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Les derniers développements juridiques de la crise financière atteignent les
sommets de la quatrième dimension de l'incompétence, la négligence, la bêtise,
et maintenant, de la fraude la plus inimaginable. Entre rire et consternation,
je vais tenter de vous narrer les aventures de Dupond et Dupont au pays des
milliards.
Des gros couacs dans les procédures de saisie-liquidation ?
Nous ne parlons pas là de petites combines entre un courtier en prêts véreux
d'Orange County et un chef d'agence de Countrywide, quand bien même les petites
histoires croquignolettes de courtiers ayant "dealé" avec des banquiers pour
amener des dossiers de crédit foireux, partager une commission, revendre dare
dare le prêt à Fannie Mae (ou Freddie Mac, les pigeons volent toujours par deux)
et fermer boutique quand la pyramide explose, commencent à fleurir aussi sur le
Net.
Non, je vous parle d'ennuis judiciaires pouvant affecter les plus grandes
banques d'Amérique du Nord, pouvant aller jusqu'à rendre impossible le
recouvrement d'une importante proportion des prêts en défaut de paiement ! En
quelque sorte, un "bailout" judiciaire massif des propriétaires endettés en
difficulté.
Pour comprendre de quoi il s'agit, petit retour en arrière sur le système MERS.
Le MERS, un système de suivi de la propriété déficient
Dans tout pays occidental développé, existe de longue date un système
d'enregistrement fiable de la propriété et des servitudes affectant cette
propriété, comme par exemple les hypothèques. L'existence d'un tel système
d'enregistrement fiable et pérenne est une condition sine qua non du décollage
économique d'une nation, comme l'a brillamment montré l'économiste péruvien
Hernando de Soto. En France, cet enregistrement est effectué par un service du
ministère des finances, les hypothèques.
Aux USA, ce sont, traditionnellement, les "County Clerks", en quelque sorte des
"notaires cantonnaux", qui assuraient cette tâche apparemment peu spectaculaire
mais au combien importante. Mais aux USA, le recours à ces county clerks n'est
pas formellement obligatoire pour toutes les opérations, notamment celles liées
au crédit, à condition que le système d'enregistrement alternatif des créances
attachées à une maison présente les mêmes conditions de sécurité des
enregistrements que celui des "clerks".
Lorsque l'industrie du subprime et de la titrisation a commencé à se développer,
induisant des ventes et reventes massives de créances entre courtiers, banques,
Fannie-Freddie, fonds hypothécaires de titrisation (les fameux MBS), etc..., les
financiers ont rapidement trouvé que la procédure des "clerks" était chronophage
et coûteuse : ils ont donc créé un système alternatif d'enregistrement, le MERS,
informatisé à l'extrême, censé garder une trace fiable de toutes les cessions et
transferts de propriété des hypothèques rattachées à une maison.
Seul problème : un nombre croissant de tribunaux considèrent que les procédures
du MERS sont insuffisamment fiables et respectueuses de la lettre comme de
l'esprit de la loi, et que de ce fait, ils ne peuvent accepter les "preuves" de
détention de créances hypothécaires présentées par le MERS ou une banque
travaillant avec le MERS devant un tribunal : dans ce cas, la procédure de
faillite est bloquée jusqu'à ce que le dossier soit intégralement reconstitué, à
condition qu'il puisse l'être, la conservation des archives n'ayant semble-t-il
pas été le point fort des différents acteurs rattachés au MERS...
J'évoquais dans un article récent la possibilité que certains jugements
fassent jurisprudence et constituent de facto un bailout judiciare pour
un grand nombre de propriétaires en défaut de paiement.
Et comme le MERS aurait trempé dans plus de 80% des titrisations de crédit
immobilier, on imagine sans peine les sueurs froides qu'une telle perspective
peut donner aux dirigeants de certaines grandes banques...
Mais si l'affaire en restait là, il n'y aurait rien de nouveau sous le soleil
par rapport à mes articles précédents.
De l'incompétence à la fraude
C'est là que tout devient terriblement "amusant", enfin, façon de parler...
Attention, ce n'est pas forcément facile à suivre, mais je vais essayer de
rester dans les limites du pédagogiquement correct.
En théorie, les propriétaires endettés ont pris leur crédit à un courtier, qui
l'a placé auprès d'une banque, laquelle a revendu le crédit à une autre banque
ou à Fannie-Freddie, laquelle a placé la créance dans un "MBS", entité juridique
à personnalité propre mais sans personnel, qui a regroupé des créances en
provenance de multiples banques, et qui a donc délégué à une autre banque le
soin de collecter les mensualités. En cas de faillite de l'emprunteur, cette
"autre banque" délègue généralement à des firmes d'avocats spécialisés
poétiquement surnommées les "foreclosures mills", "moulin à liquidation" en
langage autochtone, le soin de monter les dossiers administratifs et de les
défendre devant la cour.
Seul problème, faute d'enregistrement correct des créances hypothécaires, cette
autre banque ne peut parfois pas amener de preuve recevable qu'elle est légitime
à vendre la maison dont le débiteur s'est mis en défaut. Bref, reconstituer la
chaîne de propriété d'une maison en liquidation n'est parfois sinon plus
possible, du moins pas facile.
Pour ne rien arranger, certaines parties prenantes de la chaine de transfert de
propriété ont fait faillite, ou ont été rachetées, dépecées, fusionnées...
Vendre une maison... Dont on est incapable de prouver qu'on est
propriétaire !
Qu'importe : certaines banques semblent s'être décidées à aller défendre devant
les juges leur reprise de possession de maisons en défaut... "au flan", avec la
complicité des foreclosures mills, dont la charge de travail est devenue telle
que les procédures internes de vérification de la validité des titres de
propriété sont devenues au mieux laxistes, au pire frauduleuses : documents
antidatés, etc...
Le New York Times et sa reporter vedette (Pulitzer et tutti quanti) Gretchen
Morgenson, qui avait déjà déterré le scandale MERS, dévoile le pot-au-roses au
grand public en enquêtant en Floride, mais la fraude existerait dans bien
d'autres états. En Floride, donc, la Fraude serait endémique, trois firmes
spécialisées qui gèrent 80% des faillites de cet état, celui avec le plus fort
taux de prêts délinquants, étant sous investigation du procureur général de
l'état. L'enquête semble avoir été déclenchée le jour où, pour la même faillite,
deux banques se sont présentées (JP morgan et WaMu) comme co-détentrices d'une
hypothèque... Dont l'examen a montré qu'elle appartenait en fait à Fannie Mae.
Le cabinet de gestion de faillites avait tout simplement fabriqué des faux
antidatés !
Pire encore, en Floride, l'Etat, soucieux de traiter la pile de faillites en
retard, a embauché des juges, le plus souvent retraités, pour organiser des
tribunaux spéciaux (! !!), lesquels semblent parfois particulièrement
complaisants avec les "preuves" présentées par les banques. L'affaire prend
tellement d'ampleur que le parlementaire de Floride Alan Greyson (D), déjà en
pointe dans le combat pour la transparence des opérations financières de la FED,
s'est ému de la situation et demande au procureur général de Floride un
moratoire sur les saisies gérées par les deux grands foreclosures mills jusqu'à
ce que le procureur ait fini son enquête. Bref, on n'est plus dans le fait
divers de quartier.
Du lourd ?
Les banques concernées par le Scandale ne sont pas de la petite bière : Ally, le
géant du crédit anciennement connu sous le nom de GMAC, Wells Fargo, une des
quatres premières banques, et bien sûr les inévitables Fannie et Freddie, dont
le management semble poursuivre la trajectoire vers le zéro absolu entammée par
ses prédécesseurs. Et dans doute bien d'autres.
Ally/GMAC, a décidé de stopper les procédures d'éviction qu'il gère dans 23
états pour le compte de nombreuses compagnies de crédit, dont Fannie et Freddie,
après que des auditions devant un tribunal aient mis au jour de graves
manquement dans le sérieux de leurs procédures de constitution des dossiers.
Wells Fargo, premier prêteur hypothécaire US en 2010, a poussé le vice jusqu'à
inclure dans ses contrats type de ventes sur saisie une clause où l'acheteur
renonce à toute poursuite contre Wells si les titres de propriétés s'avèrent
défectueux. C'est ennuyeux, car cela veut dire que Wells a peur de vendre des
maisons... qu'elle ne possède pas, ou dont elle ne détient pas clairement le
mandat de vente. Ce qui est évidemment illégal. Pour faire passer la pilule,
Wells propose aux acheteurs de prendre en charge les frais de justice... Et
comme ça, l'acheteur n'a pas d'avocat à lui, et se laisse rouler dans la farine.
Panique à bord ?
Evidemment, de telles clauses ont mis la puce à l'oreille de magistrats,
d'avocats des acheteurs, des personnes forecloses, etc... On ne peut que se
demander ce qui peut pousser une banque présumée responsable et respectable,
connue dans le monde entier, et qui aurait tout à gagner à préserver une
certaine réputation de respectabilité, à agir ainsi. J'ai bien une idée sur la
question : Certaines banques ont tellement de maisons potentiellement en
forclusion, synonyme de sinistres dramatiques potentiellement en portefeuille,
qu'elles sont passé en mode "panique" pour tenter d'en récupérer au plus vite
une fraction de la valeur.
Les conséquences pourraient être totalement dramatiques pour les banques
impliquées :
Les faillites concernées seront au mieux rejugées après reconstitution des
dossiers, ce qui prendra beaucoup de temps et fera donc encore perdre beaucoup
d'argents aux banques, au pire... Annulées, ce qui signifiera que le débiteur
gardera quoi qu'il arrive sa maison sans pouvoir la payer ! Et il pourra
tranquillement rééchelonner sa dette sur des dizaines d'années.
Mais ce qui sera encore plus chaud pour les banques émettrices de MBS, c'est que
les clients de ces MBS risquent fort de se retourner contre elles et d'exiger de
très lourdes réparations pour manoeuvres frauduleuses, puisque les MBS étaient
certifiées garanties par des collatéraux immobiliers.
Pire encore, si la justice tend à considérer ces écarts de conduite comme une
pratique intentionnelle des sociétés impliquées, et non comme de simples erreurs
ou négligences, alors des dommages punitifs stratosphériques dans le cadre de
class actions ne sont pas à exclure.
Mais le passé récent a montré que la justice américaine pouvait faire preuve de
pas mal de mansuétude vis à vis du secteur bancaire... Et l'attitude de certains
juges des tribunaux d'exécution de faillites "à la chaine" laisse ouverte
l'hypothèse d'un pétard mouillé. Enfin, GMAC, nationalisée après la faillite de
GM, appartient encore à l'état fédéral. Qui a donc sans doute intérêt à ce que
l'affaire soit minimisée. Mais aux USA, on arrête pas la justice si facilement.
Qui vivra verra.
Il est trop tôt pour évaluer précisément l'ampleur des dégâts, mais de Bloomberg
au Wall Street Journal, nombre d'analystes estiment que cela pourrait être
énorme. Yves Smith, de Naked Capitalism, examine ici les conséquences possibles
de l'affaire GMAC. Dans l'hypothèse plausible ou des juges prendraient ombrage
d'histoires de présentation de faux devant un tribunal (le magistrat est
susceptible...), l'affaire pourrait avoir des répercussions incommensurables !
Dans tous les cas, les seuls coûts judiciaires induits par la nécessité de
re-juger les saisies après avoir minutieusement reconstitué la chaîne de
propriété devrait coûter aux banques des milliards supplémentaires.
Conclusions
Il est stupéfiant de voir comment toute l'industrie américaine du crédit
accumule les bourdes, négligences, et pis encore, comment elle semble
collectionner les fraudes. Une telle agrégation de canards boiteux ne mérite
qu'une chose : que l'on les laisse faire faillite pour de bon. Renflouer de tels
boulets avec l'aide des contribuables est non seulement injuste et
économiquement inefficace, mais totalement ridicule. Un mécanisme de résolution
ordonnée des faillites bancaires est plus que jamais nécessaire.