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Au XIXème siècle, l’Empire Ottoman (la Turquie d’hier) était considéré par
tous les observateurs, comme « l’homme malade de l’Europe ». Après avoir été du
côté des vaincus lors de la première guerre mondiale, l’empire ottoman a été
dépecé de tous ses territoires « non - turcs », pour donner vie, quelques années
plus tard (1923), à la République de Turquie, laïque et relativement homogène,
en termes ethniques (1), sous la férule d’Atatürk, Président autoritaire,
jusqu’à sa mort en 1938.
Depuis la seconde guerre mondiale, la Turquie a été relativement discrète,
adhérant d’abord à l’OTAN, puis signant un accord commercial avec la CEE (qui a
précédé l’Union Européenne). Depuis quelques années Ankara a posé sa candidature
à l’entrée dans l’Union Européenne, candidature qui soulève de nombreuses
polémiques, que ce soit au niveau intérieur (pour l’instant une majorité de
turcs est favorable à l’entrée, mais ce pourcentage est en voie de diminution)
ou au niveau européen (il n’y a pas de consensus sur ce sujet) et les
négociations entre l’Union Européennes et la Turquie avance lentement.
Avant d’entrer dans ce débat très complexe, nous rappellerons d’abord quelques
chiffres. En termes de population, la Turquie abrite 79 millions d’habitants et
exerce une influence certaine sur les 50 millions de turcophones d’Asie Centrale
(anciens « Turkestan » Oriental et Occidental). En 2010, le PIB a crû de 9%
l’an, entrainant ainsi un quasi-triplement du PIB par habitant entre 2001 et
2011.
Dans le même temps, les exportations ont quadruplé ! et le taux d’inflation est
passé de 40% à 6%. De ce fait, l’économie Turque se situe à la 17ème place
mondiale et pourrait être dans le peloton des 10 premiers pays, avant 2050. Le
seul point noir est le déficit de la balance courante qui tend à augmenter.
Si l’on se projette dans le futur, on constate que la Turquie va continuer à
attirer les capitaux étrangers déjà très présents. Ainsi, les entreprises
allemandes sont fort actives établissant des filiales de fabrication et de
distribution (par exemple Mercédès), et profitant des relations historiques avec
l’Empire Ottoman. Récemment, les capitaux arabes sont venus les rejoindre ; là
encore des liens anciens sont ravivées (l’Iran et l’Irak sont, par ailleurs,
d’importants partenaires commerciaux de la Turquie). Sans compter, les intérêts
pétroliers (présence de plusieurs oléoducs transportant le pétrole d’Asie
Centrale vers la Méditerranée). Bref, la Turquie est devenue une
plaque-tournante incontournable entre le Moyen-Orient et l’Europe. Ajoutons que
le gouvernement turc fait des efforts substantiels pour améliorer les
infrastructures locales, de façon à les rapprocher des normes européennes.
Si maintenant, nous voulons dresser un bilan des aspects négatifs et positifs,
en vue d’un rapprochement avec l’Union Européenne, on soulignera les points
suivants. Dans la colonne « moins » on trouvera : des conflits politiques non
résolus (la partition de Chypre, dont la partie Nord est occupée par l’armée
turque ; la question « kurde » en voie de résolution lente ; la
non-reconnaissance du génocide arménien) ; les interrogations liées au contexte
religieux (la place de l’Islam dans l’Etat turc) : la laïcité semble être en
danger, si l’AKP reste au pouvoir trop longtemps ; enfin, d’un point de vue
géographique, seul 5% du territoire turc appartient au continent européen.
Dans la colonne « plus », on pourra faire figurer : une démographie dynamique,
alors que la plupart des pays européens connaissent une diminution structurelle.
Par ailleurs, ainsi qu’il a été mentionné antérieurement, la vigueur économique
de la Turquie est la bienvenue, pour les industries européennes plutôt
stagnantes : la hausse des échanges et l’augmentation des investissements
(rentables) sur place garantissent pour les entreprises de l’Union Européenne,
l’accès à un marché proche et prometteur (croissance de la consommation annuelle
aux alentours de 10%). Enfin, l’histoire de la Turquie témoigne de son intérêt
pour l’Europe, bien que les interventions militaires des sultans ottomans aient
plus pris la forme de conquêtes « prédatrices » que d’influences économiquement
profitables dans les pays des Balkans (Serbie, Bulgarie, Roumanie, Grèce, et).
Pour conclure, il semble que le rapprochement de la Turquie et de l’Europe doit
se poursuivre ; mais, compte-tenu des problèmes actuels de l’Union Européenne et
en particulier de la zone euro, il est souhaitable d’attendre à la fois la
résolution de la crise de l’endettement public (pour l’Europe) et la levée des
obstacles politiques et religieux(3) (pour la Turquie), avant d’envisager une
quelconque adhésion.
(1)A part les Kurdes, localisés dans le Sud-est du pays et dont la population
s’élève à 13 millions.
(2) Notons également la résurgence des persécutions anti-chrétiennes et la mise
sous tutelle progressive de l’armée, traditionnel défenseur des valeurs laïques.
(3) Le retour à la laïcité d’origine pourrait être un gage de « bonne volonté »
de la Turquie.
Bernard MAROIS
Professeur Emérite HEC PARIS
Président d’Honneur CLUB FINANCE HEC