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Une banque « spécialisée » peut, soit se consacrer à des activités de détail
« retail banking » à destination des particuliers ou des entreprises, soit
intervenir principalement sur les marchés (« investment banking »). Pour
illustrer la première catégorie, on peut mentionner : le Crédit du Nord et,
comme représentant de la seconde catégorie, la banque Lazard. Par opposition,
une banque « universelle » regroupe les divers métiers (banque de détail, banque
de marchés, plus, en général, gestion collective et autres services bancaires).
Pendant longtemps, on a opposé les banques américaines, contraintes depuis le
Glass-Steagall Act de 1933, de choisir entre « retail banking » et « investment
banking » et les banques continentales européennes, allemandes ou françaises
(surtout depuis la réforme bancaire de 1966), qui peuvent être définies comme
étant « multi-métiers ». Cela n’est plus vrai depuis une dizaine d’années et,
plus particulièrement, depuis la crise financière récente, puisque les banques
américaines ont adopté le modèle européen ; en effet, la plupart des banques
d’affaires US ont été achetées par les grandes banques commerciales américaines
(Bank of America, Morgan Chase, etc.), alors que, parallèlement, le Glass
Steagall Act était démantelé. D’où les nombreuses voix qui attribuent la
responsabilité de la crise à l’abandon de la spécialisation bancaire. Selon
elles, la « «banque universelle » favoriserait les conflits d’intérêt, la prise
de risques inconsidérés et la création de monstres gigantesques « too big to
fail » donc qui ne peuvent pas être sanctionnés pour leurs fautes de gestion.
Que faut-il en penser ?
Dans un article récent (la Tribune du 3 novembre 2009), je montrais que
l’existence simultanée de banques spécialisées et de banques multi-métiers était
positive, à la fois du point de vue des actionnaires et du point de vue du
secteur bancaire.
En effet, les investisseurs potentiels pourront choisir entre plusieurs profils
de rentabilité /risque : un profil rentabilité forte/ risque élevé (banque de
marché), un profil modéré, autant pour le risque que pour la rentabilité (banque
universelle) ou un profil rentabilité faible/risque faible (banque de détail).
Cela s’explique par le fait que la profitabilité des banques de marché est
largement supérieure à celle des banques de détail, en période d’euphorie
économique et, en général, bien inférieure en période de stagnation ou de crise.
En ce qui concerne le secteur bancaire lui même, l’existence de banques
multi-métiers permet de « lisser » les résultats d‘exploitation et de
diversifier le risque. En outre, si on regarde les péripéties de la crise
financière actuelle, on constate qu’il y a des désastres, aussi bien chez les «
investment banks » (cf. Lehman Brothers), que chez les « retails banks » (cf.
Northern Rock) ou que chez les banques universelles (cf. Citi, RBS ou UBS).
En réalité, l’important n’est pas tellement la spécialisation bancaire en tant
qu’antidote à la crise, que la mise en application de réglementations efficaces.
Plusieurs pistes doivent être explorées, en dehors d’une taxation des flux
bancaires (sorte de taxe Tobin) qui m’apparaît irréaliste, parce que complexe à
mettre en œuvre et supposant un accord international pour éviter les
délocalisations. La première consiste à moduler les capitaux propres qu’une
banque doit apporter en garantie : ceux-ci doivent être proportionnels aux
risques réels supportés par les activités engagées. « Bâle 2 » qui distingue
essentiellement « risque de défaut », « risque opérationnel » et « risque de
marché » n’est pas suffisamment approprié et nécessite une approche plus fine
pour coller au plus près des risques réellement supportés par chaque activité
bancaire : on a vu les carences de cette réglementation, en ce qui concerne la
négoce de produits structurés, comme les CDO.
Autre mesure : la mise en place d’une contribution des banques à un « fonds de
garantie » élargi, destiné à rembourser les épargnants en cas de faillite d’une
ou plusieurs banques, pour rémunérer la garantie implicite de sauvetage accordé
par l’Etat (selon le principe du « too big to fail » mentionné antérieurement) !
Enfin, il est indispensable de revoir le système d’incitations financières, dont
bénéficient les « traders » (bonus), pour que la prise de risque revienne dans
les limites du raisonnable. Pour conclure, j’adhère à la conviction que ce n’est
pas l’absence de spécialisation bancaire qui est responsable de la crise, mais
la faiblesse des contrôles et l’inadéquation des réglementations bancaires.
Bernard MAROIS
Professeur Emérite
Président du Club Finance