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Nous sommes encore au mois d'Août, et le monde vient de vivre deux crises
financières et un krach boursier qui n'ont même pas eu la correction d'attendre
le mois d'octobre, comme d'habitude, pour se déclencher. Au moins, ces moments
de panique ont permis aux gouvernements de se prévaloir d'avoir rafistolé une
nouvelle fois un système dont ils perdent totalement le contrôle et dont la
prochaine poussée de fièvre -dans peu de temps, à mon humble avis- pourrait bien
être "the big one".
Peut-être, ou peut-être pas... allez savoir !
Une vérité consensuelle qui évite de réfléchir
Profitons donc de quelques jours d'accalmie financière pour prendre un peu de
recul et réfléchir à des questions qui ne sont d'absolument d’AUCUN intérêt
pratique, et absolument pas reliées à l'actualité brulante. Par exemple, "le
Yuan est-il réellement sous-évalué ?"...
Comment ça, vous vous en moquez ?
D'autant plus qu'on vous le dit, on vous le répète, dans les journaux, à la
télévision, à la radio ou à la plage, "Le Yuan est hon-teu-se-ment sous-évalué
par les méchants chinois, coupables de concurrence déloyale et de manipulation
de leur devise". Ah mais. Mais comme toutes les "vérités" consensuelles qui ne
prêtent jamais à discussion, ce qui évite d'avoir à y réfléchir, celle-ci
est-elle intangible ? Le débat est-il clos ?
Peut-être, ou peut-être pas... allez savoir !
L'accusation
Comme vous le savez, le gouvernement américain accuse son homologue chinois de
lier sa monnaie au dollar selon une parité fixe. Si le RMB (abréviation de Yuan
RenMinBi, nom complet de la devise mandarine) était une monnaie qui flottait sur
les marchés comme le Yen ou l'Euro, les excédents commerciaux chinois avec les
USA entraineraient une vente massive de dollars, échangés contre des RMB par les
producteurs chinois, pour payer leurs charges, ce qui entrainerait de facto une
réévaluation du RMB par rapport au dollar, loi de l'offre et de la demande
oblige.
Au lieu de cela, le gouvernement chinois oblige les détenteurs de dollars qui
n'en ont pas l'utilité directe (pour payer des charges ou des investissements en
zone dollar, par exemple) à les échanger auprès de la banque centrale à un taux
fixe.
Donc, "le Yuan est sous-évalué", nous dit M. Geithner, ce qui abaisse
artificiellement le coût des produits chinois face à leurs concurrents
américains et fausse la concurrence. Fermez le ban et circulez, il n'y a rien à
voir, la messe est dite !
Think Twice - La loi des conséquences inattendues frappe encore
Mais est-ce exact ? Et bien la réponse, c'est : Peut-être, ou peut-être pas...
allez savoir !
Une des leçons que l'observation de la vraie vie donne constamment aux
économistes de toutes sectes et chapelles, c'est que comme la loi de la gravité,
la loi de l'offre et de la demande finit toujours par faire effet quelque part,
même si un gouvernement cherche à s'en exonérer.
Ainsi, dans l'ex URSS, malgré un risque de répression toujours présent pour ceux
qui s'y risquaient, le marché noir était florissant pour contourner les pénuries
provoquées par une planification centrale catastrophique. Et pour empêcher que
le peuple ne meure de faim, le gouvernement avait dû tolérer qu'environ 1% des
terres des kolkhozes soient cultivées par les paysans pour leur compte propre,
et la productivité de ces 1% était incroyablement plus élevée que celle des
terres appartenant à l'état...
Bref, si vous fermez la porte à la loi de l'offre et de la demande, celle-ci
finit toujours par s'inviter par la fenêtre. Et c'est ce qui se passe en Chine.
Inflation et mal investissement
La politique de la banque centrale chinoise se révèle fortement inflationniste :
toutes ces exportations provoquent un afflux de Yuans sur le marché chinois.
Ajoutons que le ménage chinois de base n'a pas la possibilité de convertir ses
RMB en dollars pour les investir à l'étranger.
Ceci entraîne quelques effets pervers bien connus, par exemple, des lecteurs du
blog de Michael Pettis, professeur d'économie installé depuis des années à
Pékin.
Le Yuan étant abondant et bon marché sur le marché intérieur, les opportunités
de mal-investissement fleurissent. Résultat, à la fin des années 90, les
investisseurs ont eu du mal à rembourser leurs crédits, provoquant des
difficultés au sein du système bancaire chinois. Pour permettre aux banques de
se "refaire", le gouvernement chinois a plafonné les taux d'intérêts des comptes
d'épargne rémunérés, permettant aux banques de bénéficier d'une ressource bon
marché, et donc de continuer à prêter à taux faible tout en faisant une marge
suffisante.
Et donc d'une part le mal-investissement s'est poursuivi, se traduisant par des
surcapacités industrielles jugées énormes par nombre d'analystes, et d'autre
part les ménages chinois se sont tournés vers l'immobilier dans l'espoir de
rendements meilleurs... Ce qui a créé une bulle immobilière d'énormes
proportions, mais de logements souvent vides, donc d'un rendement locatif moyen
de plus en plus faible. Et du coup, le taux de prêts non performants (Non
Performing Loans) dans le bilan des banques tend à augmenter, quand bien même
cette statistique semble être un des secrets les mieux gardés de la finance
chinoise.
Oh, et dans le même temps, la banque centrale chinoise ne sait pas quoi faire de
ses dollars. Alors elle les prête... Aux USA, qui ont besoin de financer des
énormes déficits publics. Et donc tous ces dollars sortis des USA y reviennent,
permettant aux ménages américains d'acheter, euh, et bien, des produits
chinois... Que les entreprises chinoises convertissent en RMB, et ainsi de
suite.
Et l'inflation sur les produits de base, elle, continue de galoper. Parce qu'il
y a trop de Yuans.
Et les investissements chinois bullent, bullent... Parce qu'il y a trop de
Yuans.
Bref, il y a en chine une quantité d'actifs considérable dont la valeur est
intrinsèquement bien moins élevée que ce que les investisseurs en attendaient au
départ.
Un Yuan flottant serait-il sur-acheté ou sur-vendu ?
Supposons maintenant que le gouvernement chinois décide, du jour au lendemain,
de libérer les échanges entre RMB et autres devises pour tous les chinois.
Si le RMB était sous-évalué par rapport au dollar ou à l'Euro, il y aurait
certainement une forte demande de Yuans de la part de détenteurs de ces monnaies
: celui-ci ne pourrait que se réévaluer. Pas impossible, vu la façon dont nos
banquiers centraux gèrent la question des dettes souveraines ces derniers temps.
Mais est-ce certain ?
Verrait-on des investisseurs se ruer massivement sur des actifs chinois au
rendement très faible, menacés de dépréciation post-bullaire, et dont le rapport
est rogné par une inflation élevée selon nos propres standards ? Ou au contraire
verrait ont les chinois se détourner de leurs investissements intérieurs
contraints et sans grandes perspectives, et chercher à diversifier leurs
placements à l'international, ce qui tendrait plutôt à DEPRECIER le yuan ?
P'têt' ben qu'oui, P'têt ben qu'non...
Bien malin qui peut dire quel mouvement surpasserait l'autre, compte tenu de
l'imprévisibilité des politiques de dépréciation monétaire mises en place par
les différents banquiers occidentaux, et de l'opacité de l'appareil statistique
chinois, qui rend très difficile toute estimation précise de l'ampleur des
mal-investissements.
Mais lorsque trop de monnaie circule par rapport à la valeur réelle des actifs
et produits finis que cette monnaie peut acheter, cela n'indique pas une monnaie
sous-évaluée, mais au contraire surévaluée.
Comme le dit Michael Pettis, "le système financier chinois provoque une mauvaise
allocation des ressources à très grande échelle".
Il est donc tout à fait concevable que cette mauvaise allocation ait abouti à
contrebalancer l'effet de richesse que l'afflux initial de dollars ramené par
les exportateurs chinois avait d'abord créé. Et que le Yuan, initialement
sous-évalué dans les années 90, ne le soit plus du tout aujourd'hui.
Le Yuan, sous-évalué ? Peut-être, peut-être pas... Allez savoir !