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La question posée par le titre de cette note peut sembler excessivement
provocatrice, en ces temps où tout le monde a envie de croire que la "reprise"
que nous annoncent les oracles de la presse économique est solide, durable, et
que les politiques néo-keynesiennes lancées un peu partout dans le monde vont
produire enfin des résultats positifs. Et puis ces grandes banques ne
viennent-elles pas de rembourser avec fracas les aides reçues au titre du grand
"sauvetage" de la fin 2008 ?
Au reste, si les outils de gestion d'un écroulement du système bancaire, qu'il
soit américain ou autres, étaient correctement conçus, tout l'exposé qui suit ne
prêterait qu'à rendre nerveux certains gros investisseurs. Mais comme ce n'est
pas le cas, nous en sommes réduits à nous faire peur en observant la course
inexorable du secteur bancaire américain vers un mur de dettes non remboursables
désormais semble-t-il totalement inévitable.
Sur quelles bases ?
Barney Frank allume une mèche
Le représentant démocrate Barney Frank, autrefois défenseur
acharné des privilèges financiers de Fannie Mae et Freddie Mac, grand promoteur
des plans de sauvetage bancaire - il a été un des grands
bénéficiaires de dons aux campagnes électorales par les cadres de Wall
Street, mais c'est un pur hasard, bien sûr... - a depuis jugé politiquement
profitable d'ouvrir les yeux sur l'état réel des finances bancaires.
Dans une lettre adressée aux CEO des 4 plus grandes banques du pays
(Citi, Wells Fargo, JP Morgan et Bank of America), il les supplie de bien
vouloir intégrer dans leurs comptes une perte égale à la totalité des encours de
créances dites de "second rang", afin de permettre aux détenteurs de dettes de
premier rang de pouvoir se lancer dans la renégociation des termes des emprunts
immobiliers avec les emprunteurs en difficulté.
Tout ce charabia mérite quelques éclaircissements. J'ai eu l'occasion de
préciser que les prêts les plus exotiques avaient fait l'objet d'une "titrisation
par tranche", c'est à dire que des banques avaient racheté des prêts
par paquets de plusieurs milliers (le "collatéral"), les avaient mis dans un
"fonds", lequel fond finançait le rachat de ces paquets de prêts en émettant lui
même des obligations auprès du grand public, en se gardant une marge. En
général, ces obligations se divisaient en trois tranches, une tranche "pourrie"
à fort taux d'intérêt destinée aux spéculateurs et qui absorbait toutes les
premières pertes du fonds si pertes il y avait, une tranche de "second rang" de
risque et de rémunération intermédiaire, absorbant les pertes suivantes, et une
tranche de premier rang ne devant supporter le premier dollar de pertes qu'une
fois que les deux autres avaient "mordu la poussière", et qui devait être aussi
sûre qu'un bon du trésor (notation AAA) tout en étant mieux rémunérée.
Tant que tous les emprunteurs payaient leurs mensualités, tout allait bien.
Seulement voilà : le marasme est tel que non seulement la plupart des tranches
pourries ont "sauté", mais les pertes affectant les tranches de second ordre
sont telles que même les obligations de premier rang sont touchées.
Le courrier de Barney Frank indique que nombre de détenteurs d'obligations de
premier rang seraient prêts à accepter que les banques détentrices des emprunts
collatéraux en renégocient les termes (capital restant dû réduit, ou taux
abaissés) pour permettre de desserrer l'étreinte autour de la jugulaire des
emprunteurs, et donc des banques. Ces détenteurs, ainsi, accepteraient
d'engranger une perte maintenant, pour tenter de sauver un pourcentage correct
de leur placement à long terme.
Seulement voilà, tant que les dettes de second rang n'ont pas été purgées,
impossible de toucher à la dette de premier rang ! Car les détenteurs de "bonds"
de premier rang ne veulent pas payer pour les pertes de ceux qui ont acheté des
obligations plus risquées que les leurs.
Or, la moitié de ces obligations de second ordre sont détenues ou garanties par
les 4 géants bancaires américains. Barney Frank demande donc, dans une petite
phrase qui fait débat dans la blogosphère, que ces banques fassent un geste et
reconnaissent, je cite, que :
"Un grand nombre de ces (hypothèques de) second rang
n'ont pas de véritable valeur économique et la perspective de véritable retour
sur ces seconds rangs est négligeable. Parce que les règles comptables
permettent aux détenteurs de ces (bons de) second rang d'enregistrer les
prêts à des valeurs artificiellement élevées, beaucoup refusent de
reconnaitre la perte et de provisionner des pertes sur ces emprunts, ce qui
permettrait aux détenteurs de bons de premier rang volontaires de réduire le
principal des dettes et de conserver les emprunteurs dans leurs maisons".
Autrement dit, le numéro un de la commission du logement de la chambre
des représentants écrit que les dettes de second rang ("second lien" en anglais)
détenues par les colosses aux pieds d'argile de Wall Street ne valent plus un
clou et sont comptées à des valeurs fantaisistes dans les bilans.
Venant d'un pilier de l'establishment démocrate, voilà qui fait très mal ! Un
peu comme si un premier ministre français osait déclarer que notre hexagone
était virtuellement en faillite...
Dans quelle mesure les affirmations de Barney Frank sont elles fondées ? Comme
toujours aux USA, une nuée d'observateurs indépendants se sont saisis de sa
déclaration pour la confronter aux chiffres.
Le problème est que même si Frank exagère sans doute lorsqu'il affirme que la
valeur de ces seconds rangs est de zéro, il n'a pas tort lorsqu'il affirme que
les évaluations comptables de ces actifs hautement toxiques dans le bilan des
banques sont totalement irréelles.
Des comptabilités fantaisistes
Rappelons, comme mes lecteurs assidus s'en rappellent sans doute, que la règle
du Mark To market (que j'ai bien à tort critiquée) obligeant les
banques à inscrire les pertes sur leurs titres trimestre après trimestres a été
suspendue pour un an en novembre 2008 dans la panique qui a suivi la faillite de
la banque Lehman, mais qu'elle est censée revenir partiellement en vigueur à
partir de janvier 2010 à travers de nouvelles normes. Mais
entre temps, les banques ont pu "retarder" la prise en compte de pertes dans
leurs bilans, autrement dit, valoriser leurs actifs de façon "créative".
Le très social-démocrate - On ne pourra pas m'accuser de choisir mes sources
uniquement dans mon camp ! - Franklin & Eleanor Roosevelt Institute
publie un article montrant que, en mai 2009, selon le rapport de la FED
sur les fameux Stress Test conduits par l'équipe Obama-Geithner, les quatres
banques avaient dans leur bilan environ 477 milliards de ces "cochonneries" de
second rang, soit 62% du total de toutes les obligations de second rang en
circulation sur les marchés financiers.
Or, les "Stress tests" bancaires ont retenu, comme hypothèse de dépréciation,
une perte de 13% (3 banques sur 4) à 19% (citi) sur leurs "créances de second
rang", représentant une perte potentielle de 68 Milliards. Les stress tests
avaient conclu que ces banques étaient solvables si ces pertes n'excédaient pas
ce niveau.
Seul problème, ces niveaux de perte seraient irréalistes car bien trop faibles.
L'auteur de l'article, M. Konczal, estime que les détenteurs de créances de
second ordre ne peuvent espérer récupérer plus de 40 à 60% du nominal de ces
créances en se basant sur des transactions de gré à gré sur des titres
indentiques. Il ne cite hélas pas ses sources, mais l'agence Moody's
vient de lui donner raison en publiant un communiqué dans lequel elle
affirme que les pertes sur les créances de second rang devraient se monter entre
25 et 55% de leur valeur nominale pour les prêts "non subprime", 70-80% sur les
seconds rangs de prêts subprimes et 40-50% sur les second rangs de crédits
hypothécaires rechargeables à la consommation ("HELOC", pour Homeowner Equity
Lines Of Credit).
Les stress tests : une mascarade ?
M. Konczal n'est donc absolument pas farfelu en retenant pour hypothèse de perte
sur ces créances une fourchette de 40 à 60% du nominal, ce qui porterait les
pertes à enregistrer par les grandes banques entre $190 et $285 Milliards, soit
trois à cinq fois plus ce que reportaient les Stress tests.
Par conséquent, si les quatre banques venaient à céder même partiellement aux
injonctions de Barney Frank, elles seraient au minimum proches d'une situation
de faillite, et obligées de réaccepter une aide de l'état fédéral en monnaie de
singe, aide synonyme de bonus encadrés...
Pire, cette fois pour le gouvernement, cela reviendrait à reconnaître que les
stress tests conduits il y a un an et qui ont servi de justification à la
politique de rachat de créances douteuses par la FED, n'étaient qu'une
gigantesque farce, et que l'état général du système bancaire, et notamment des
quatre grandes banques dont plusieurs ont servi de fer de lance à MM. Paulson
puis Geithner pour "sauver" les Wachovia, Wamu, Bear Stearns, etc... étaient en
fait proches de l'insolvabilité, voire déjà insolvables. Et le tout avec
l'approbation de M. Geithner. On comprend que certains aient peur que cette
vérité ne produise un nouveau choc attentiste dans l'économie.
Résumons : la titrisation par tranche, fille de l'ultra-interventionnisme de
l'état fédéral sur le secteur bancaire US empêche le dégonflement négocié de la
pyramide de dette des ménages américains parce que l'état américain a organisé
une opération de propagande sous le vocable de "stress tests", pour masquer
l'état de santé réel des banques pour justifier sa politique de sauvetages tous
azimuts. A part ça, nous vivons "une crise de l'ultra libéralisme sauvage",
nous dit-on... Il a bon dos, le libéralisme !
Geithner sur la selette
Cette comptabilité créative n'est pas le seul exemple de magouille couverte,
volontairement ou non, par Geithner. J'ai eu l'occasion de relater comment il
était soupçonné par des congressmen d'avoir sciemment participé à un
sauvetage déguisé des créanciers de l'assureur en déroute AIG, en
négociant secrètement un paiement des CDS émises par cet assureur à un taux de
100% de leur nominal alors qu'elles n'en valaient guère que 60%, ce qui a permis
à 6 grandes banques internationales de ne pas se déclarer elles mêmes en forte
perte, ou en faillite.
Mais une nouvelle "bombe" vient d'éclater, mettant directement en cause la FED
de New York durant les années Bush, FED dont le patron était... Tim Geithner. Un
rapport indépendant d'un auditeur d'une firme d'expertise comptable, Anton
Valukas, montre que la banque Lehman a truqué sa comptabilité peu de temps avant
sa faillite, et que la FED de New York avait fait preuve d'une grande
légèreté voire de complicité, et ce, alors que de très nombreuses
conversations ont été tenues entre le PDG de Lehman, Dick Fuld, et Geithner.
Les yeux opportunément fermés sur les pratiques comptables de la banque auraient
permis à celle ci de rester bien plus longtemps sur le marché que ses finances
réelles ne l'auraient permis, accroissant le mal fait à ses créanciers et
investisseurs. Ce scandale, estimé à 50 milliards de $, est l'un des plus grands
de l'histoire financière américaine, peut être plus grand encore que l'affaire
Madoff.
Alors, incompétence ? Ou pire ? Geithner est aujourd'hui sur la sellette.
Certains chroniqueurs, et pas uniquement des républicains, remettent en
cause son intégrité.
Obamadoff et la cavalerie financière
Mais surtout, la révélation concommitante de cette affaire de dissimulation des
difficultés de Lehman par le régulateur, puis la révélation - certes plus
discrète médiatiquement parlant - de la valorisation très optimiste de
certains titres dans le bilan des plus grandes banques américaines lors des
stress tests, toujours avec l'aval du régulateur, montre que celui ci a, pour
des raisons purement politiques, triché avec sa mission, et participé à une
opération de manipulation comptable de grande ampleur visant à cacher aux
marchés et au public l'état catastrophique des grands piliers du système
financier américain. Encore une preuve expérimentale que la régulation publique,
soumise à des agendas politiques et par nature corruptible, est un outil de
prévention des mauvais comportements individuels bien moins fiable que la
régulation par des mécanismes de marché privés et les "méchants
spéculateurs".
Mais foin de polémiques théoriciennes, et revenons au sujet initial : on peut à
juste titre s'interroger sur la solvabilité réelle du système bancaire
américain.
Quand un chef d'entreprise se met à maquiller ses comptes pour masquer une
faillite, il sait qu'il creuse sa tombe. Il le fait parce qu'il espère qu'un
miracle (économique ou commercial) viendra le sauver s'il parvient à "durer"
jusqu'à sa survenance. Ces épisodes de cavalerie en forme de quitte ou double se
finissent mal 999 fois sur 1000. Sans doute Bernard Maddoff est il devenu un
escroc le jour où il a préféré truquer ses comptes plutôt que de reconnaître une
perte, en se disant que "la conjoncture" lui permettrait de se refaire. Geithner
et Obama, et avant eux Bush et Paulson, ont-ils joué le même jeu ? Et si les
quatres grandes banques ont des trous béants dans leurs bilans, quelles autres
bombes à retardement se cachent dans d'autres établissements ?
Aujourd'hui, visiblement, l'état américain et les banques du pays ont choisi la
même voie que Bernard Maddoff. En espérant que "la croissance revienne", qu'une
"rupture technologique" recrée un environnement économique favorable, ou peut
être que "Dieu et la main invisible de l'économie bénissent l'Amérique", ou que
sais-je encore, ils ont choisi de permettre aux insitutions financières de
prolonger la période de mensonge sur les comptes, en espérant que la conjoncture
se retourne par on ne sait quel miracle, sauvant les banques aux actifs
décrépits et à la dette insoutenable, et par là même les gouvernements tellement
dépendants de ces mêmes banques pour financer leurs déficits...
Heures sombres à venir ?
Cette stratégie pourrait mener les USA vers un second épisode très dur de
récession économique, lorsqu'il ne sera plus possible de cacher l'ampleur des
pertes, des non remboursements de dettes, et que le miracle attendu ne sera pas
venu. Le très populaire économiste Gerald Celente pronostique un tel
crash dès 2010, mais il est considéré comme un catastrophiste
congénital. Je ne sais si son timing est le bon. Mais le danger est à l'évidence
réel.
Quelle en sera l'étincelle ? Les annonces de résultats trimestriels en avril ?
Les résultats de la victoire judiciaire de Bloomberg contre la FED,
qui obligera celle ci à révéler à quelles banques elle a fait des fleurs ? Une
reprise de la guerre protectionniste contre la Chine ? Une nouvelle faillite
retentissante ?
Et quelles en seront les répercussions sur l'économie réelle ? L'économie
mondiale ? Y-aura-t-il un miracle pour sauver l'Amérique du désastre, et le
reste du monde avec elle ? Autant de questions angloissantes que je reporte à un
article ultérieur.