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Selon les dernières prévisions du FMI, l’endettement américain devrait
approcher de 100% du PIB, à la fin de 2010 et dépasser ce seuil en Europe, dès
2012, alors que le ratio dette publique/PIB atteint déjà 190% au Japon. Ces
chiffres sont historiquement dans « le haut de la fourchette » et paraissent
atteindre la limite, au-delà de laquelle la situation pourrait devenir
véritablement incontrôlable. A titre d’illustration, 1 000 milliards d’euros
devraient être émis par les pays de la zone euro en 2010, auxquels s’ajoutent 2
000 milliards de dollars pour les Etats-Unis. Déjà les primes de risque
commencent à se tendre, y compris entre les pays bénéficiant encore d’une
notation AAA : le Royaume-Uni paie 50 points de base de plus que l’Allemagne
(cf. les taux de prime des CDS sur les dettes souveraines) et le différentiel
entre les USA et l’Allemagne, qui était nul en juin 2009 atteint désormais 45
points de base, en défaveur des Etats-Unis. Et ce n’est qu’un début. On peut
donc anticiper une hausse des taux longs qui vont aggraver les
charges financières des Etats donc de leur dette future.
Si on rajoute la dette privée, en hausse également, on obtient
des chiffres encore plus alarmants : aux Etats-Unis, le cumul de la dette
publique et de la dette privée totale représente déjà 350% du PIB !
Comment se désendetter ? La réponse traditionnelle réside dans
l’inflation, solution qui a été utilisée, par exemple, pour faciliter
le désendettement des Etats, après la seconde guerre mondiale. Mais la situation
actuelle est différente. D’une part, il est difficile d’initier une inflation
par les salaires, dans un contexte où le chômage est en progression partout,
contrairement aux années 50. D’autre part, la mondialisation limite
mécaniquement la hausse des prix des produits de l’économie concurrentielle (les
importations de biens en provenance des pays émergents sont un frein permanent à
cette hausse). Quant aux services ou aux produits non concurrencés, leurs prix
resteront sages, car la demande est négativement affectée par la stagnation du
pouvoir d’achat. Par conséquent, les liquidités disponibles (surtout dans les
classes aisées) ont tendance à se diriger vers les actifs financiers (actions,
matières premières, or, immobilier, etc.), sans que la hausse du prix de ces
actifs ne se transmette vers les biens et services. On constate donc que
l’inflation ne se décrète pas !
Autre piste : les moratoires sur les dettes souveraines. Cette
solution a souvent été utilisée, au cours de l’histoire. Récemment, ce sont
plutôt les pays émergents qui ont eu recours à cet
échappatoire, souvent en parallèle avec des financements à taux préférentiel
octroyés par le FMI. Sauf que le Fonds Monétaire International fournit des prêts
« conditionnels », c’est à dire avec des contraintes attachées, telles que des
réformes économiques drastiques, une dévaluation de la monnaie, une politique
d’austérité, etc. C’est la potion qu’ont dû subir l’Asie du Sud-Est en 1998-1999
et l’Argentine en 2001.
En ce qui concerne les pays développés, l’affaire est beaucoup
plus délicate. Aucun n’est prêt à faire appel au FMI, compte-tenu des conditions
imposées qui viennent limiter la souveraineté nationale. Le dernier à avoir fait
appel au Fonds est la Grande-Bretagne, avant l’arrivée de Madame Thatcher et
aucun autre Etat développé n’a voulu recommencer l’expérience. Cependant, la
situation actuelle est beaucoup plus difficile. Déjà certains petits pays
développés ont craqué : l’Islande, la Grèce, les pays Baltes, le Portugal.
L’Espagne est en point de mire (c’est déjà un plus gros morceau).
Cependant, si on écarte l’inflation (peu probable dans les prochaines années) et
le recours du FMI, comment les pays développés vont-ils s’en sortir ? La voie
naturelle au désendettement serait le retour à un excèdent budgétaire primaire.
Impensable, avec une économie anémiée et un chômage supérieur à 10% presque
partout. Reste le défaut de paiement généralisé, qui toucherait
évidemment les créanciers.
En ce qui concerne les dettes publiques américaines, celles-ci sont
essentiellement localisées en Asie (Chine, Japon) et au Moyen-Orient. Quelles
seraient les conséquences politiques d’une telle décision ? Quel serait l’impact
sur le dollar ? Difficile d’anticiper la suite des évènements.
En ce qui concerne la France, notre première ligne de défense
est la zone euro. Mais nos partenaires principaux (Grande-Bretagne, Italie ou
même Allemagne) ne sont pas dans une situation plus enviable. On a du mal à
envisager alors ce que pourrait faire la B.C.E, dont la vocation est plutôt la
politique monétaire, ou la Commission de Bruxelles (qui n’a pas les moyens
financiers de sa politique), si le crédit de notre pays n’était plus suffisant
pour emprunter sur les marchés.
Pour terminer, on constate que seul un retour de la croissance
pourra nous permettre de même qu’aux autres Etats développés, d’enclencher un
processus de désendettement efficace, à travers une
amélioration de la situation budgétaire. C’est donc à une course de vitesse à
laquelle nous sommes confrontés : la croissance reviendra-t-elle suffisamment
tôt pour éviter une explosion de la dette mondiale, aux conséquences
imprévisibles ?
Bernard MAROIS
Professeur Emérite HEC
Président du Club Finance HEC