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Succession : pourquoi les héritiers d'un compte-titres paient-ils plus cher ?


Actualité publiée le 28/08/25 09:06

Madame et Monsieur X n'en revenaient pas. À la mort de leur mère, ils découvrent avec stupéfaction que la liquidation de son portefeuille d'actions leur coûte bien plus cher que prévu. La commission de courtage facturée par la banque est nettement supérieure à ce qu'aurait payé leur mère de son vivant, grâce au forfait préférentiel qu'elle avait souscrit. Cette situation, rapportée par le médiateur de l'Autorité des marchés financiers (AMF) auprès du Journal Économique, illustre un phénomène méconnu mais répandu : les héritiers d'un compte-titres se retrouvent souvent confrontés à des frais plus élevés que ceux du défunt.

Cette réalité soulève une question fondamentale pour des millions de Français détenteurs de comptes-titres : pourquoi les avantages tarifaires négociés par le titulaire original ne bénéficient-ils pas à ses héritiers ? Et surtout, comment anticiper cette situation pour éviter les mauvaises surprises au moment de la succession ?

Le principe "intuitu personae" : quand les avantages meurent avec leur titulaire

La réponse à cette interrogation réside dans un principe juridique fondamental : les conventions bancaires sont conclues "intuitu personae", c'est-à-dire en considération de la personne elle-même. Cette notion, qui peut paraître abstraite, a des conséquences très concrètes sur le portefeuille des héritiers.

Concrètement, cela signifie que tous les avantages tarifaires négociés par le défunt - forfaits préférentiels, conditions spéciales, tarifs dégressifs liés à l'ancienneté ou au volume des transactions - prennent automatiquement fin au moment du décès. Les héritiers se retrouvent alors soumis aux conditions générales de banque applicables aux comptes d'indivision successorale, généralement moins avantageuses.

Cette règle s'applique même dans des situations où elle peut sembler particulièrement injuste. Dans le cas rapporté par l'AMF, la mère bénéficiait d'un tarif préférentiel pour les ordres passés via internet, l'application mobile ou par téléphone. Mais le notaire chargé de la succession, n'ayant accès à aucun de ces canaux, a dû transmettre l'ordre de vente par courrier, déclenchant automatiquement l'application du tarif standard, bien plus élevé.

L'établissement bancaire était parfaitement dans son droit en appliquant cette tarification. Comme l'explique le médiateur de l'AMF : "Les conditions tarifaires spécifiques, souscrites par le client, prennent nécessairement fin quand ce dernier décède." Cette position, bien qu'elle puisse paraître rigide, s'appuie sur des fondements juridiques solides.

Les contraintes procédurales qui alourdissent la facture

Au-delà du principe juridique, les héritiers font face à des contraintes procédurales qui contribuent à alourdir les coûts. Contrairement au titulaire original qui pouvait gérer son compte en toute autonomie, les héritiers doivent composer avec un cadre beaucoup plus rigide.

Premièrement, ils ne peuvent pas utiliser les canaux de communication privilégiés du défunt. L'application mobile, l'espace client en ligne, ou même les numéros de téléphone dédiés aux clients privilégiés deviennent inaccessibles. Cette limitation technique force le recours aux canaux traditionnels - courrier, agence - généralement plus coûteux.

Deuxièmement, la gestion d'une succession implique souvent l'intervention d'un notaire, qui devient l'intermédiaire obligé pour de nombreuses opérations. Or, les notaires n'ont pas accès aux outils numériques de la banque et doivent procéder par voie postale ou en se déplaçant en agence, déclenchant automatiquement l'application des tarifs les plus élevés.

Cette situation crée un paradoxe : alors que les banques encouragent leurs clients à utiliser les canaux numériques moins coûteux, les contraintes légales de la succession rendent ces canaux inaccessibles aux héritiers, qui se retrouvent mécaniquement orientés vers les services les plus onéreux.

Des avantages fiscaux qui compensent partiellement les surcoûts

Si les frais de gestion augmentent, les héritiers d'un compte-titres bénéficient en revanche d'avantages fiscaux non négligeables qui peuvent compenser, au moins partiellement, ces surcoûts.

Le principal atout réside dans la "remise à zéro" fiscale des plus-values latentes au moment du décès. Contrairement à ce qui se passe de son vivant, où le détenteur doit payer l'impôt sur les plus-values réalisées, les héritiers récupèrent les titres avec un prix de revient réévalué au jour du décès. Cette réévaluation efface complètement la fiscalité sur d'éventuelles plus-values latentes qui existaient dans le portefeuille.

L'administration fiscale laisse même le choix aux héritiers entre deux méthodes de calcul pour déterminer cette nouvelle valeur de référence : soit le cours moyen au jour du décès (moyenne entre le plus haut et le plus bas de la séance), soit la moyenne des 30 derniers cours de clôture précédant le décès. Cette flexibilité permet d'optimiser la situation fiscale en choisissant la méthode la plus favorable, titre par titre.

Pour illustrer l'ampleur de cet avantage, prenons l'exemple d'un portefeuille de 100 000 euros présentant une plus-value latente de 50 000 euros. Si le défunt avait vendu ces titres de son vivant, il aurait dû régler la flat tax à hauteur de 30% sur 50 000 euros, soit 15 000 euros d'impôts. Une fois transmis aux héritiers, non seulement ces titres ne sont plus soumis à l'impôt s'ils les vendent immédiatement, mais ils peuvent encore progresser de plusieurs milliers d'euros avant de commencer à créer une plus-value imposable.

Cette remise à zéro fiscale peut se révéler particulièrement avantageuse pour les actionnaires historiques de grandes sociétés françaises, possédant des portefeuilles présentant de très fortes plus-values accumulées sur plusieurs décennies. Dans certains cas, l'économie d'impôt réalisée peut largement dépasser les surcoûts de gestion supportés par les héritiers.

La complexité de la gestion en indivision

Lorsque plusieurs héritiers se partagent un compte-titres, la situation se complique encore davantage. Le compte devient alors un bien indivis, soumis à des règles de gestion collégiale qui peuvent s'avérer particulièrement contraignantes et coûteuses.

En principe, toute décision concernant le portefeuille doit être prise à l'unanimité des héritiers. Cette exigence, qui peut paraître démocratique, devient rapidement un casse-tête en pratique. Imaginez trois frères et sœurs héritant du portefeuille de leurs parents : l'un souhaite tout vendre immédiatement pour récupérer des liquidités, le deuxième préfère conserver les actions de grandes entreprises françaises mais se séparer des valeurs technologiques, et le troisième veut maintenir l'allocation d'origine en mémoire de ses parents.

Cette situation d'indivision génère des coûts supplémentaires à plusieurs niveaux. D'abord, chaque opération nécessite l'accord écrit de tous les héritiers, multipliant les échanges de courriers et les frais administratifs. Ensuite, la banque applique généralement des frais de gestion majorés pour les comptes d'indivision, considérés comme plus complexes à administrer.

Plus problématique encore, les intérêts des héritiers sont rarement alignés. Leurs situations financières personnelles, leur tolérance au risque, leurs besoins de liquidités ou leurs convictions d'investissement divergent souvent. Cette divergence peut paralyser la gestion du portefeuille pendant des mois, voire des années, avec pour conséquence une érosion progressive de la valeur due aux frais de garde et à l'impossibilité d'adapter l'allocation aux évolutions de marché.

Comment anticiper et limiter les surcoûts ?

Face à ces enjeux, plusieurs stratégies permettent d'anticiper et de limiter les surcoûts pour les héritiers.

La première consiste à négocier dès maintenant des conditions tarifaires familiales avec sa banque. Certains établissements proposent des forfaits "famille" qui s'appliquent automatiquement aux héritiers directs, évitant la rupture tarifaire au moment du décès. Cette négociation est d'autant plus facile que le patrimoine géré est important.

La deuxième stratégie implique de diversifier les enveloppes de placement. Plutôt que de concentrer tout son patrimoine financier sur un compte-titres, il peut être judicieux de répartir entre compte-titres (pour la flexibilité et l'effacement des plus-values), assurance-vie (pour les avantages successoraux) et PEA (pour la fiscalité avantageuse de son vivant, même si ce dernier se clôture automatiquement au décès).

La troisième approche consiste à informer ses héritiers des spécificités du compte-titres et des changements tarifaires à prévoir. Cette transparence permet d'éviter les mauvaises surprises et de préparer les décisions post-succession. Il peut être utile de documenter les raisons du choix du compte-titres (flexibilité d'investissement, plus-values latentes importantes) pour aider les héritiers à prendre les bonnes décisions.

Enfin, la liquidation rapide peut parfois être la solution la plus économique. Si les plus-values latentes sont importantes et que les héritiers n'ont pas de projet d'investissement commun, vendre rapidement les titres permet de bénéficier pleinement de la remise à zéro fiscale tout en évitant les frais de gestion prolongés de l'indivision.

Une réforme nécessaire ?

Dans l’actualité économique, cette situation soulève la question d'une éventuelle réforme. Précédemment, la loi du 13 mai 2025 a réformé les frais bancaires de succession en les supprimant pour les enfants mineurs et en les plafonnant à 1% pour les cas complexes. Cette évolution montre une prise de conscience des pouvoirs publics sur les coûts excessifs supportés par les familles endeuillées.

L'évolution des pratiques bancaires pourrait également apporter des solutions. Certains établissements commencent à proposer des comptes-titres "familiaux" où les conditions tarifaires survivent au titulaire principal. Cette innovation, encore marginale, pourrait se généraliser si la concurrence s'intensifie sur ce segment.

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