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Pendant de nombreuses décennies, la finance enseignée dans les Grandes Ecoles
et les Universités s’est limitée à une approche normative. Tout un « corpus »
académique a été patiemment construit autour d’un certain nombre de postulats
prédéterminés, tels que : les acteurs économiques sont rationnels ; ils
cherchent donc à maximiser la valeur des actifs qu’ils détiennent ou des revenus
qu’ils perçoivent. A partir de ces hypothèses, il devient possible d’optimiser
un portefeuille, compte-tenu des caractéristiques (rentabilité/risque) des
produits qui le composent. De même, on peut sélectionner des projets
d’investissement, en fonction des « valeurs actuelles « nettes » qu’ils
représentent après application de la méthode DCF (« discounted cash flows »).
Plus récemment, une troisième dimension a été ajoutée : la flexibilité, qui
traduit dans un projet d’investissement, se mesure en utilisant un système «
d’options réelles » déclenchées à chaque étape du processus de réalisation de
l’investissement. Cependant, le principe fondamental de ces approches ne varie
pas : on s’intéresse à la finance uniquement, dans une vision normative : « ce
qui devrait se passer, si on veut atteindre l’objectif de maximisation de la
richesse ».
Dans cette optique, on utilise des instruments simplificateurs, tels que « la
loi de Gauss » (ou « loi normale »), l’hypothèse d’une courbe d’aversion au
risque stable, etc…Or, la réalité est beaucoup plus complexe. C’est pourquoi,
les financiers commencent à s’intéresser à la dimension psycho-sociologique de
la prise de décision, à travers la « théorie des jeux » qui permet de prévoir,
par exemple, les phénomènes de réactivité des traders (comportements «
moutonniers », contextes de « paniques » liés à l’éclatement d’une bulle
boursière, etc). En d’autres termes, on s’efforce d’explorer le champ de la
finance descriptive, qui est centrée sur l’étude des faits et es acteurs des
marchés.
Un premier exemple désormais connu : on constate que les variations boursières
obéissent à l’analyse fractale. Cette méthode, mise en lumière par Benoit
Mandelbrot (cf. son ouvrage : » la géométrie fractale de la nature »), montre
que la structure d’un cristal de sel, d’une feuille ou d’un arbre se répète à
l’infini, de l’échelle la plus grande à l’échelle la plus petite. De même le
contour de la France présente les mêmes creux et les mêmes bosses, selon que
l’on utilise une carte générale ou une carte très détaillée (carte d’état major)
: le changement d’échelle n’est pas discriminatoire. Si on transpose l’analyse
fractale aux graphiques boursiers, on constate que les variations annuelles,
mensuelles, hebdomadaires ou « intra-day » peuvent se superposer. L’existence de
« seuils » de résistance, ou de soutien, mis en évidence par les « chartistes »
n’a plus rien à voir avec les fondamentaux économiques des entreprises cotées !
Une autre illustration peut être trouvée dans le marché des changes. La finance
classique présuppose que les cours reflètent un équilibre correspondant à la «
parité des pouvoirs d’achat » (P.P.A). Selon cette théorie, l’euro devrait
valoir entre 1,15 et 1,20 dollar. Or depuis la création de l’euro, il y a 10
ans, cette valeur d’équilibre n’a été assurée que pendant environ 2 mois ! En
fait, les fluctuations ont dépassé 30% du cours d’équilibre, en plus ou en moins
selon les époques.
En outre, aucune prédiction sérieuse de son évolution ne peut être réalisée,
compte tenu de l’importance des mouvements spéculatifs sur cette parité. Toutes
les modélisations, fondées sur l’analyse des variables macroéconomiques (PIB,
taux d’intérêt, balance des paiements) se sont régulièrement montrées erronés.
En conséquence, il devient indispensable d’élargir l’enseignement de la finance
à cette nouvelle donne, à savoir la finance « descriptive ». Déjà, certains
cours intègrent l’analyse des « comportements » financiers et donne une place
plus importante à l’analyse « technique » (chartisme, moyennes mobiles, vagues
d’Elliott, etc.). D’autres remettent en cause certaines hypothèses de la finance
théorique classique (courbe de Gauss, stabilité des volatilités, etc…) en
tentant de modifier les hypothèses de base. La crise actuelle ne fait que
renforcer la nécessité d’une salutaire remise en question de la finance.
Bernard MAROIS
Professeur Emérite HEC PARIS
Président d’Honneur Club Finance HEC