a tout essayé !", et ça ne marche pas
Prétendre que la banque et la finance étaient une sorte de jungle dérégulée
ne
résiste pas à dix minutes d'examen honnête de la situation. Aux USA, les seules
années 2 000 ont vu jusqu'à 70 000 pages de réglementations nationales ou
locales être ajoutées en une seule année, celle qui a suivi l'adoption de la loi
Sarbanes Oxley.
En outre, depuis le début du XXème siècle, les banques du monde entier ont vu le
volume des réglementations qui leurs sont applicables croitre de façon
exponentielle, et aux USA, les effets de réglementations votées il y a plus de
80 ans font encore sentir leurs effets aujourd'hui. Sans refaire tout
l'historique des réglementations des banques américaines depuis 1920,
rappelons que les très sous-estimées lois McFadden (1927) et Douglas (1935)
ainsi que le trop médiatisé Glass Steagall Act (1933) avaient de facto interdit
aux banques américaines de diversifier leurs risques à la fois par la
répartition géographique et la diversification des activités.
Le résultat: en 1938, le crédit bancaire était tombé à des points bas
historiques, et l'état américain a créé la FNMA, à l'époque publique, plus
connue sous le nom de Fannie Mae, pour... Permettre une diversification
géographique des risques et la titrisation des créances hypothécaires alors
inaccessibles aux banques classiques. Bref, on créait un organisme public pour
pouvoir faire ce que l'état avait interdit aux banques privées !
La suite est connue: une pseudo privatisation en 1968, selon un statut juridique
aussi extravagant que celui de notre bonne vieille caisse des dépôts, la
création d'un concurrent... Public une année plus tard (Freddie Mac), ne
cherchez pas la cohérence, il n'y en a pas, une pseudo privatisation de Freddie
Mac sur le même schéma que Fannie Mae, et deux organismes sous parapluie publics
se livrant à une gigantesque course aux marges, sous la pression des politiques
exigeant toujours plus de prêts aux familles sans moyens de les rembourser, sans
la moindre préoccupation de saine gestion (5200 milliards d'engagements pour 81
milliards de fonds propres)...
Une suite de régulations promulguées dans les années 20 et 30 a engendré
deux
monstres qui, de révision des règles applicables en subordination aux objectifs
politiques du législateur sans souci de la réalité économique, ont complètement
déréglé le fonctionnement du marché américain du crédit, avec les résultats que
l'on connait.
De même, les règles issues des accords de Bâle sont un exemple flagrant
d'inefficacité de la régulation préventive. Ces règles étaient supposées
empêcher les banques de prendre des risques trop élevés, en garantissant des
ratios de fonds propres "suffisants" dans les bilans des établissements
financiers. Malheureusement, la norme fixée, suffisante quand tout allait bien,
s'est révélée, à un instant donné, incapable d'assurer un niveau de fonds
propres suffisants pour assumer un choc conjoncturel de grande ampleur.
Or, les normes de Bâle, couplées avec l'avantage fiscal énorme conféré au
financement par le crédit sur le financement par les fonds propres, ont conduit
toutes les banques à adopter peu ou prou la même structure de financement. Or,
dans un éco-système, c'est la variété des cellules qui permet de résister à un
aléa extérieur. Il en va de même en économie: si toutes les banques sont tenues,
par une combinaison réglementaire et fiscale, de s'aligner sur la même norme, et
que cette norme se révèle mal calculée à un moment donné, alors c'est tout
l'écosystème bancaire qui tremble sur ses bases.
Ajoutons que les réglementations de type Bâle (et leurs équivalents en terme
d'assurance), ont été providentielles pour le développement de produits dérivés
qui n'avaient que pour seul but de "contourner", leurs partisans diraient
"s'adapter", à la réglementation en vigueur. Le mécanisme en est assez complexe
mais disons qu'il a consisté à placer dans un fonds des milliers de crédits
immobiliers qui individuellement auraient été mal notés, rachetés aux banques en
émettant des obligations à un taux moyen légèrement inférieur, avec une petite
tranche de titre à taux plus élevés supposés être plus rémunérateurs mais
acceptant, en contrepartie, d'absorber les premières dettes (tranches "junior",
destinées à des investisseurs aventureux), de sorte que les tranches "sénior"
pouvaient recevoir une note AAA des agences de notation, synonyme d'absence de
besoin d'augmenter son capital donc son coût de financement.
Un tel dispositif de "sécurisation" des créances hypothécaires était voué à
l'échec: le coût de l'ingénierie financière associé absorbait en grande partie
la "marge de couverture du risque" que prend normalement un prêteur qui fournit
un crédit à un tiers, correspondant au risque supposé de ce tiers. Des prêts
"sécurisés" (le terme exact est plutôt titrisé) étaient en fait moins sûrs en
moyenne que les prêts bruts qui les composaient.
Oh, pourtant, un tel système était bien pratique. Dans une telle configuration
où trois agences de notation agréées et oligopolistiques - grâce à une
réglementation qui rendait quasi impossible le décollage économique d'un nouvel
entrant sur le marché - suffisaient à évaluer la qualité de la signature d'une
institution, n'importe quel schmück pouvait se prendre pour un génie de la
finance en sachant faire la différence entre une note AAA et une note BB+.
Inutile d'aller trop en profondeur analyser les fondamentaux d'un bilan, la
qualité réelle d'un portefeuille d'actifs...
Résultat, nombre de banques et d'assurance ont accumulé des titres "AAA" qui
n'en avaient que la saveur et la couleur, mais pas les ingrédients: lorsque les
premières pertes ont dépassé l'enveloppe des tranches "junior" pour atteindre
les titres "senior", les détenteurs de ces bons soi disant insubmersibles ont
compris trop tard que leur confiance aveugle dans les agences de notation, ou
plutôt leur paresse intellectuelle, leur avait joué un bien mauvais tour.
Bref, toutes les réglementations visant à rendre les banques plus solides, ont
en fait abouti à favoriser des banques privées sans assez de fonds propres,
chargées d'actifs "toxiques", et des acteurs parapublics tout aussi
sous-capitalisés, qui ont cherché à faire plaisir à leurs maîtres sans
considération pour les plus élémentaires considérations de pérennité. La
régulation censée fortifier la finance l'a gravement fragilisée.
Régulation de la crise: contribuable tondu et dollar en danger
Lorsque les premières banques importantes (notamment Bear Stearns) ont commencé
à avoir des frayeurs, l'état américain, plutôt que de les laisser affronter la
faillite, a préféré intervenir pour les sauver.
Ainsi, aux USA et en Grande Bretagne, des fonds publics ont ils été mobilisés
pour racheter aux banques leurs actifs pourris dans le cadre notamment du plan
TARP, puis ce sont les banques centrales qui ont racheté directement ou
insidieusement ces titres à partir d'argent créé de zéro, "out of thin air",
comme certains disent. Elles ont en outre maintenu des taux très bas, non pas
pour relancer le crédit privé, comme cela est officiellement affirmé, mais pour
permettre aux états de financer leurs dettes abyssales à des taux raisonnables.
Cette façon de faire a conduit les banques fautives à recevoir bien plus que
leur valeur réelle en échange de ces titres, et leur a permis d'acheter
massivement des titres d'état à taux bas, et des actions, faisant rebondir les
bourses dans des proportions inattendues après leur point bas de mars 2009.
Malheureusement, ni le trésor ni la FED ne récupéreront la totalité des dettes
qu'ils ont racheté, au vu de la dégradation continue du marché immobilier et du
pourcentage de familles entrant en procédure de faillite personnelle. Le
sauvetage de l'Assureur AIG a été estimé à 180 milliards de dollars, et a
peut-être donné lieu à des manoeuvres frauduleuses. Les facilités accordées à
Fannie Mae et Freddie Mac, d'abord plafonnées à 200 milliards, puis 400
milliards de dollars, viennent d'être... déplafonnées, ce qui veut dire qu'il
n'y a plus aucune limite théorique à l'ardoise que ces deux mastodontes
arthritiques laisseront au contribuable du Wisconsin.
Et croyez vous que le gouvernement ait décidé d'assainir ces deux "Government
Sponsored Enterprises" ? Et bien non. Fannie et Freddie, rebaptisées Phoney et
Fraudie par certains financiers, ont été priées par le gouvernement de continuer
à racheter des prêts octroyés à des ménages aux revenus incertains, et pis
encore, le gouvernement a utilisé sa troisième agence de financement du crédit,
Ginnie Mae, jusque là peu impliquée dans la crise des subprimes, pour refinancer
des "prêts de constitution d'apport personnel" et des prêts aux néo-accédants
dans des conditions de fragilité qui laissent dubitatifs les observateurs.
Au total, l'exposition des diverses entités publiques à des risques de krach
hypothécaire se monteraient, selon le sénateur démocrate Grayson, à plus de 9
000 milliards de dollars d'engagements et cautions diverses, et globalement,
tous acteurs (publics et privés), les pertes cumulées risquent de dépasser 4000
milliards, financées soit par le contribuable, soit, plus probablement, par un
retour d'une inflation à deux chiffres dès que les massives injections de
liquidité ainsi opérées recommenceront à alimenter la machine à pondre du
crédit, qui n'a en aucune façon été réformée.
Toutes ces manoeuvres n'avaient qu'un objectif: éviter une panique bancaire liée
à des faillites en cascade. Il est vrai que dans une faillite normale, la
recapitalisation éventuelle, la négociation entre actionnaires et créanciers, et
parfois la liquidation de l'entreprise, sont des procédures coûteuses et
longues, et il n'est pas possible d'immobiliser longtemps l'argent des déposants
dans une banque exsangue. Le risque existe que le défaut d'une banque elle même
endettée vis à vis d'autres banques entraine d'autres défauts, avec à chaque
fois des risques d'immobilisation (ou de pertes sèches) pour les déposants, eux
mêmes poussés à la faillite, plantant d'autres banques, et ainsi de suite. C'est
ce que que l'on appelle le risque systémique.
Aussi toutes les solutions de type "TARP" utilisées par les états ont elle eu
pour but de garantir aux détenteurs d'obligations émises par des banques en
difficulté qu'ils seraient payés quoi qu'il arrive, fut-ce par le contribuable
plutôt que sur les actifs de la banque malade. Mais derrière ce prétexte,
certains ont vu, avec quelques bonnes raisons d'y croire, le désir de protéger
des banques "amies" des états, non par esprit de camaraderie entre gens ayant
fréquenté les mêmes cercles professionnels, encore que, mais plus prosaïquement
parce que les banques en question sont de précieuses alliées dans l'achat des
bons du trésor que les états sont obligés d'émettre par milliards de dollars
pour financer leurs déficits abyssaux.
La garantie publique des comptes bancaires, dangereuse illusion
Pour éviter les "bank runs", la plupart des états se sont dotés de schémas de
garantie partielle des comptes bancaires, fondés sur une assurance publique
alimentée par une prime annuelle payée par les banques. L'affaire de la faillite
des banques Islandaises, et les difficulté de l'assurance des comptes bancaires
américains montrent que cette garantie est un trompe l'oeil. En outre, là
encore, cette garantie "pousse au crime" les agents économiques, en promettant
de "socialiser" les pertes de quelques uns en cas de malheur: voilà qui pousse
dans une certaine mesure les épargnants à l'imprudence, à sous-estimer les
risques représentés par certains placements à haut rendement. Et du coup, les
banques qui voudraient "rester sages" risqueraient de perdre leurs clients, les
obligeant à offrir, du même coup, des produits tout aussi peu fiables que la
concurrence.
La garantie publique des comptes bancaires donne une prime à la sur-prise de
risque et à la médiocrité des placements. Censée apporter une sécurité aux
déposants, elle conduit les épargnants et les banques à prendre des risques
qu'ils n'auraient pas assumés en son absence. Censée fortifier le système
financier, là encore, elle le fragilise.
Seule solution : la "faillite express prépackagée"
Dès l'annonce du plan Paulson (injection de 787 milliards de $), qui allait
précéder le "Stimulus Package" du plan Obama-Geithner, un petit nombre
d'économistes, tels que les professionnels de la finance Nassim Taleb, Janet
Tavakoli, John Hussman, ou surtout l'universitaire de Chicago Luigi Zingales,
prônaient une autre solution, économe des deniers du contribuables, et dont je
me suis fait l'écho à plusieurs reprises, comme dans la revue de finance
helvétique l'AGEFI. Je découvre d'ailleurs qu'à l'occasion de la crise Asiatique
de 1998, l'économiste prix Nobel de gauche Joseph Stiglitz se faisait également
l'avocat d'une telle solution, comme quoi lorsqu'on rentre dans le "dur" des
problèmes économiques, certaines solutions pragmatiques transcendent les
clivages politiques traditionnels.
Cette solution, que Stiglitz appelait à la fin du siècle dernier le "Super
Chapitre 11", par référence aux lois américaines sur les faillites, est bien
connue, par exemple, des actionnaires et des créanciers d'EuroTunnel: échanger
des titres de créance (obligations) contre des titres de propriétés (actions) de
l'entreprise, et ainsi, d'une part, donner un énorme bol d'oxygène à la
trésorerie de l'entreprise malade, et d'autre part, faire supporter une partie
du poids de la faillite à ceux qui ont été imprudents dans leur politique
d'investissements obligataires. Surtout, le passif du bilan des entreprises
concernées est soudainement assaini, ce qui permet aux entreprises concernées de
retrouver une certaine profitabilité du jour au lendemain, comme l'exemple du
Tunnel sous la Manche nous le prouve.
Cette solution, dans le cadre d'une faillite classique, a un seul défaut: elle
est en général longue, et dans le cas d'une faillite bancaire, le temps est
l'ennemi absolu. D'ailleurs, les faillites des banques Washington Mutual,
Wachowia, ou Colonial Bank, établissements de taille très respectable, ont été
gérées en un week end par la FDIC.
Zingales et d'autres estiment donc qu'une loi "super-chapitre-11", permettant de
prédéfinir pour chaque banque des règles préventives de faillite, avec formules
de calcul préétablies, devrait permettre de gérer la conversion dette-capital
(debt to equity swap) d'un simple trait de plume, "pendant la nuit" (overnight)
ou le week end. Cette vitesse ne pose pas de problème lors de la mise en oeuvre
des faillites selon le processus FDIC.
La proposition du Mercatus Center
Lorsque Zingales a exposé sa solution pour la première fois, je me demandais si
le droit américain (et le notre aussi, pour ne rien vous cacher), au niveau
constitutionnel, permettaient la mise en oeuvre d'un tel principe. Je n'en sais
toujours rien pour notre Hexagone, où le sujet semble n'intéresser personne. En
revanche, aux USA, la question est considérée avec un certain intérêt dans les
milieux financiers et académiques. Ainsi le Mercatus Center, think tank
d'inspiration libérale de l'université George Mason de la banlieue de
Washington, laquelle a donné à l'économie trois prix Nobel (James Buchanan,
Gordon Tullock, Vernon Smith), vient de publier une étude tout à fait
passionnante, intitulée: "Les faillites express, protection contre les futures
crises" (Speed Bankruptcies, a firewall to future crises, par Jones, Klutsey et
Christ - Janvier 2010), qui parvient aux conclusions suivantes:
1. Tout d'abord, les auteurs montrent que cette solution est non seulement plus
respectueuse du contribuable, mais aussi économiquement bien plus efficace que
les sauvetages par l'argent public, et mieux à même de protéger l'intégralité
des dépôts des épargnants et entreprises, et non un plafond. En outre elle
limite le risque de contagion de façon considérable.
2. De plus, leur analyse du droit libéral traditionnel montre que cette solution
n'est en rien contraire ni au droit de propriété, ni aux fondements du droit
américain et à la constitution, et qu'elle est politiquement acceptable par
l'opinion et les politiciens.
Le seul obstacle sérieux à la faisabilité de telles faillites est l'existence
sur les obligations d'écheveaux de produits dérivés (CDS) dont on ne sait pas
toujours identifier rapidement le détenteur de créance, mais il semble qu'il y
ait des études sérieuses sur la question (par Zingales, entre autres) montrant
que le problème, pour réel qu'il soit, n'est pas insurmontable.
La question du risque de contagion systémique mérite d'être évoquée. Tout
d'abord, les banques et assurances, lorsqu'elles se prêtent entre elles, tendent
à répartir leurs risques et à ne pas mettre tous leurs oeufs dans le même
panier. C'est ainsi qu'il a été révélé quelques mois après la faillite de Lehman
Brothers que bien que celle ci ait entraîné plusieurs milliards de pertes au
total pour l'establishment financier, le plus gros détenteur individuel de
créance, une banque japonaise, était exposé à hauteur d'un peu moins de 400
millions de dollars, ce qui est certes important mais tout de même pas vital.
Ajoutons que Jones et Al. préconisent de convertir prioritairement les dettes à
long terme, puis de ne s'attaquer aux dettes à moins de 5 ans que si nécessaire,
ce qui limite fortement, selon eux, les risques de fortes disruptions de flux de
cash.
D'autre part, si une faillite d'une très grande banque, ou d'un état souverain,
venait à se produire, et que le défaut de cette banque entrainait la conversion
en capital d'une très grosse dette privant le créancier d'un flux de cash d'une
façon susceptible de le mettre à son tour en situation d'insolvabilité, et
bien... Lui même devrait avoir recours à la même procédure.
Quant à l'argent des déposants, il n'aurait sans doute absolument rien à
craindre dans 95% des cas. En effet, l'étude du bilan de banques européennes
comme américaines montre que les dépôts des clients représentent généralement
moins de 60-65% du total du passif des banques, toutes catégories confondues, et
parfois moins de 50%. Il faudrait donc que les actifs soient dépréciés de plus
de 35 à 40% pour que les déposants se retrouvent en position de devoir être
"ratiboisés".
Mais cette solution heurte de front les intérêts des grandes banques d'affaires
et fonds d'investissement obligataires des compagnies d'assurance notamment, les
plus gros acheteurs et émetteurs obligataires du marché, qui préfèrent nettement
que l'état leur garantisse le paiement de leurs bons à une fraction aussi élevée
que possible de leur valeur faciale.
Effets collatéraux économiques et sociaux vertueux
Le très grand économiste Irving Fischer a décrit de façon très pédagogique les
implications économiques et sociales du niveau d'endettement des firmes en cas
de période conjoncturellement difficile.
Une entreprise en difficultés mais qui n'a pas de dettes va devoir réduire ou
supprimer ses paiements de dividendes à ses actionnaires, soit réduire les
investissements susceptibles de maintenir et d'augmenter la valeur de
l'entreprise pour les actionnaires, soit réduire sa masse salariale, par
licenciements ou par accord salarial, et le plus généralement, c'est une
combinaison de toutes ces restrictions qui sera retenue.
Mais les créanciers, eux, ne sont pas tenus de réduire contractuellement leur
droit de tirage sur l'entreprise en difficulté. Par conséquent, plus celle ci
sera financée par un fort effet de levier (dette), plus elle devra couper dans
les dividendes, l'investissement et la masse salariale pour satisfaire ses
créanciers. Fischer, s'appuyant sur l'étude de nombreuses crises dont la grande
dépression, en déduisait que la casse économique et sociale était d'autant plus
grande et la rémission d'autant plus longue à venir que le niveau d'endettement
des entreprises était élevé au moment du déclenchement de la crise.
Depuis, nombre d'études ont confirmé la validité des thèses de Fischer. Il est à
noter qu'en 1989, un jeune et prometteur économiste en devenir parvenait aux
mêmes conclusions. Un certain Ben Bernanke. Depuis, il semble avoir oublié ses
travaux de jeunesse !
Certes, les banques en défaut ont pu continuer à verser de gros bonus à leurs
cadres grâce à l'argent public, non sans avoir préalablement, pour la plupart,
sensiblement réduit leurs effectifs, outre Atlantique tout du moins. La "casse
sociale" dans la haute finance américaine a été toute relative en comparaison de
ce qu'a vu l'économie réelle. Mais les banques ont dû couper férocement dans
leurs investissements, et donc, dans ce cas d'espèce, dans le crédit aux petites
et moyennes entreprises. Un assainissement de leur passif par "faillite express"
leur aurait permis de moins serrer la vis de leurs clients, ce qui aurait sans
doute adouci la récession.
Ainsi, CitiGroup, par exemple, au lieu d'essayer désespérément de réduire la
taille de son bilan en bradant des actifs et en augmentant à 29,99% le taux
d'intérêt demandé aux clients de ses cartes de crédit, aurait pu
considérablement renforcer la structure de son bilan et assurer tant son avenir
que celui de ses clients en convertissant massivement ses dettes en capital.
Certes, cela ne l'aurait pas dispensé de restructurer son activité, car les
créanciers devenus actionnaires auraient exigé de telles actions pour espérer
rentrer dans leurs frais à plus long terme. Mais au moins la charge de la crise
aurait elle été majoritairement supportée par des investisseurs consentants,
adultes et pleinement conscients, on l'espère, des risques qu'ils prenaient au
moment où ils prêtaient leur argent à cette banque, qu'à des clients de
mainstreet dont la plupart sont totalement dépassés par des évènements dont ils
ne sont pas responsables et ne maîtrisent pas le cours.
Ajoutons enfin que créanciers et actionnaires, sachant que dans un tel schéma,
il n'y aurait quoiqu'il arrive pas de bailout, et conscient du risque de se voir
soit convertis en actionnaires, soit dilués par les créanciers, se montreraient
certainement plus regardants sur la qualité de certaines de leurs opérations, et
sans doute, les prêteurs exigeraient des "spreads" (primes de risque) plus
élevés lorsqu'ils prêteraient à des entreprises trop financées par effet de
levier, et les actionnaires limiteraient les vélléités de leur management de
vouloir trop augmenter la rentabilité des fonds propres par recours à l'effet de
levier.
Un bon processus de faillite est le meilleur remède anti contagion systémique
Couplée à une autre grande réforme que j'appelle de mes voeux, celle de
la
neutralité fiscale entre rémunération de la dette et du capital, la faillite
express par échange de dette contre capital serait la meilleure garantie contre
le sur-endettement et contre tout risque d'écroulement systémique du système
financier, et par la même, permettrait aux états de se débarasser sans crainte
de moult réglementations normatives de type préventif qui, nous l'avons vu,
seront toujours truffées d'effet pervers et qui iront à l'inverse de l'effet
recherché.
L'état pourrait donc se recentrer sur ses deux principaux rôles, la lutte contre
les malhonnêtetés et la garantie de la bonne application des règles de la
faillite, mais laisser les entreprises libres de la façon dont elles font leur
métier tant qu'elle le font honnêtement. Les régulations "préventives" se
limiteraient alors à exiger d'une part des contrats rédigés sans "pièges",
d'autre part un maximum de transparence dans les portefeuilles détenus par les
banques, ce qui permettrait aux investisseurs d'analyser eux mêmes ces actifs
sans avoir à passer par le filtre réducteur de quelques agences de notation en
situation d'oligopole.
Il est illusoire de vouloir empêcher les gens de se tromper et faire faillite,
l'erreur est humaine et consubstantielle à chacune de nos expériences. La
faillite, pour désagréable qu'elle soit pour ceux qui la vivent, n'en est pas
moins un épisode sain, si elle est bien gérée, de la vie économique, en ce sens
qu'elle permet aux différents investisseurs de reconnaître les erreurs faites et
de réallouer un certain nombre de ressources en conséquence.
Se doter, aux USA comme en France, d'une procédure de règlement des faillites
bancaires ultra-rapide par formules prédéterminées, par échange de dette contre
capital, capable de garantir les clients de nos banques contre le défaut de
l'une d'entre elles, voire même contre la faillite d'un état souverain, et ce
sans disruption de l'activité ni risque d'évaporation massive des comptes des
déposants, serait le meilleur service à rendre au secteur financier et à ses
clients, ainsi qu'à nos économies occidentales malades de leur niveau
d'endettement excessif.