« Il manque 6 milliards maintenant, et ce n’est que le début. » En une phrase, Pierre Moscovici, président de la Cour des comptes, a planté le décor. Le jeudi 10 avril, l’institution a livré au gouvernement son tout premier rapport dédié spécifiquement aux retraites. Les chiffres sont nets : 15 milliards de déficit attendus d’ici 2035, 30 milliards en 2045. Derrière les courbes, c’est un déséquilibre systémique que pointe la Cour, aggravé par des décisions politiques et des inégalités sociales de plus en plus criantes.
Le rapport arrive dans un moment charnière. Les partenaires sociaux viennent tout juste de s’engager dans une nouvelle concertation sur les retraites. Mais les marges de manœuvre semblent étroites, tant les signaux sont inquiétants. Et ce n’est pas seulement une affaire de chiffres : c’est une question d’équité, générationnelle et sociale.
Un déficit structurel qui s’annonce durable
La sonnette d’alarme est tirée avec insistance. Pour 2025, la Cour prévoit un besoin immédiat de 6 milliards d’euros, et les projections à moyen terme ne font qu’amplifier l’inquiétude. À horizon 2045, le déséquilibre du régime atteindrait 30 milliards d’euros, sauf inflexion forte.
Plusieurs facteurs nourrissent cette spirale : le vieillissement de la population, un taux d’emploi encore trop faible (actuellement 68 %), mais aussi l’indexation automatique des pensions sur l’inflation, jugée peu soutenable à long terme. Le rapport propose de revoir cette règle, en la remplaçant par une indexation sur les salaires, qui favoriserait selon elle une meilleure équité intergénérationnelle.
Les experts de la Cour insistent aussi sur un autre levier : le taux d’activité des seniors. Si la dernière réforme a permis une hausse globale du taux d’emploi, elle a aussi généré des effets pervers. De nombreux seniors se retrouvent dans un entre-deux : ni en emploi, ni en retraite, c’est-à-dire souvent en chômage, invalidité ou maladie.
Une réforme qui creuse les inégalités sociales
Le recul de l’âge de départ n’a pas le même goût pour tous. Pour les ouvriers, les femmes, et les salariés fragiles, le report de la retraite signifie surtout une prolongation du temps passé sans revenu d’activité ni pension. L’écart d’espérance de vie à 65 ans est lui aussi parlant : trois ans de différence entre les cadres et les ouvriers pour les hommes, deux ans pour les femmes.
Le dispositif des carrières longues ne corrige qu’en partie ces inégalités. Il bénéficie surtout aux pensions moyennes (entre le 5e et le 8e décile), tandis que les retraités les plus modestes — les quatre premiers déciles — n’en représentent que 13 %.
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Pierre Moscovici l’a martelé lors de la présentation : « L’équité à l’intérieur d’une même génération n’est pas garantie. Cet enjeu doit rester central. » Il a également regretté un système devenu trop rigide, trop uniforme, et peut-être aussi trop public, appelant à davantage de flexibilité et d’adaptation aux parcours professionnels variés.
Des pistes économiques sous haute tension
Le rapport de la Cour n’a pas vocation à proposer une réforme clé en main. Mais il explore plusieurs hypothèses financières : âge de départ à 63 ou 65 ans, nouvelles règles d’indexation, relèvement du taux d’emploi. Il écarte en revanche un retour à 62 ans, qui alourdirait encore davantage le déficit.
Derrière les constats techniques, la question de la compétitivité économique revient aussi sur la table. Les exonérations de cotisations sociales (près de 20 milliards d’euros rien que pour les retraites) ont contribué à alléger les coûts salariaux, notamment pour les bas salaires. Mais à l’autre extrémité, les charges sur les hauts revenus restent très élevées, ce qui pourrait freiner l’emploi très qualifié.
Autant de tensions qui rendent l’équation politique de plus en plus complexe. Les partenaires sociaux viennent à peine de s’asseoir à la table des négociations que le Premier ministre anticipe déjà un possible échec, évoquant une loi même sans accord global. Dans ce contexte, le rapport de la Cour fait figure de signal rouge. Et d’invitation
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