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La crise grecque a déjà agi comme un révélateur des fragilités de la zone
euro. Une des premières conséquences de cette crise a été de faire apparaître
une éventualité qui n’avait pas été prévue par le traité de Maastricht, à savoir
: la sortie provisoire (« mise en congé ») ou définitive d’une monnaie de la
zone euro.
De ce fait, les conséquences d’un tel évènement, non prévu, n’ont été ni
étudiées ni anticipées. Que se passera-t-il si la Grèce quitte la zone euro ?
D’abord, elle récréera une monnaie nationale, le drachme, qui dévaluera de 25% à
30% par rapport à l’euro, ce qui rendra sa compétitivité à la Grèce (1). Certes
l’endettement de l’Etat grec sera mécaniquement augmenté du fait de la
dévaluation (les dettes restant libellées en euros), mais il suffira de les
restructurer, en allongeant leur maturité pour faciliter leur remboursement
grâce au retour de la croissance dans le pays, dopée par la dévaluation.
Il est également clair que les créditeurs « perdront des plumes » lors de cette
restructuration, mais cela reste supportable (moins d’un trimestre de bénéfices
pour les grandes banques européennes). Quant au reste de la zone euro, il sera
renforcé puisque le maillon faible sera parti.
En fait, il existe un précédent : l’Argentine. Dans les années 90, ce pays était
rentré dans une zone monétaire dollar, en s’imposant un « peg » (contraire
règlementaire) de 1 peso=1 dollar. Etant surendettée et victime d’une monnaie
surévaluée, l’Argentine avait d’abord essayé de maintenir coûte que coûte « le
peg », ce qui avait abouti à un véritable désastre économique jusqu’au moment
où, à cours de solutions (artificielles), le gouvernement a accepté de supprimer
le peg de 1 peso= 1 dollar, laissant le peso se dévaluer de 60%. Cela a permis à
l’Argentine de retrouver le chemin de la croissance et de se désendetter, après
plusieurs restructurations douloureuses.
La seconde conséquence de la crise grecque, moins perceptible, est pourtant plus
remarquable. L’Union Européenne va de plus en plus connaître une évolution « à
deux vitesses ». Dans un premier groupe, on retrouvera les pays qui ne veulent
pas d’une union monétaire rigoureuse telle la Grande Bretagne ou les pays
scandinaves (ils resteront en dehors de la zone euro, par choix, pour protéger
leur souveraineté) ou ceux qui ne peuvent y entrer, par ce qu’ils ne satisfont
les critères rigoureux de « convergence » (essentiellement les pays d’Europe
Centrale et Orientale(2)).
Dans le second groupe, on compte surtout les pays de l’Europe du Nord
(Allemagne, Bénélux) et du Centre (France, Autriche) plus l’Italie (3),
c'est-à-dire l’ancienne « Europe Carolingienne » ou plus ou moins « l’Europe des
Six », à l’origine de l’Union Européenne. A cela s’ajoutent des pays à problème,
périphériques d’une certaine façon (Espagne, Portugal, Irlande). Doit-on les
garder dans une zone euro « renforcée » ? Et si oui, à quel prix ?
Car la crise grecque a montré que la zone euro devait se renforcer, si elle
voulait survivre. Cela signifie : accroître son intégration économique, en
rapprochant ses politiques budgétaire et fiscale ; « développer les institutions
communes : Fonds Monétaire Européen, quel que soit son nom, Ministre des
Finances représentant la zone, etc. C'est-à-dire une nouvelle dose de «
fédéralisme ».
On comprend donc qu’une « Europe à deux vitesses » est inévitable, ce qui va
permettre de poursuivre à la fois l’élargissement (entrée prochaine de la
Croatie puis de la Serbie ; négociations avec la Turquie), et
l’approfondissement (la zone euro, qui pourrait coïncider assez rapidement avec
l’espace de Schengen (politique de l’immigration) reconfiguré. Restera à définir
la relation entre ces « deux Europes (4) » et à régler la question des «
maillons faibles » (Portugal, Irlande, voire Espagne).
Bernard MAROIS
Professeur Emérite HEC Paris
Président d’Honneur Club Finance HEC
(1) Ce chiffre correspond environ à la surévaluation actuelle de l’euro par
rapport aux caractéristiques de l’économie grecque : celle-ci produit environ 35
dollars de l’heure en produits et services, contre 55 en Allemagne.
(2) Les exceptions (Slovénie, Estonie) s’expliquent essentiellement par le fait
que ce sont des mini-Etats très bien structurés d’un point de vue économique.
(3) L’Italie du Nord est relativement industrialisée, contrairement à l’Italie
du Sud, ce qui pose problème (cf. les visées séparatistes de la Ligue du Nord).
(4) Par exemple en matière de change, les pays hors zone euro pourront décider
de rattacher leur monnaie nationale à l’euro à travers des mécanismes flexibles,
ce que font déjà certains Etats.