Les marchés financiers donnent-ils sa vraie valeur à l'eau ?
Par Novethic.fr
Bien indispensable à la vie mais voué à une rareté
croissante, l’eau est aussi une thématique financière. Sur le modèle des fonds
verts, il existe des fonds eau qui s’efforcent de rassembler, les entreprises
susceptibles de transporter ou dépolluer l’eau…Pas toujours aussi performants et
beaucoup moins nombreux que les fonds thématiques sur les énergies nouvelles,
ils offrent, selon leurs promoteurs, de vraies promesses.
« L’eau n’est pas que précieuse, elle a de la valeur ». Les concepteurs du fonds
eau de Crédit Agricole Asset Management (CAAM) ont une rhétorique de
présentation de leur produit « Aqua Global » plutôt complexe. Destinée à
convaincre les investisseurs potentiels des « opportunités » que présente ce
type de placements, elle doit éviter une posture cynique, insouciante des drames
qu’engendre le manque d’eau ou le seul accès à une eau polluée. L’équation est
la suivante : l’eau est de plus en plus rare, son prix augmente constamment,
tout comme les besoins en investissements pour amener et distribuer de l’eau
potable aux populations.
Les dépenses nécessaires pour construire les infrastructures indispensables ou rénover celles qui existent sont si importantes que le secteur public peut difficilement les assumer seul. Quelques chiffres pour illustrer ces propos : un marché global estimé à 365 milliards de dollars, un taux de croissance des besoins en eau en augmentation de 1325 % dans la zone Asie Pacifique et de 100 % en Europe de l’Ouest, entre 2000 et 2015 mais aussi 40 % de perte en eau sur le réseau de distribution londonienne. Toutes ces données ont conduit les créateurs d’Aqua Global à rassembler dans ce fonds dédié qui existe depuis un an, des entreprises qui pour 80 % d’entre elles sont des services publics et biens d’équipement. CAAM souhaite qu’une partie significative du chiffre d’affaires soit réalisé directement sur des activités liées à l’eau (au moins 25 %).
Pour Antoine Sorange, gérant du fonds : « C’est ce qui nous différencie de fonds concurrents. Nous avons même atteint aujourd’hui le cap de 67 % des revenus des entreprises de notre portefeuille liés au thème de l’eau. Cela fait de notre fonds un « pur thématique ». Il ajoute : « Nous avons un autre atout : notre grille d’évaluation intégrant des critères ESG (Environnement, Social et Gouvernance). Nous regardons par exemple la politique des entreprises sur la corruption et nous excluons le secteur de l’eau en bouteille pour des raisons éthiques et environnementales. Les bouteilles d’eau minérale sont trop chères pour être une solution de masse dans les pays émergents, et la fabrication et le recyclage des bouteilles ont un impact environnemental problématique.»
Coûts exorbitants
Chez Pictet, société de gestion suisse qui a lancé le premier fonds eau en 2000, on évoque les mêmes raisons fondamentales d’investir dans l’eau : demande en augmentation constante, ressources en voie de raréfaction et nécessité de perfectionner les recherches pour répondre aux besoins de dépollution de type nouveau.
. Une usine de puces électroniques utilise environs 400 000 litres d’eau par heure.
. Il faut 1000 litres d’eau pour produire 1 kilo d’oranges.
. 70 % de l’eau douce est utilisée pour l’agriculture, 22% pour l’industrie.
. En Chine 80 % des grands axes fluviaux sont tellement pollués que les poissons n’y vivent plus. Les 40 millions de tonnes de déchets industriels déversées chaque jour dans le Yang Tsé le rende impropre à l’irrigation.
Source : Pictet
Elle aussi attire les investisseurs en dressant un tableau plutôt inquiétant du « stress hydrique » de la planète (voir encadré) mais intègre des vendeurs d’eau en bouteille comme Nestlé ou Danone. Philippe Rohner, son gérant, explique qu’il conçoit les métiers de l’eau comme ceux rassemblant les services capables de l’acheminer. Il le compare à la téléphonie. « Il y a le téléphone fixe, ce sont les canalisations amenant l’eau potable, et les mobiles, auxquels on peut comparer l’eau en bouteille. » Il connaît sur le bout des doigts les diverses situations mondiales, sait que telle ville américaine utilise les mêmes canalisations pour amener l’eau potable et éteindre les incendies ou encore que toute l’eau indispensable pour faire tourner la base militaire de Guantanamo est exportée de la Floride vers Cuba. « Ces coûts exorbitants n’ont pas encore été détectés par les radars du marché » précise-t-il « mais ils y viendront. A quelle échéance ? Difficile de le préciser. »
«Nous sommes des spécialistes de l’ISR » explique Hervé Thiard, responsable du marketing de Pictet « mais notre fonds eau intègre une gamme de fonds thématiques dont la particularité est d’être sur des secteurs de très long terme. Nos clients le classent naturellement dans la catégorie développement durable.»
Si les fonds eau proposés aux investisseurs français n’ont pas forcément de bénéfice environnemental direct, ils devraient en principe échapper au risque de « bulle verte ». Cette menace financière pèse sur les fonds verts pour beaucoup de spécialistes, puisqu’ils sont très souvent investis sur les même entreprises du solaire et de l’éolien, qui du coup ont des valorisations très supérieures à leurs actifs, matériels ou immatériels. A l’inverse, le « secteur » de l’eau est sous-évalué par le marché qui n’a pas encore assimilé la rareté de ce que les spécialistes ont d’ores et déjà baptisé « l’or bleu ».
A.C. Husson-Traoré (novethic.fr)