Politique monétaire : la nouvelle guerre des voix qui paralyse la FED
Par Vincent Barret
La semaine dernière, un phénomène étrange s'est produit sur les marchés à terme. La probabilité d'une baisse des taux lors de la réunion du 10 décembre a chuté brutalement, passant de 70 % le lundi à 42 % le vendredi.
Pourtant, aucune statistique économique majeure n'a été publiée. Jerome Powell, le président de la Fed, n'a pas prononcé un mot. Alors, qu'est-ce qui a changé ?
La réponse réside dans une nouvelle arithmétique du pouvoir : la politique monétaire ne dépend plus de ce que le président souhaite, mais d'un décompte froid des voix. Il faut 7 voix sur 12 pour faire bouger les lignes. Et aujourd'hui, ces 7 voix ne sont plus alignées.
La nouvelle carte électorale du FOMC
Pour comprendre le blocage actuel, il faut regarder la composition des forces en présence. Le Comité de politique monétaire (FOMC) est désormais fracturé en trois camps distincts, rendant l'issue de la prochaine réunion plus incertaine que jamais.
Voici l'état des lieux des 12 votants :
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Les "Colombes" (4 voix) : Ils plaident pour une poursuite de l'assouplissement.
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Ce groupe inclut Waller, Bowman et Williams.
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Le plus radical est le gouverneur Stephen Miran, qui brise les codes en réclamant publiquement une baisse d'au moins 50 points de base.
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Les partisans du Statu Quo (5 voix) : Ils estiment qu'après deux baisses, il est temps de faire une pause.
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Ce bloc, actuellement majoritaire, comprend Barr, Musalem, Schmid, Goolsbee et Collins.
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Les Indécis (3 voix) : Les arbitres du match.
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Ce groupe inclut Jerome Powell lui-même, ainsi que Cook et Jefferson.
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L'équation est simple : pour qu'une baisse des taux ait lieu en décembre, Powell doit convaincre les indécis et faire basculer au moins un membre du camp du "statu quo". Sans cela, la Fed s'arrêtera là.
La fin de 40 ans d'hégémonie présidentielle
Pendant quatre décennies, de Volcker à Yellen, la politique monétaire américaine était, de facto, déterminée par une seule personne : le président de la Fed. Les autres membres s'alignaient, souvent au nom de la cohésion.
La Fed justifiait cette unanimité de façade par la nécessité de réduire l'incertitude des marchés. Une voix unique rendait la politique "efficace" et le message "clair". Mais cette ère est révolue.
Deux facteurs majeurs ont brisé cette dynamique :
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La politisation par Donald Trump : Ses attaques répétées et virulentes contre Jerome Powell ont fissuré le mythe de l'institution sacrée et intouchable. En ciblant l'homme, il a affaibli la fonction.
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L'effet "Miran" : Les prises de position très publiques et décomplexées du gouverneur Stephen Miran ont agi comme un détonateur. Il a brisé l'emprise psychologique du président sur le comité.
La logique est implacable : si un gouverneur peut ignorer la pensée de groupe, publier ses propres billets de blog pour justifier ses choix et donner des interviews contradictoires, pourquoi les autres s'en priveraient-ils ?
Le paradoxe de l'indépendance
Nous nous retrouvons donc avec 12 votants réellement indépendants.
Si cette tendance se confirme, c'est la fin des votes unanimes "à la soviétique" au sein de la Fed. Est-ce une bonne chose ?
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Le risque : Une volatilité accrue. Les marchés ne peuvent plus se fier à la seule parole du président pour anticiper l'avenir.
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L'opportunité : Une correction d'erreur plus rapide. Le vote indépendant ne garantit pas que la décision initiale sera meilleure, mais il assure que les votants reconnaîtront plus vite leurs erreurs. Un comité divisé est un comité qui débat, et qui peut changer de cap plus vite qu'un monilithique têtu.
C'est précisément ce qui pourrait se passer en décembre : face à la résistance interne, la Fed pourrait choisir la prudence et faire une pause.
L'ironie du sort pour Donald Trump
La situation actuelle recèle une ironie mordante. En cherchant à placer "ses" candidats pour influencer la Fed et obtenir des taux bas, Donald Trump a involontairement rendu l'institution plus indépendante structurellement, mais moins soumise à son chef.
Si Trump parvient à nommer un successeur à Powell, ce nouveau président héritera d'une chaise, mais pas du sceptre. Il ne sera qu'une voix parmi 12.
Même s'il souhaite abaisser le taux directeur à 1 %, il se heurtera à 11 autres votants qui ont désormais pris goût à l'indépendance. À moins que les données économiques ne justifient un tel mouvement, le prochain président de la Fed pourrait se retrouver aussi impuissant que l'actuel face à la dictature de la majorité du comité.
La Fed est devenue une démocratie parlementaire, et pour les marchés habitués à une monarchie absolue, le réveil est brutal.