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Sortir de l’euro, une folie, vraiment ?

Par Loïc Abadie

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Je viens d’entendre une déclaration de notre président affirmant que sortir de la zone euro serait une « folie », et ferait « exploser la dette ». Affirmation sans doute partagée par les principaux dirigeants de l’opposition de gauche vu que ceux-ci ont toujours été partisans de l’euro.

Nous allons étudier d’un peu plus près ce qu’il en est, en examinant la situation budgétaire de différents états de l’eurozone.

A) Quelques rappels préalables :

Je commencerais par exprimer mon immense étonnement de voir des dirigeants oser « s’inquiéter » d’une éventuelle « explosion de la dette » à venir, en rappelant quelques faits :

- Notre dette publique est passée (données : INSEE) de 1208 milliards d’euros fin 2007 à un niveau qui devrait être égal ou supérieur à 1680 milliards fin 2011 (1591 milliards fin 2010). Soit 472 milliards d’euros de plus en seulement 4 ans ! Ce chiffre ne prend pas en compte les 159 milliards d’euros d’engagement de la France dans le gouffre du F.E.S.F.

- Ceci représente une hausse de 7 375€ par français en 4 ans, ou encore 29 500 euros par ménage « moyen » (un couple avec deux enfants). Ceci correspond aussi à une somme de plus de 600 euros par mois pour notre ménage moyen, depuis 2007, près de 60% d’un SMIC net.
Voilà à quelle vitesse nos dirigeants qui prétendent s’inquiéter et donner des leçons de « responsabilité économique » nous endettent, pour venir ensuite traiter les adversaires de l’euro de « fous » !

- La dette publique française a augmenté plus fortement en 4 ans (+ 470 milliards de 2007-2011) qu’elle ne l’a fait pendant les 10 précédentes années (1997-2007 : + 457 milliards, ce qui était déjà beaucoup trop).

- Les ressources nettes de notre état s’élèvent à 169 milliards d’euros, alors que ses charges nettes sont de 322 milliards d’euros.

Pour moi, la « folie » et l'irresponsabilité se trouve dans tous ces chiffres. Certainement pas dans la « sortie de la zone euro ».

B) La situation de différents pays importants de l’eurozone, et de quelques autres.

Voici deux tableaux résumant la situation des principaux pays de l’eurozone, auxquels j’ai ajouté les USA et la Grande-Bretagne (source : eurostat, CIA world factbook)

La dette publique en % du PIB (2010) :


Le total des déficits (ou excédents) des finances publiques et de la balance des paiements (2010).



- Seuls deux grands pays de l'eurozone peuvent prétendre au titre de pays respectant à peu près les critères d’une monnaie solide : l’Allemagne et les Pays-Bas. La dette publique y est certes assez élevée, mais leurs déficits publics sont compensés par une balance des paiements nettement excédentaire. L’Autriche s’en approche, ainsi que quelques petits pays ayant une influence économique quasi-négligeable. Ces pays (Allemagne, Pays-Bas, Autriche) représentent 107 millions d’habitants.

- Cinq pays sont dans une situation très inquiétante ou assez inquiétante : dette publique très élevée (sauf Espagne, mais plus pour longtemps), déficit public très élevé, et déficit de la balance des paiement inquiétant (sauf Irlande). Ces pays représentent 132 millions d’habitants (soit 40% de la population de l’eurozone).

- Deux pays (France et Belgique) sont dans une situation intermédiaire.

Nous voyons que sur un plan global, l'eurozone est loin d'être un ensemble dominé par des pays financièrement solides.

C) Le scénario souhaitable.

C’est bien la situation actuelle qui est une « folie » et qui nous conduit à une explosion encore plus rapide de la dette dans tous les pays de la zone euro :

- Les pays les plus faibles de l’eurozone (déficit de la balance des paiements + déficits publics très élevés) sont paralysés par la monnaie unique, qui est trop forte pour eux. Elle les empêche de retrouver une compétitivité suffisante à l’international, creuse les déficits et ceux-ci se dirigent tout droit vers un scénario de faillite d’état similaire à celui de l’Argentine au début des années 2000 avec sa monnaie arrimée sur le dollar.

- Les pays les plus forts paient à fonds perdus pour tenter de maintenir à flot les plus faibles (sans le moindre espoir à long terme, vu que cela ne fait qu’aggraver l’endettement des pays « faibles » et amplifier la crise à venir).

Résultat : Les pays « forts » vont s’endetter à leur tour, et massivement, pour un résultat nul, en dehors des intérêts plantureux versés à des « investisseurs » (banques et autres) ravis de cette situation.

C’est un jeu où tout le monde sera perdant au final, et où l’euro disparaîtra de toute façon sous le poids des dettes et des divergences d’intérêt croissantes entre pays membres.

Il faudrait donc que les pays les moins endettés (Allemagne, Pays-Bas, France) quittent l’euro pour le bien de tous :


- Pour que les pays ayant encore la crédibilité du marché ne se trouvent pas entraînés vers le gouffre par les autres.

- Pour que les pays les plus fragiles puissent restructurer leur dette et repartir vers l’avant après dévaluation de leur monnaie, suivant le modèle argentin qui a fonctionné après la crise de 2001-2002.

Mettez-vous à la place des marchés : Auriez-vous plus confiance dans une monnaie purement française (même si les finances de notre pays ne sont pas franchement brillantes), ou une monnaie unique où des pays de plus en plus menacés de faillite (Grèce, Portugal, Irlande, Espagne, Italie) représentent 40% de la population, et où le seul pays important, l’Allemagne, quittera le bateau dès que la situation budgétaire des PIIGS se sera suffisamment dégradée pour menacer directement la valeur de l’euro et sa propre crédibilité financière ?

Un autre argument avancé par les partisans de l’euro consiste à dire qu’une fois sortie de l’euro, la dette de la France flamberait parce qu’elle resterait exprimée en euros face à un franc qui se dévaluerait. Cet argument malhonnête ne résiste pas une seconde à une réflexion un peu poussée :

Si la France sortait de l’euro, l’Allemagne se retrouverait être la seule grande économie de l’eurozone face aux PIIGS de l’europe du Sud. Dans ces conditions, elle n’aurait plus aucun intérêt à rester dans l’euro, et serait quasiment obligée de quitter l’euro. Et l’euro ne serait plus qu’un club d’états en grande difficulté budgétaire représenté pour l’essentiel par l’Europe du Sud.

Nos créanciers seraient donc aussi obligés d’accepter la conversion de leurs créances en euros vers le nouveau franc, aux conditions négociées par notre état…Sinon ils se retrouveraient avec des créances exprimées dans un euro regroupant les pays les plus faibles d’Europe du Sud, qui aurait perdu une grande partie de sa valeur.
La sortie de l’euro ne provoquerait donc aucune augmentation de notre dette.

Sortir de l’euro n’est donc pas une folie. Dans le contexte actuel, c’est le seul choix rationnel qui existe, parce que l’eurozone implosera de toutes façons, dès que le coût du soutien à fonds perdus aux pays les plus fragiles poussera vers la sortie des pays comme l’Allemagne, qui auront plus à perdre qu’à gagner à rester.

Ce choix ne serait qu’une partie de la solution, il ne nous dispensera évidemment pas d’accomplir les réformes structurelles pour retrouver une compétitivité et une discipline budgétaire suffisantes. Mais l’autonomie monétaire retrouvée y apporterait une contribution bien utile.

Loïc Abadie
www.loicabadie.com

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