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Les bulles spéculatives : typologie et conséquences

Par Vincent Benard

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Il est beaucoup question de "bulles", communément qualifiées de "spéculatives", dans la grande presse et la presse économique. Ainsi, nous avons connu, dans la période récente, la "bulle" des dot coms, la "bulle" immobilière, la "bulle" des matières premières, ou la "bulle" des bio-carburants et autres bulles vertes. Et j’ai exprimé, dans une note précédente, ma crainte que le rebond des marchés action observé depuis le point bas de mars 2009, ne soit qu’une "mini-bulle" qui se reforme au sein d’une plus grande en train d’éclater.

La connaissance des mécanismes bullaires est encore imparfaite. Personne n’a, à ma connaissance, expliqué pourquoi, à un moment donné, les foules se portaient sur tel type d’investissement plutôt que sur tel autre, et je ne donnerai pas de réponse à cette question, pourtant fascinante, parce que je ne l'ai pas.

Mais il est d’autres éléments de connaissance des bulles qui commencent à être bien connus, et qui font dire à ceux qui les ont étudiés que toutes les bulles ne se valent pas, qu’il existe plusieurs typologies de bulles, et qu’il est utile de les connaître pour mieux les comprendre.

Pourquoi la bulle immobilière a-t-elle eu de tels effets dévastateurs, alors que la bulle des dot-coms, par exemple, n’a été qu’une péripétie vite absorbée par les économies ?

Ces deux bulles sont différentes à la fois par la nature des actifs sous-jacents, et par leur mode de financement.

Spéculation sur le rendement vs. Spéculation sur la plus-value

Dans le cas des actions des sociétés de l’Internet naissant, qui ont vu leurs valorisations boursières atteindre des valeurs délirantes entre 1997 et mars 2000, date de l’éclatement de la bulle (après une première alerte en Aout 99), la "valeur" putative des actifs était liée à une estimation excessivement optimiste des retours sur investissement futurs. La bulle s’est dégonflée lorsque les investisseurs se sont rendus compte que sur 10 dotcoms, une seule avait un réel potentiel de rentabilité égal aux attentes, deux ou trois resteraient des grosses PME de l’Internet, et une bonne moitié n’étaient que des coquilles vides sans vrai business model. Rappelez-vous des valorisations délirantes de multimania ou de boo.com avant leur chute !

Le phénomène n’est pas nouveau, et les historiens rappelleront l’analogie avec la bulle des chemins de fers anglais qui s’est produite à partir de 1840. Là aussi, les investisseurs ont surestimé le potentiel commercial de ce nouveau moyen de transport. Par conséquent, les valorisations des compagnies de chemin de fer ont atteint des sommets, et des lignes sans réel potentiel commercial ont été financées à perte. Lorsque la banque d’Angleterre dût réaugmenter ses taux d’intérêts pour freiner l’emballement du crédit, les investissements se mirent à fuir les projets les moins rentables, coupant le robinet du crédit aux compagnies concernées, et faisant chuter la valeur des actions des compagnies qui n’avaient pas fait faillite.

Le phénomène de hausse des cours, dans ce cas, n’est pas lié à la rareté des projets à financer, mais à la rareté des "bons" projets. Il n’en va pas de même dans les bulles portant sur l’immobilier résidentiel.

Au contraire, la bulle sur l’immobilier résidentiel que nous venons de vivre porte sur un actif dont les occupants, propriétaires, n’attendaient aucun gain de rendement, aucun profit de nature industrielle, mais simplement une prise de valeur "en dormant", une plus-value assurée en cas de revente. Comme mes lecteurs le savent, cette sur-valorisation a été entrainée à la fois par des distorsions graves du marché du crédit (nombreux articles à partir de cette page), et par un facteur de rareté lié aux réglementations du sol appliquées dans une douzaine d’états, qui a fait que la bulle ne s’est pas produite sur tout le territoire américain.

Conséquences de l’éclatement des bulles

Les conséquences de l’éclatement de ces deux types de bulles sont différentes.

Dans le premier cas, certes, des investissements productifs ont été mal valorisés, certes, il y a eu sur-investissement dans des secteurs industriels au potentiel prometteur mais surestimé. Mais il n’en est pas moins resté de gros progrès technologiques, des lignes de chemin de fer qui, une fois rationalisées, ont soutenu les échanges et permis à la Grande Bretagne de continuer son développement, ou des logiciels et infrastructures de l’internet qui ont permis de poursuivre à un rythme plus sage le développement apaisé de sociétés sérieuses.

DDans le second cas, la création réelle de valeur a été faible. L’éclatement de la bulle ne fait que ramener le cours des actifs spéculatifs à leur norme historique, voire, au moins temporairement durant la phase de réajustement, en dessous. Il n’y a pas eu plus de maisons construites dans les états où la bulle a été intense que là ou elle a été inexistante, bien au contraire. Seuls les gagnants de la spéculation foncière (ceux qui ont converti du foncier non constructible en constructible) et ceux qui ont vendu à temps et racheté dans des endroits non bullaires ont gagné ce que ceux qui se sont fait piéger par le miracle de la propriété survalorisée ont perdu.

Quelques nuances

Certes, tout n’est pas "blanc" ou "noir". Certains spéculateurs sont entrés sur la bulle des dotcoms dans l’espoir d’un profit rapide, par achat et revente au bon moment. Il y a donc bien eu des spéculateurs de pure plus-value qui se sont greffés sur un phénomène général de spéculation sur des rendements futurs excessifs. Il n’en reste pas moins que dans leurs fondamentaux, les bulles des dotcoms ou des chemins de fer étaient des bulles entreprenariales. br />
Par contre, quand bien même bien des ménages empruntant "contre la valeur" de leur maison n’en n’ont pas eu nécessairement conscience, la bulle sur l’immobilier résidentiel a été une pure bulle de spéculateurs, dans lesquels les ménages ont spéculé sur leur capacité à revendre cher leur maison en cas de banqueroute, et où les banquiers ont spéculé sur la capacité de réaliser une plus value sur des maisons apportées en garantie d’un emprunt.

Là encore, la classification proposée n’est pas de type binaire. Certaines bulles dans l’immobilier commercial, les bureaux, ont été "mixtes", entre attentes sur les rendements futurs et espérance de revente avec profit liée à un facteur de rareté.
EEnfin, je n'évoque pas d'autres bulles, encore différentes, comme celles qui peuvent se former sur des matières premières à cause de ruptures brutales dans l'équilibre de l'offre et de la demande, pour conserver cet article dans des proportions raisonnables.


Financement par l’épargne vs. financement sur-leveragé.

En 1840, le niveau de fonds propres des banques anglaises était très supérieur à ce qu’il est aujourd’hui, et malgré les interventions d’une banque centrale sur la monnaie et les taux d’intérêt, la discipline de l’étalon or qui pesait alors sur la livre a eu tôt fait de couper les ailes aux emprunteurs imprudents. Ajoutons que les compagnies de chemin de fer, aux standards de l’époque, ont dû maintenir des niveaux de fonds propres suffisants pour pouvoir emprunter : les ratios de dette sur fonds propres (le "levier"), durant cette bulle, n’ont jamais atteint les sommets que l’on a observés ces dernières années dans les banques. br />
De même à la fin des années 90, les dot.coms se sont financées à coup d’appels au capital. Les investisseurs ont massivement joué leur argent, et les entreprises concernées, quand bien même elles ont eu recours au crédit, ont d’abord risqué les fonds propres apportés par des actionnaires eux même peu leveragés. Ajoutons que lorsque ces sociétés se sont endettées, elles ont beaucoup fait appel à l’émission d’obligations sur les marchés boursiers, obligations souscrites en partie par des épargnants jouant leurs économies mais globalement peu financés par la dette.

Au contraire, la bulle immobilière a été financée par des banques à taux de fonds propres faibles, qui devaient donc se refinancer en grande partie par l’emprunt sur les marchés de capitaux, et qui ont prêté à des ménages eux même très peu solvables et pauvres en apport personnel, c’est à dire eux-mêmes très leveragés.

BBref, les bulles technologiques, de nature entreprenariales, ont été majoritairement financées par de l’épargne et des effets de levier raisonnables, alors que les bulles immobilières ont été essentiellement alimentées par du crédit bancaire trop laxiste, avec des effets de levier considérables.

Conséquences du mode de financement des bulles lors de leur éclatement

Dans le cas des bulles à fort financement par l’épargne, l’éclatement ne fait que laisser au mauvais investisseur ses yeux pour pleurer, mais les effets de levier raisonnables induits n'entraînent pas un choc insurmontable pour l’économie. L’argent du mal-investissement continue de circuler, il va juste se réallouer sur d’autres projets plus rentables. L’éclatement de telles bulles est donc un phénomène certes pénible pour ceux qui laissent leur chemise, mais fondamentalement pas dramatique pour l'économie dans son ensemble. br />
Au contraire, l’éclatement d’une bulle financée par très fort effet de levier laisse sur le carreau des milliers d’agents économiques insolvables, dont la défaillance désolvabilise à leur tour les créanciers, et ainsi de suite, dans une spirale vicieuse qui ne s’arrête que lorsque la pyramide de dettes à fondu par faillite, par échange de dettes contre du capital, ou tout autre mécanisme susceptible de "déleverager" les agents économiques, pardon pour le néologisme peu élégant.

DDe fait, on peut dire que les bulles d’investisseurs financées par appel large à l’épargne sont les moins dangereuses pour l’économie, alors que les bulles d’attentes de plus value sur des biens non producteurs de valeur, financées par le recours abusif au crédit, sont potentiellement les plus désastreuses.

La monnaie, le crédit et les bulles

Contrairement à ce qu’affirment certains auteurs par ailleurs tout à fait respectables, il n’est pas nécessaire que les taux d’intérêts soient bas pour que se crée une bulle. Le début des phénomènes bullaires, tant sur le chemin de fer Britannique, que sur l’immobilier US, ou sur les dot-coms, est survenu lors de phases de taux d’intérêts élevés, voir même en phase de légère augmentation. Ainsi, aux USA, la hausse de l'immobilier a commencé dès 1999, alors que les baisses de taux reprochées à Alan Greenspan n'ont commencé que fin 2001.

Par contre, dans les deux premiers cas, la baisse, pour de toutes autres raisons, des taux d’intérêts par les banques centrales, alors que la bulle était en formation, a contribué à amplifier sa taille au-delà de ce qu’elle aurait été si une pure monnaie de marché avait existé, poussant à la hausse les taux d’intérêts au fur et à mesure que la demande de crédit augmentait.

Une monnaie de marché, fondée, par exemple, sur des signes monétaires représentant des créances sur des actifs tangibles détenues par les banques émettrices (par exemple l’étalon or), constitueraient non pas un garde fou absolu contre bulles, car elles n’empêcheraient pas les erreurs d’estimation collectives sur la valeur des choses. Mais elles agiraient comme une valve de sécurité qui empêcherait les bulles de crédit d’atteindre des proportions dommageables pour l’économie, et ce serait déjà beaucoup.

Sortir de la bulle actuelle

La bulle actuelle est une bulle de pyramide de dettes, fondées sur des espoirs abusifs de gains liés à un facteur de rareté d’un bien non productif. br />
LLa réponse des gouvernements à cette bulle a consisté majoritairement à essayer de maintenir artificiellement les cours de l’immobilier élevé (primes à l’achat aux USA, Scellier en France, etc…), tout en émettant de la dette publique pour racheter la mauvaise dette privée. C’est la pire des façons de procéder, puisqu’elle transforme l’état en spéculateur sur la valeur de revente d’un bien, mais dans des conditions où l’on sait qu’il n’a aucune chance de récupérer la valeur des créances rachetées. Même la FED estime que les 11.6 milliers de milliards de dollars de rachats et garanties diverses accordées pour sortir de la crise ne sont couverts qu’à 75%, et encore cette estimation parait elle outrageusement optimiste à nombre d’observateurs.

La seule bonne réponse aurait été de laisser l’immobilier retourner à ses cours historiques, et à déléverager la pyramide de dettes suivant des mécanismes d’échanges de dette contre capital déjà évoqués ici, de façon à transformer les reliquats de la bulle en prises de risques fondées sur des fonds propres.

D’autre part, les gouvernements devraient sérieusement se pencher sur les facteurs de rareté qui font de l’immobilier un bien aussi volatil. Songeons que la Grande Bretagne subit sa quatrième bulle en 40 ans ! Mais les trois précédentes (70,79,90) avaient été plus qu’aujourd’hui financée par des apports personnels et donc un effet de levier des ménages moins important, du fait des taux d’intérêts plutôt élevés qui prévalaient alors. Elles n’avaient donc pas eu la même ampleur et les mêmes conséquences économiques que l’actuelle, quand bien même elles ont renchéri un poste de dépenses de façon préjudiciable au pouvoir d’achat et à la compétitivité de l’économie britannique.

Abroger toutes les réglementations qui poussent à la hausse la volatilité de l’immobilier lorsque la demande est accrue par un crédit bon marché, pour en finir avec les bulles immobilières, serait l’une des meilleures décisions à prendre pour l’économie des années futures.

Enfin, revenir à un système monétaire auto-discipliné, dans lequel une hausse de la demande de crédit renchérit le crédit avant qu'il ne soit trop tard, est la condition sine qua non d'une sortie de cette économie "stop and go" dont les phases de contraction peuvent se révéler particulièrement dévastatrices.

Vincent Benard

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