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Faut-il tenir compte des critères ESG dans ses choix d'investissement ?

Par Loïc Abadie, le 10/07/2023

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Je suis un investisseur pragmatique, et l’objectif de cet article n’est évidemment pas de vous asséner des leçons de morale, nous en subissons déjà assez comme cela au quotidien !

Mon point de vue « moral » est tout simplement qu’il appartient à chacun de juger librement en son âme et conscience ce qu’il estime être un investissement « responsable », et de la bonne gouvernance.

Pour ma part par exemple, je ne considère ni comme « soutenable », ni de la « bonne gouvernance » le fait de désigner comme « honteux » des investissements en armement et défense à un moment où il semblerait (à moins que je n’aie rien compris à l’actualité du moment) qu’ils aient encore un rôle à jouer en Europe !

De même qu’il n’est pas pour moi « soutenable » ou « responsable » de vouloir supprimer trop rapidement les énergies fossiles ou le nucléaire à un moment où nous n’avons pas encore de solution de remplacement globale pour elles (les énergies renouvelables étant intermittentes), dans un contexte de compétition internationale où personne ne se fait de cadeaux.

Ce sont en tout cas des choix purement personnels, et ce n’est ni à moi, ni à un gouvernement, ni à une quelconque ONG de venir vous dire quels investissements devraient être « corrects » à vos yeux !

Si j’écris cet article c’est par contre pour répondre à une question tout à fait légitime :

Est-ce que les critères ESG peuvent influencer la performance de vos investissements ?

Faut-il par exemple éliminer les valeurs pétrolières et gazières (ou toute autre valeur vue comme « anti-ESG ») parce qu’elles risqueraient d’être « démodées », donc pénalisées à l’avenir par un désengagement des investisseurs institutionnels et des partenaires bancaires ?

Il est clair (au moins en Europe) que désormais une majorité de fonds institutionnels prend en compte ces critères ESG dans leurs choix d’investissements, et que ce sera sans doute de plus en plus le cas à l’avenir.

On peut donc se dire que certains secteurs vus comme « contraires » au dogme ESG, par exemple les énergies fossiles et l’armement, vont être délaissés par les fonds d’investissement et sous-performer à cause de cela, alors que les secteurs « bien en vue » selon les règles ESG bénéficieraient de flux financiers importants et surperformeraient à cause de cela.

Si on partait d’un état initial dans lequel les valorisations de tous les secteurs (ESG et « anti-ESG ») seraient égales, ce serait vrai : les secteurs ESG continueraient de bénéficier des achats de fonds, des recommandations d’analystes sell-side et autres et auraient des multiples de valorisation plus élevés que les secteurs « non ESG » qui décrocheraient.

Mais en réalité aujourd’hui cet écart est déjà réalisé, et les secteurs « non ESG » sont globalement beaucoup moins chers que les secteurs « ESG » de la cote.

Les fonds ESG et climat, pour respecter leurs objectifs d’émissions de CO2 et autres agissent en fait assez « hypocritement » : ils vont acheter principalement des valeurs des secteurs technos, santé, financier et distribution (avec une pincée d’énergies renouvelables), et exclure toutes les industries manufacturières qui nécessitent des émissions importantes de CO2 même si elles restent évidemment indispensables au fonctionnement d’une société organisée. Juste pour pouvoir afficher des statistiques d’émission de CO2 faibles pour leurs investissements.

La performance des fonds dits « ESG » sera donc corrélée à celle du secteur des services en général (moins intensif en CO2), et la pondération élevée du secteur technologie dans ces fonds les rend très vulnérables en cas de baisse de marché, parce que les valorisations actuelles sont élevées.

Par contre ce que j’observe aussi est que sur le secteur des small et mid caps, on a actuellement une valorisation anormalement faible des secteurs « non ESG » (comme les énergies fossiles).

J’ai par exemple en portefeuille une valeur du secteur pétrole gaz (cotée à Londres) qui propose un rendement sur dividende de plus de 9%, capitalise moins de deux fois son cash flow opérationnel et décote de plus de 50% sur ses capitaux propres. Sans qu’aucun problème financier ou opérationnel particulier ne vienne justifier cela (en dehors peut-être du risque géopolitique africain).

Evidemment les fonds « small et mid caps » pouvant aller sur ce type de valeurs s’en détournent de plus en plus à cause des critères ESG et n’iront pas sur cette valeur. Son cours est aujourd’hui identique à 2019. Est-ce un problème ?

Pour moi certainement pas.

Je peux patienter tranquillement que la décote se réduise sur une valeur qui me sert en attendant un rendement de plus de 9%, qui ne correspond qu’à une fraction de son résultat, et qui va utiliser le reste pour des investissements de croissance et de développement, en augmentant son patrimoine au fil des ans.

Si sa valeur devait chuter, je serais même très heureux : je pourrais renforcer en touchant un rendement encore meilleur et attendre tranquillement que l’anomalie se résorbe : vu ses cash flows, et son point mort franchement bas, elle ne dépend de toutes façons pas du bon vouloir de ses créanciers.

Des valeurs totalement délaissées par les fonds et les analystes, il y en a beaucoup sur le secteur des small et midcaps.

Regardez par exemple le parcours de Totalenergies Gabon depuis trois ans (je l’avais proposé à l’achat dans le cadre de la poche hors PEA de ma lettre PEA en 2020 et 2021), si on inclut le dividende :

Total Gabon 5 ans

Malgré une multiplication par plus de trois du cours depuis mon conseil initial (si on inclut les dividendes bien entendu), cette midcap filiale de Totalenergies, qui n’a évidemment pas grand-chose de satisfaisant sur le plan « ESG » reste encore bon marché aujourd’hui , avec 70% de la capitalisation couverte par sa trésorerie nette et près de 14 ans de réserves au rythme actuel de production, de quoi assurer de longues années de cash flows attractifs encore, même si ce sont des champs matures !

En résumé, en matière d’investissement boursier, les critères de sélection sont pour moi immuables. Ils sont basés sur des ratios de valorisation, et non sur des critères extra-financiers type ESG ou des phénomènes de mode temporaires (IA, hydrogène…etc) qui conduisent à surpayer vos titres.

Simplement, si vous choisissez de vous intéresser à un titre ne répondant pas aux « normes ESG » de la société actuelle, alors vous devrez être particulièrement exigeant sur ses ratios de valorisation : il devra présenter une décote vraiment indiscutable pour compenser le fait que les institutionnels risquent de rester à l’écart.

En contrepartie, c’est souvent sur ces titres « oubliés » par les institutionnels que vous trouverez les plus belles anomalies de marché à exploiter, et que vous pourrez faire jouer à plein votre seul vrai avantage d’actionnaire individuel, qui est de n’avoir quasiment aucune contrainte (de liquidité, d’image de marque ou autre) limitant votre capacité à aller sur des titres oubliés.

Ma lettre PEA se focalise précisément sur ces anomalies de marché et sur cet avantage d’investisseur individuel qui est d’avoir une liberté de choix de valeurs bien plus grande qu’un institutionnel. Et cette liberté comprend aussi celle d’aller fouiner sans à priori sur l’ensemble des secteurs de la cote, ESG ou pas ESG !


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