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Le « passager clandestin », comme le terme l'indique, est celui qui bénéficie
d'une situation favorable, sans avoir à payer le prix. Par exemple, une
catégorie professionnelle obtient des avantages financiers, à la suite, d'une
manifestation : ceux qui sont restés à la maison tireront le même parti de cette
décision que ceux qui auront manifesté, sans en avoir les inconvénients (perte
d'une journée de salaire, participation à la grève, etc.) : ce sont des «
passagers clandestins ».
De même, lorsqu'une entreprise en difficulté voit l'arrivée de fonds
d'investissement spécialisés qui vont remettre la société à flot, en pratiquant
une politique de réduction des coûts et en changeant le management, on peut
considérer que les actionnaires individuels vont profiter de ce retour à
meilleure fortune, sans avoir à effectuer le moindre effort : ils sont en
quelque sorte des « passagers clandestins ».
Mais ce statut n'appartient pas uniquement aux particuliers. Certaines entités
peuvent également en bénéficier. Ainsi, dans le secteur bancaire, le principe du
« too big to fail » est une version spécifique de la théorie du « passager
clandestin ». En effet, une grande banque pourra tirer parti d'opérations à
risque qui en général procurent une plus grande rentabilité ; si le risque se
matérialise, l'Etat interviendra et l'aidera pour éviter qu'elle fasse faillite
et provoque une panique ou un risque « systémique ».
L'illustration en a été donnée par les grandes banques américaines ou
européennes qui ont été renflouées par les Etats, au moment de la crise des «
subprimes ». « L'individualisation » des gains, tout en « socialisant » les
pertes et une application concrète de la théorie du « passager clandestin », où
les grandes banques sont « les clandestins » du système bancaire mondial.
En ce qui concerne l'Europe, la traduction de la théorie se vérifie aussi bien
au niveau politique qu'au niveau économique. Dans la première catégorie, on fera
figurer l'avantage pour les petits pays de l'Union de bénéficier du parapluie de
la Communauté Européenne. En effet, des Etats comme le Luxembourg, Malte ou la
Slovénie, bénéficient de la protection de l'Union Européenne, sans avoir, par
exemple, à entretenir des forces armées importantes.
De ce fait, leur « frais de gestion » sont moins élevés que ceux des grands
Etats (Allemagne, France, Grande-Bretagne).Il n'est donc pas étonnant qu'ils
réalisent de meilleures performances que les pays « poids lourds » : les Pays
Bas se situent à 135% de la moyenne de l'Union Européenne, l'Autriche à 123%, la
Suède à 121%, le Danemark à 118%, alors que la France atteint péniblement 111%.
Si l'on poursuit ce raisonnement la théorie du » passager clandestin » pousse à
l'indépendance de la Catalogne, de la Flandre,.voire de la Corse, puisque ces «
mini-Etats » bénéficieraient des avantages du bouclier européen, sans en avoir à
payer le prix. Pensons également à l'Islande (pays de 350 000 habitants) qui
envisage d'adhérer à l'U.E.
Ce dernier exemple nous permet de considérer le volet économique, où la théorie
s'applique également. C 'est lorsque l'Islande connait une débâcle bancaire
(2008) qu'elle se met à courtiser l'Union Européenne susceptible de l'aider à
passer ce cap difficile ! Mais la meilleure illustration économique de la
théorie peut être trouvée dans la zone euro. Grâce à la monnaie commune et à
l'institution qui la gère (BCE), certains petits pays ont pu profiter de taux
d'intérêt extrêmement favorables : on pense bien sûr à la Grèce, au Portugal,
voire à l'Irlande.
Bien que les fondamentaux (budget, ratio d'endettement) de ce pays se soient
progressivement détériorés, l'accès au crédit est demeuré très favorable, les
investisseurs étant rassurés par la garantie « implicite » donnée par l'ensemble
de la zone euro. Et cela jusqu'à la crise du printemps dernier où le parapluie a
soudain cessé d'apparaitre inamovible. Du coup, la Grèce s'est retrouvée « nue »
et la descente aux enfers de ce pays a commencé. Pour l'instant la situation
s'est stabilisée, mais d'une certaine façon c'est vraisemblablement provisoire.
La morale de l'histoire, si l'on peut dire, c'est que la théorie du « passager
clandestin » met en valeur deux types d'acteurs : les bénéficiaires de la
situation d'asymétrie et les victimes (qui paient pour les autres). L'histoire
montre qu'à la longue les victimes tendent à se fatiguer d'être « exploitées »
et se rebellent. A ce moment-là, les bénéficiaires se retrouvent en grand danger
et doivent alors compter d'abord sur eux-mêmes.
Espérons que cette « morale » sera bien comprise des citoyens grecs, portugais,
irlandais, etc.
Bernard MAROIS
Professeur Emérite HEC Paris
Président du Club Finance HEC