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Se pourrait il que nos élites politico-financières aient fait le choix de la
monétisation rampante des dettes publiques stratosphériques qu'elles sont en
train d'accumuler ? Le scénario qui suit n'est qu'une hypothèse, mais hélas, au
vu de certaines prises de position de la BCE, on ne peut l'exclure totalement.
Prions donc pour que l'on puisse rire de mon pessimisme dans quelques années.
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Cette information aurait pu passer inaperçue, mais grâce à Olivier Demeulnaere
et Philippe Herlin, elle est portée à notre attention. Le 29 janvier,
une
dépêche Reuters annonçait que:
La Banque centrale européenne (BCE) a plaidé pour que la future directive
européenne sur la transparence financière autorise les banques centrales à
garder le secret sur des plans de sauvetage bancaire lancés en urgence.
Dans un avis juridique publié sur son site internet vendredi, la BCE estime
qu'"il y a lieu de maintenir la confidentialité des informations portant sur les
prêts ou les autres facilités de liquidité accordés par une banque centrale
(...) y compris l'aide d'urgence en cas de crise de liquidité, afin de
contribuer à la stabilité du système financier dans son ensemble et de préserver
la confiance du public en période de crise"
Elle ajoute "qu'une évaluation de la nécessité de divulguer l'information au cas
par cas est susceptible de mener à une impasse lorsqu'une réaction rapide
s'impose".
Ainsi donc, la BCE souhaite modifier ses statuts, pour, dit-elle, "éviter une
panique financière". En cas de sauvetage d'une banque, si des rumeurs de ses
difficultés filtrent dans le public, une ruée sur les guichets ("bank run") est
à craindre, avec comme double risque celui d'une faillite en cascade des banques
créancières, et d'une impossibilité de maintenir l'ordre public.
Sauver les banques ou les états ?
Mais on peut légitimement se demander si l'objectif réel d'un tel amendement de
la directive sur la transparence, si elle était adoptée, n'est pas de permettre
un sauvetage en douce des états au bord de la faillite, en permettant une
monétisation de la dette plus discrète qu'un rachat direct par la BCE
d'obligations pourries émises par les états.
La FED elle même maintient le secret absolu sur les mouvements de fonds qu'elle
a opérés en faveur des banques en difficulté. Mais plusieurs analystes, comme
Eric Sprott, du groupe Sprott Asset Management, estiment que la FED couvre de
cette façon une opération de monétisation rampante de la dette américaine.
Monétisation rampante, comment ça marche ?
Si l'hypothèse de Sprott est avérée, voici le schéma de cette monétisation:
La banque centrale accepte de prêter à bas taux de l'argent frais "créé à partir
de rien", par simple jeux d'écritures électroniques, à une banque, dont
l'identité est tenue secrète, et dont certains actifs ne valent plus tripette, à
un prix également secret, étant entendu que la banque en question devra
consacrer une partie de l'argent prêté à racheter des obligations du trésor des
états en difficulté: c'est un accord donnant donnant. La banque cesse d'être
techniquement en faillite et peut tenir ses engagements vis à vis de ses
créanciers.
Avec le solde, la banque aidée pourra investir, et provoquer une mini-bulle sur
les actions comme celle que nous venons de vivre entre mars et décembre 2009 et,
si elle est avisée, en sortir à temps, histoire de s'octroyer un bénéfice "tombé
du ciel" si utile pour reconstituer des fonds propres exsangues... et
éventuellement rembourser la banque centrale. Bien sûr, le petit épargnant et le
gestionnaire de fonds indépendant, qui ignorent tout du timing de la manoeuvre,
se retrouveront acheteurs au mauvais moment. Mais le gestionnaire de fonds
indépendant et le petit épargnant ne sont que de sales exploiteurs pour lesquels
l'opinion ne lèvera pas le petit doigt, pas vrai ? Pourquoi se gêner...
Aux USA, les produits dérivés des prêts immobiliers constituent l'actif
"toxique" de base d'un tel échange "actif contre création monétaire".
En Europe, les actifs le plus sujets à des craintes majeures dans le compte des
banques sont les obligations des états, quoique vous en disent les économistes
de la dette décontractée qui continuent de dire qu'un état "ne peut pas faire
faillite".
Par conséquent, sous couvert de sauvetage des banques, si ces sauvetages étaient
secrets, l'on pourrait voir la BCE reprendre de façon non transparente des
obligations grècques, espagnoles, voire françaises, à l'actif de ces banques, et
en contrepartie, leur octroyer des prêts à taux massacrés que les banques
iraient à leur tour... Reprêter aux grecs, espagnols et français, permettant à
ces pays de s'en tirer avec des plans de rigueur mollassons tout en maintenant
l'illusion d'une soutenabilité perpétuelle des dettes.
J'ai naïvement cru que l'Allemagne s'opposerait à de telles visées. Mais avec
près de 390 milliards d'euros d'emprunts à effectuer en 2010, en combinant le
renouvellement sur les tranches de la dette existante venue à échéance et le
financement de son déficit budgétaire, elle n'est pas tellement en meilleure
forme que la France (450 milliards).
Au reste, les 16 principales économies européennes devront lever 2 200 milliards
d'Euros d'emprunts en 2010, pour un PIB de l'ordre de 12 000 milliards ! Je n'ai
pas réussi à me procurer la répartition entre renouvellement du stock de dette
et nouveaux emprunts, mais enfin, ceux ci, que l'on peut estimer à vue de nez à
50% du total, vont tutoyer la totalité du taux d'épargne des ménages ou de
formation de capital de toutes les entreprises privées (de l'ordre de 10% du PIB
des 27). On voit qu'il y a pratiquement impossibilité physique d'éviter une
asphyxie de certains états emprunteurs, d'autant plus que la prise de conscience
croissante de leur faillibilité risque, pour la première fois, d'inciter les
investisseurs a préférer des émissions d'opérateurs privés très diversifiés à
l'international sur celles des états, et ne devrait pas inciter les
investisseurs extra-communautaires à sur-investir en masse sur l'Euro.
Effets pervers
Vous me direz: "mais c'est bien joué, non ? Après tout, si cela évite la
faillite généralisée des états et des banques qui détiennent leurs obligations,
c'est infiniment préférable au chaos ?"
Hélas, tout n'est pas si simple. La manoeuvre a un effet pervers qui peut se
rêvéler dramatique. Si la banque ne remboursait pas son prêt à la banque
centrale, celle ci serait censée se payer par la liquidation de l'actif toxique
déposé en collatéral. Sauf que cet actif toxique ne valant plus qu'une fraction
de son nominal, la banque centrale aura peu de chance de voir revenir tout
l'argent créé. Et voilà qu'auront été créés plusieurs milliards d'unités
monétaires sans création de valeur en contrepartie dans "l'économie réelle". Ce
qui, dès que la base monétaire ainsi gonflée se remettra à circuler, nous
ramènera vers des inflations telles que celles des années 70, entre 10 et 20%
par an.
Voire pire. Car après tout, si vous permettez aux états "insouciants", genre
Grèce... ou France, de s'épargner des restructurations très impopulaires de leur
secteur public par le biais d'un montage financier en apparence miraculeux,
pourquoi feraient ils l'effort d'arrêter de fabriquer de la nouvelle dette ? Et
dans ce cas, qui pourrait empêcher ces états de se livrer à la fuite dans les
déficits, attendu que chacun attendrait que le voisin fasse plus d'efforts ?
Et dans ce cas, les agents économiques, incapables de prévoir la dépréciation de
la valeur de leur production, devront adopter des attitudes très frileuses en
terme d'investissement, ce qui provoquera un chômage encore plus massif. Les
années 70 ont vu l'émergence d'une nouveauté dont tout le monde se serait bien
passé, la "stagflation". Mais le monde occidental était entré dans la crise des
années 70 avec moins de 2-3% de chômage pour en ressortir à plus de 10, avant la
vague dérégulatrice des années 80... Et un retour à l'orthodoxie des banques
centrales sous la férule d'un Paul Volcker ou sous le régime strict du SME.
Mais si les craintes ci dessus venaient à se matérialiser, nous entrerions dans
la crise stagflationniste avec déjà plus de 10% de chômage. Le prix à payer,
dans le cas où ce scénario se matérialiserait, pour la prétendue "stabilité" du
système financier, serait énorme.
Alternative : Des faillites bancaires express en toute transparence
A ce stade, je ne vous ai pas dit que faire à la place de ce scénario peu
avenant. Car si l'alternative à l'inflation est un arrêt total de l'économie par
suppression des banques qui lui procurent son lubrifiant, la monnaie et les
moyens d'échange, alors il n'est pas sûr que nous y gagnions au change.
Mais il existe d'autres possibilités déjà évoquées ici: d'une part, il ne
faudrait pas sauver les états en faillite, pour les forcer à se restructurer et
cesser de susciter des vocations de "passager clandestin" de l'Euro au sein des
pays dits "du Club Med", ce qui revient à laisser tomber la Grèce.
Mais au préalable, afin d'éviter que la chute du domino Grec n'aboutisse au
chaos, il faudra permettre aux prêteurs, c'est à dire les banques, de faire
faillite dans un processus rapide et ordonné, une sorte de "super chapitre 11
bancaire", une "quick and dirty bankruptcy", ou une faillite "en référé" dans
laquelle les déposants bancaires, en tant que créanciers de premier rang de la
faillite, se verraient quasiment garantis de ne rien perdre, mais où
actionnaires et créanciers des banques se verraient contraints d'accepter un
accord d'échange dette contre capital express sur la base de formules
précalculées, en fonction de la perte de valeur des actifs en portefeuille.
Concrètement, lorsqu'un état ferait défaut (partiellement, en général), sur sa
dette, par exemple une faillite des 3/5èmes, les banques et assureurs de titres
de l'état considérés pourraient voir leur actif massacré et donc se retrouver
insolvables au niveau de leur bilan. Dans ce cas, la procédure de faillite
express serait appliquée. Si la perte excèdait les fonds
propres, les créanciers deviendraient seuls actionnaires, l'intégralité de leurs
bons étant convertis, pour une valeur au bilan inférieure au nominal de leur
dette.
Un administrateur judiciaire serait nommé comme pour une faillite classique
(système Français - à chaque pays de l'adapter suivant ses traditions), et très
rapidement, un tribunal devrait décider s'il laisse le temps aux créanciers de
s'organiser au sein d'un nouveau CA, afin soit de continuer l'activité, soit
d'adosser la banque nouvellement capitalisée à un groupe plus important et plus
sain, ou s'il rembourse tous les déposants en liquidant les actifs encore
debout, et laisse l'éventuel reliquat en peau de chagrin aux nouveaux
actionnaires ex-créanciers.
Lesquels ex-créanciers pourraient eux même se retrouver en faillite, et donc
mettre en oeuvre pour eux mêmes le super chapître 11. Et ainsi de suite.
De cette façon, l'excédent de dette du système financier et des états serait
purgé sans que les propriétaires de comptes bancaires ne subissent de pertes, ou
alors marginales. Et surtout, aucun risque d'inflation !
Certes, la banque et la finance licencieraient massivement, mais les nouveaux
établissements ainsi solidifiés par la conversion d'une dette asphyxiante en
fonds propres pourraient très vite se remettre à embaucher les meilleurs, et
puis il faut bien que ceux qui ont mal géré leurs risques dans les années
d'abondance en paient le prix. Les opinions comprendraient mal que des petits
arrangements secrets entre banques centrales et grandes banques permettent à ces
dernières de continuer à engranger profits et bonus se chiffrant en milliards
alors que l'économie non financière continuerait à s'enfoncer dans la récession.
Après les mesures d'urgence, la reconstruction
Il faudrait ensuite rapidement reconstruire un nouveau système financier, sujet
qui dépasse de loin le temps imparti au présent article, mais qui devrait
remplacer par toute une gamme de moyens monétaires et fiscaux l'économie de la
dette par celle du capital, et donner toute latitude aux banques de réussir ou
de faire faillite, la réglementation se focalisant sur l'obligation d'être
réellement transparentes, et de laisser le marché évaluer la pertinence des
choix managériaux.
L'économie dans son ensemble aurait tout à gagner à ce que les leçons de la
crise nous orientent vers le retour à un capitalisme fondé sur le capital plutôt
que sur l'argent dette, et où aucune catégorie ne pourrait espérer le soutien du
contribuable en cas de faillite. La croissance n'y connaitrait sans doute pas de
phase ultra spectaculaire, mais elle serait autrement plus saine, et moins
sujette à des formations de bulles dont l'éclatement se révèle au final
tellement dommageable.
Conclusion
A l'heure où j'écris, rien ne semble décidé, et nous n'avons pour nous faire
peur qu'un "simple" communiqué de presse de JC Trichet demandant la liberté de
faire n'importe quoi à nous mettre sous la dent. Le scénario de la monétisation
rampante n'est donc pas encore adopté. Mais je vois mal Trichet émettre une
telle demande en catimini sans s'être préalablement assuré d'un certain niveau
de réceptivité des politiques à cette demande. Je suis donc raisonnablement
pessimiste sur le futur économique de la zone Euro, même si à court terme, nous
pourrions avoir l'illusion que la beuverie à crédit peut continuer.