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Nouveau boom de liquidités en 2026 aux Etats-Unis grâce aux banques ?

Par Vincent Barret, le 16/11/2025

Vincent Barret

Depuis l’après-crise de 2008, l’architecture prudentielle des grandes banques s’est organisée autour de deux piliers complémentaires : les ratios pondérés par le risque (CET1, Tier 1, Total capital, avec pondération en fonction du type d’actif) et un ratio de levier non pondéré, le Supplementary Leverage Ratio (SLR).

L’idée d’origine était saine : empêcher les banques de gonfler leur bilan de manière excessive en ne tenant compte que des pondérations de risque, toujours imparfaites. Le SLR, appliqué en particulier aux grandes banques systémiques américaines (GSIBs), fonctionne comme une barrière simple : capital / total du bilan, sans nuance.

C’est cette simplicité qui en fait à la fois sa force et, à partir d’un certain niveau, sa faiblesse. Les États-Unis ont, en plus, ajouté un étage spécifique, l’enhanced SLR (eSLR), plus contraignant pour les GSIBs et leurs filiales de dépôt.

Là où la logique se grippe, c’est que ce ratio ne distingue pas un Treasury à 3 mois d’un prêt corporate high yield : un dollar d’actif, quel qu’il soit, consomme le même levier. Tant que les bilans étaient relativement modestes et la dette publique maîtrisée, le coût économique de cette “égalité de traitement” restait acceptable.

Mais à partir du moment où la dette fédérale est passée de 9 000 milliards de dollars à plus de 35 000 milliards en quinze ans, la structure du marché du Trésor s’est heurtée aux murs du SLR : le stock d’obligations à absorber explosait, alors que la capacité de bilan des dealers stagnait.

C’est là que le SLR a cessé d’être un simple backstop pour devenir une contrainte effectivement dominante (“binding constraint”) pour plusieurs GSIBs. Les études de la Fed et de banques comme BNY Mellon ou KPMG convergent : dès lors que le SLR devient contraignant, les banques ont intérêt, à capital constant, à augmenter le risque moyen par dollar de bilan, puisque un dollar de Treasury “coûte” autant en capital qu’un dollar d’actif plus risqué, mais avec un rendement supérieur sur ce dernier.

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Le marché des bons du Trésor américain, pilier du système financier mondial, entre dans une phase critique. Alors que l’encours des Treasuries explose sous l’effet de déficits budgétaires chroniques, la capacité des intermédiaires, notamment les primary dealers et les grandes banques systémiques, à absorber cette offre s’amenuise dangereusement.

Ce déséquilibre est largement attribuable à des régulations post-crise (notamment le e-SLR) qui pénalisent paradoxalement l’intermédiation sur des actifs jugés sûrs. Si rien n’est fait, le risque d’une instabilité structurelle du marché des Treasuries ne peut être écarté.

Résultat paradoxal : un ratio conçu pour la stabilité pousse, à la marge, à privilégier les activités plus rémunératrices et à délaisser l’intermédiation sur les Treasuries et le repo, pourtant cœur du système.

C’est exactement ce que soulignent des papiers comme ceux du Bank Policy Institute, du Group of Thirty ou des rapports Brookings sur la liquidité du marché du Trésor : en rendant le levier trop serré, on dissuade les banques de tenir le rôle de market makers sur les actifs les plus sûrs.

Depuis la crise de 2008, les émissions de dette publique américaine ont connu une trajectoire exponentielle. L’encours des Treasuries a été multiplié par quatre par rapport à la capacité de bilan des primary dealers.

Cette croissance est le reflet de déficits budgétaires massifs et structurels, aggravés par les programmes de relance liés au Covid, la hausse des dépenses sociales, les subventions énergétiques, la défense, et les investissements dans la transition.

Par conséquent, la Réserve fédérale a dévoilé son projet de réduire une importante règle de capital qui, selon les grandes banques, limite leur capacité à détenir davantage de bons du Trésor et à agir en tant qu’intermédiaires sur le marché de 29 000 milliards de dollars, soit 40% du marché des obligations souveraines à l’échelle mondiale.

Fin 2008, ce chiffre était inférieur à 6 000 milliards de dollars. En 2014, lorsque le ratio de levier a été introduit, le nombre de titres du Trésor en circulation était encore inférieur de moitié à celui d’aujourd’hui.

Ce n’est pas la première fois que la Fed accorde un répit important aux banques sur ce front. Alors que les marchés financiers s’effondraient au début de la pandémie de Covid-19, la Fed avait accordé un répit temporaire afin de donner aux banques davantage de marge de manœuvre pour prêter aux entreprises tout en restant actives sur le très important marché des obligations d’État américaines, à un moment où l’économie était sous le choc d’un choc majeur.

Les épisodes de “rupture” qu’on a vus depuis dix ans sont la manifestation concrète de ce problème structurel. En 2014, un “flash rally” sur les Treasuries montre à quel point le marché peut devenir illiquide et hypersensible à des flux modestes.

En septembre 2019, c’est la crise du repo : les taux repo s’envolent parce que les bilans des banques sont saturés et qu’elles refusent d’ajouter de l’expo, précisément parce que le SLR est proche de sa limite.

En mars 2020, le segment UST se disloque au cœur de la panique Covid, obligeant la Fed à intervenir massivement en achetant des Treasuries pour restaurer la liquidité.

Tous ces épisodes ont un point commun : au moment où l’intermédiation bancaire devrait fonctionner comme un amortisseur, elle devient au contraire rigide, car le ratio de levier “mange” la capacité de bilan.

La Fed elle-même a testé la sensibilité du système en 2020 en excluant temporairement les Treasuries et les réserves du calcul du SLR ; une étude de la Fed de Boston montre que les primary dealers les plus contraints ont alors significativement augmenté leurs détentions de Treasuries par rapport aux banques moins contraintes, ce qui prouve bien que le ratio pesait directement sur l’appétit de bilan en temps normal.

Par conséquent, cette réforme vise surtout à résoudre un dysfonctionnement structurel devenu central : la liquidité du marché des Treasuries, pourtant la pierre angulaire du système financier mondial, était affaiblie depuis plus d’une décennie.

Le marché était devenu trop volumineux pour fonctionner efficacement sans dealers bancaires capables d’absorber les flux, mais ces mêmes dealers étaient bridés par un cadre prudentiel devenu excessivement contraignant.

Bien que technique, cette réforme constitue probablement le plus grand assouplissement réglementaire depuis Dodd-Frank. Elle corrige un dysfonctionnement qui, depuis plus de dix ans, affaiblissait la liquidité du marché obligataire américain.

Ainsi, 2026, devrait marquer l’entrée en vigueur du recalibrage du enhanced Supplementary Leverage Ratio (eSLR). Cette réforme modifie profondément la manière dont les grandes banques systémiques américaines gèrent leur bilan et intermédiarisent le marché des Treasuries.

Le but est de permettre aux banques, et en particulier aux GSIBs, de redevenir des market makers capables d’absorber les émissions massives du Trésor, dans un contexte de déficits structurels élevés.

1. La réforme du e-SLR : un outil de ré-ingénierie financière face à une crise de demande obligataire

Le SLR (Supplementary Leverage Ratio) oblige les banques américaines à détenir un certain niveau de capital (numérateur) en regard de l’ensemble de leurs expositions (dénominateur), incluant tous les actifs, même ceux considérés comme sans risque, comme les bons du Trésor.

En effet, il exige que les grandes banques américaines détiennent du capital contre toutes leurs expositions de bilan, sans distinction de risque. Cela inclut les Treasuries, les positions repo, les dépôts ou encore certains prêts interbancaires.

Après 2014, la mise à jour post-Dodd-Frank a transformé le SLR en contrainte principale, ou binding constraint : des actifs désormais considérés comme parfaitement sûrs, les Treasuries, étaient traités comme s’ils portaient du risque, obligeant les banques à immobiliser du capital inutilement.

Cette rigidité a progressivement détérioré la liquidité du marché du Trésor, les banques ayant réduit leurs inventaires pour optimiser leur capital. Elle a aussi contribué à une succession d’épisodes de volatilité et de dysfonctionnements : flash crash obligataire de 2014, crise du repo en 2019, meltdown des Treasuries au cœur du Covid en 2020, ou encore tensions de 2022–2023 sur les taux longs.

Le problème s’est aggravé à mesure que la dette américaine explosait. Entre 2010 et 2025, l’encours est passé de 9 000 à plus de 35 000 milliards de dollars. Les émissions mensuelles du Trésor sont devenues trop importantes pour un système où les banques n’avaient plus la liberté d’utiliser leur bilan comme avant.

L’essence même d’un marché aussi profond repose sur la présence de market makers robustes, capables d’amortir les déséquilibres d’offre et de demande, d’absorber la duration et d’assurer une stabilité continue.

Or, depuis dix ans, ce rôle s’est érodé ; le stabilisateur principal est devenu la Fed elle-même, à travers le QE, le Standing Repo Facility ou des interventions d’urgence. Le système se rapprochait dangereusement d’un modèle hyper-dépendant à la banque centrale.

Alors, en intégrant les Treasuries dans le dénominateur du ratio sans ajustement pour leur risque nul, le SLR pénalise artificiellement les banques lorsqu’elles achètent de la dette publique. Cela détourne les banques de ces actifs sûrs au profit de produits plus risqué mais plus rentables au regard du capital immobilisé.

L’augmentation des avoirs en Treasuries et autres actifs peu risqués n’affecte pas les ratios de capital pondérés par le risque, mais pèse sur les ratios de levier, notamment sur le e-SLR (Enhanced Supplementary Leverage Ratio).

Actuellement, trois des six plus grandes banques américaines sont contraintes par le e-SLR, ce qui les empêche d’acheter davantage de Treasuries, à moins de réduire d’autres actifs ou de lever davantage de capital. Lorsque les ratios de levier deviennent contraignants, les banques sont incitées à réduire leurs activités faiblement risquées, comme l’intermédiation sur les marchés des Treasuries et des repos adossés à des Treasuries.

La réforme présentée fin juin 2025 par le Trésor américain, la Fed et la FDIC vise à libérer de l’espace bilanciel pour que les grandes banques systémiques (GSIBs) puissent jouer un rôle central dans l’absorption des émissions de dette publique.

Par conséquent, les régulateurs (Fed, FDIC, OCC) ont décidé de réduire de 50 % le buffer du eSLR appliqué aux GSIBs. Ce changement remet les Treasuries dans la catégorie des actifs “quasi gratuits” en capital. Le SLR redevient un backstop, un filet de sécurité, plutôt qu’une contrainte quotidienne qui limite mécaniquement la taille du bilan.

Les banques retrouvent ainsi la capacité d’agrandir leur bilan, de détenir davantage de Treasuries, d’intervenir à nouveau dans le repo sans surcharge de capital, et de reconstituer des inventaires significatifs, comme avant 2010.

Ce recalibrage devrait augmenter de manière massive la liquidité des marchés. Les banques pourront acheter plus de Treasuries, stabiliser les épisodes de stress et rétablir une profondeur de marché plus homogène. Elles pourront également redevenir des acteurs actifs du repo, alors que ces dernières années, toute augmentation des volumes repo se traduisait mécaniquement par une hausse du SLR et donc par un coût excessif en capital.

Dès 2026, cette mécanique punitive devrait disparaître en grande partie, permettant un retour naturel de l’intermédiation. Cela contribuera probablement à comprimer les spreads des Treasuries, à réduire les bid-ask, à améliorer la liquidité des adjudications (QRA) et à limiter les épisodes de tailing observés récemment lorsque les dealers avaient atteint leurs limites réglementaires.

Plus tôt cette année, Barclays estimait que la suppression totale du SLR pourrait libérer 6 000 milliards de dollars de capacité de prêt dans les banques américaines. Même une réduction modeste inciterait les banques à acheter jusqu’à 500 milliards de dollars de bons du Trésor.

« Cette proposition contribuera à renforcer la résilience des marchés du Trésor américain, réduisant ainsi le risque de dysfonctionnement du marché et la nécessité pour la Réserve fédérale d’intervenir en cas de crise future », a déclaré Michelle Bowman, nouvelle vice-présidente de la supervision de la banque centrale, dans un communiqué accompagnant le projet de règlement. « Nous devons agir proactivement pour faire face aux conséquences imprévues de la réglementation bancaire. »

Effectivement, en excluant les Treasuries du calcul du ratio de levier, les banques pourraient en détenir davantage sans alourdir leur exigence en capital. Cette évolution renforcerait mécaniquement la base acheteuse sur le marché primaire et secondaire, contribuant à stabiliser les conditions de financement souverain.

Par ailleurs, la participation accrue des banques améliorerait la liquidité de marché, réduisant les spreads de transaction et augmentant l’efficience globale des échanges.

L’impact macro-financier est profond. Le marché du Trésor devrait redevenir plus liquide, porté par un trio stabilisateur : primary dealers, GSIBs et hedge funds menant des arbitrages repo-based.

Le système deviendra moins dépendant du Reverse Repo Facility de la Fed, car les acheteurs “naturels” des Treasuries reviendront. Les fragilités structurelles observées ces dernières années, comme le spike repo de septembre 2019 ou la dislocation totale de mars 2020, deviendront beaucoup moins probables.

La capacité d’absorption des émissions du Trésor, essentielles avec des déficits annuels compris entre 1 800 et 2 000 milliards de dollars, sera renforcée : la réforme crée en réalité une demande structurelle nouvelle, sorte de QE réglementaire plutôt que monétaire.

Sans dealers disposant de bilans flexibles, chaque QRA devient un mini-stress test pour la courbe, avec des risques de “tailing” lors des adjudications, des mouvements violents sur le 10 ans et une volatilité amplifiée.

En redonnant de la capacité de bilan aux GSIBs, la réforme crée une demande structurée supplémentaire pour les Treasuries, non pas parce que ces actifs deviennent soudain plus attractifs au sens du risque, mais parce qu’ils redeviennent économiquement neutres en capital.

Sur les marchés financiers, plusieurs effets sont attendus. Les Treasuries pourraient connaître un rally structurel en 2026, porté par une amélioration de la liquidité, des spreads plus serrés et une volatilité réduite.

Le marché repo devrait se stabiliser, avec moins de tension sur les taux et moins de recours aux facilities de la Fed. Les actions, notamment bancaires, pourraient bénéficier d’un ROE plus élevé grâce à une utilisation du capital plus efficace.

Le marché repo est la plomberie du système dollar : c’est là que se financent les hedge funds, les dealers, les money market funds, les arbitrages de basis trade entre futures et cash, etc. Or, quand le SLR est contraignant, chaque opération de repo grossit le bilan et consomme du levier, même si elle est parfaitement collatéralisée par des Treasuries.

Résultat : les banques réduisent leur intermédiation, les taux repo se tendent en période de stress, et la Fed doit ouvrir des facilities (SRF) pour empêcher une flambée des taux. Plusieurs analyses, dont celles de SVB ou d’institutions de recherche, soulignent qu’un assouplissement du SLR devrait conduire à des spreads repo plus serrés, une plus grande profondeur et moins de besoin d’appels au SRF.

Enfin, la volatilité obligataire devrait se réduire, diminuant la probabilité d’un scénario extrême similaire à celui du marché des Gilts britanniques en 2022.

Stratégiquement, cette réforme marque un retour à un modèle pré-2010, où la liquidité était générée par le secteur privé, non par la Fed. Les GSIBs redeviennent les piliers du marché, les hedge funds assurent les arbitrages et la banque centrale n’intervient qu’en dernier ressort. Cela renforce la stabilité des taux longs, la profondeur du marché et la capacité du système financier à absorber des chocs.

Ainsi, la réforme du Supplementary Leverage Ratio ne doit pas être lue comme un simple ajustement technique. Elle est en réalité une réponse stratégique à un déséquilibre structurel : le Trésor américain ne trouve plus suffisamment d’acheteurs naturels pour sa dette.

Depuis plusieurs trimestres, les données du Trésor montrent une érosion continue de la part des non-résidents dans les détentions de Treasuries. La Chine et le Japon, historiquement les principaux créanciers, réduisent leurs expositions, soit pour des raisons géopolitiques (découplage avec les États-Unis), soit pour financer leurs propres besoins domestiques. Dans le même temps, les banques centrales émergentes cherchent à diversifier leurs réserves.

Résultat : les émissions nettes de dette publique excèdent la capacité d’absorption du marché traditionnel. L’enjeu pour les États-Unis n’est plus seulement le niveau absolu de dette, mais le risque de « désintermédiation extérieure ». Ce désengagement des investisseurs étrangers entraîne une hausse des primes de risque sur la duration, mettant à mal la soutenabilité de la politique budgétaire américaine.

La réforme du e-SLR vise donc à forcer le système bancaire domestique à devenir l’acheteur marginal structurel de Treasuries.

2. Un changement de paradigme : retour à l’intermédiation bancaire dans la gestion de la dette souveraine

Depuis la crise de 2008, la Fed et les régulateurs internationaux ont favorisé une régulation prudentielle fondée sur les ratios de capital pondérés par le risque. Le SLR, ratio non pondéré, était une sorte de « filet de sécurité » pour éviter les manipulations comptables qui avaient miné la confiance dans le système bancaire.

Mais aujourd’hui, ce ratio est en train de devenir le principal obstacle à l’allocation de bilans vers la dette publique, malgré sa qualité de crédit maximale. En supprimant les Treasuries du dénominateur du SLR, les régulateurs reconnaissent implicitement que la dette souveraine ne peut plus être traitée comme un actif ordinaire, mais comme un actif stratégique pour la stabilité macro-financière.

Cette évolution consacre un retour partiel à l’intermédiation bancaire directe dans le financement de l’État, ce que l’architecture post-crise avait précisément cherché à éviter. On assiste à une réinvention du rôle des grandes banques dans la chaîne de financement public, non plus comme agents de marché, mais comme acteurs quasi-institutionnels du maintien de l’ordre budgétaire.

3. Effets systémiques : soulagement à court terme, fragilité à moyen terme

À court terme, cette réforme peut réduire les tensions sur les marchés obligataires, et renforcer artificiellement la demande pour la dette américaine. Cela pourrait freiner la hausse du coût de la dette pour le Trésor, ce qui est crucial alors que les paiements d’intérêts dépassent les 1 000 Mds $ par an.

De surcroît, dans les périodes de stress financier, un allègement réglementaire renforcerait la capacité des banques à jouer leur rôle de stabilisateurs, en absorbant davantage d’actifs publics sans pénalité réglementaire immédiate.

Mais ce « répit » a un coût :

  • Concentration du risque : en internalisant le financement de la dette, les États-Unis prennent le risque que les banques systémiques soient exposées massivement à un actif unique. Cela recrée les conditions d’un choc systémique en cas de retournement sur les taux.

  • Dépendance croissante à la politique réglementaire : le marché des Treasuries devient dépendant non pas de la seule dynamique de marché, mais des règles comptables imposées aux banques. Cela fragilise l’idée d’un marché libre, liquide et autonome.

  • Arbitrages sous-optimaux : en incitant les banques à acheter des actifs peu risqués mais à faible rendement, cette réforme peut détourner le crédit bancaire de l’économie réelle (prêts aux entreprises, crédit immobilier), alimentant une répression financière indirecte.

Mais cette réforme, aussi puissante soit-elle sur le plan technique, n’est ni neutre ni suffisante.

D’abord, elle repose sur l’appétit réel des banques pour les Treasuries. Or, depuis la crise de 2008, les banques américaines ont déjà porté leur exposition à ces titres à plus de 11% de leurs bilans.

L’effet marginal pourrait donc être limité, sauf en cas de réallocation interne. Ainsi, même si la capacité bilancielle des banques est élargie, rien ne garantit que la demande effective de Treasuries s’accroisse si les perspectives macroéconomiques (inflation, endettement public croissant) dissuadent les acteurs privés.

Toutefois, selon les analystes de Morgan Stanley, la plupart des grandes banques ne sont actuellement pas soumises à des contraintes liées au ratio de levier. En se conformant à d’autres règles de fonds propres, la plupart des banques respectent déjà ce ratio, affirment-ils.

Par conséquent, les analystes de Morgan Stanley ne s’attendent pas à ce que les banques augmentent significativement leurs avoirs en bons du Trésor.

Les stratèges de Bank of America sont arrivés à la même conclusion. Or, les données relatives à l’assouplissement du ratio de levier en 2020 ne montrent pas de réaction claire des courtiers quant à l’augmentation de leurs avoirs en bons du Trésor, en partie à cause d’autres facteurs à l’œuvre à l’époque.

Ensuite, cette mesure n’élimine pas le besoin fondamental d’ajustement budgétaire : les banques ne remplaceront pas indéfiniment les investisseurs étrangers, dont la part dans la détention des Treasuries diminue depuis 2014. Si la réforme réduit la pression à court terme, elle ne résout pas la problématique de la dépendance aux financements extérieurs, dans un contexte de désaffection croissante pour les actifs libellés en dollars.

Enfin, cette réforme pose une question de crédibilité politique : elle s’inscrit dans une volonté plus large de déréglementation bancaire portée par Trump, à contre-courant des exigences de stabilité financière prônées depuis Bâle III. Le risque est donc que les investisseurs interprètent cette réforme comme un signe d’assouplissement excessif, compromettant la solidité du système à long terme.

4. Une réforme éminemment politique : captation de la Fed par l’exécutif ?

La nomination de Michelle Bowman comme vice-présidente à la supervision bancaire de la Fed n’est pas anodine. Elle s’inscrit dans un agenda plus large de déréglementation financière porté par Donald Trump, qui souhaite un assouplissement monétaire rapide pour soutenir la croissance… et sa candidature.

L’alignement entre le Trésor, la Fed et la FDIC dans cette réforme est perçu par certains comme le prélude à une subordination de la Fed au pouvoir exécutif, ce que les marchés redoutent. Si cette réforme est imposée sans consensus au sein du FOMC, elle pourrait marquer la fin de l’indépendance de la Fed sur le plan prudentiel, ce qui affaiblirait sa crédibilité.

Le risque ultime est que le système américain bascule dans une logique de « fiscal dominance », où les choix monétaires sont contraints par les besoins de financement budgétaire. Historiquement, ce basculement est un signal d’alarme pour les marchés obligataires, souvent précurseur d’un ajustement brutal sur la devise et les taux.

En toile de fond, cette réforme pourrait accélérer le désengagement des investisseurs étrangers. La perception d’une Fed instrumentalisée, d’un marché artificiellement soutenu par les banques domestiques, et d’un exécutif prêt à contourner les garde-fous réglementaires peut fragiliser l’attractivité du dollar comme actif de réserve.

Certains États (BRICS+, Golfe, ASEAN) pourraient y voir un signal pour accélérer la diversification de leurs réserves, notamment via l’or, les monnaies locales ou les alternatives numériques (comme les CBDC).

Ainsi, la réforme du e-SLR, bien que présentée comme une mesure technique, pourrait participer à une reconfiguration de l’ordre monétaire international, où le marché des Treasuries perdrait progressivement son statut d’actif universellement neutre et sûr.

Ces changements d'effet de levier constituent la première d'un vaste programme de déréglementation, qui devrait être mis en place par Michelle Bowman, nouvelle vice-présidente de la supervision de la Fed. Le président Donald Trump, qui a nommé Mme Bowman à ce poste, a fait de la réduction de la réglementation une priorité absolue afin de stimuler la croissance économique.

Lundi 30 juin, elle a déclaré que la réécriture de l’effet de levier est une première étape dans la révision des exigences de fonds propres « déformées » imposées aux banques, qui ont été considérablement renforcées après la crise financière de 2008.

D’autres changements futurs pourraient inclure l’affaiblissement d’une surtaxe supplémentaire imposée aux grandes banques mondiales et l’ajustement des seuils en dessous desquels les banques sont soumises à des règles de plus en plus strictes à mesure qu’elles grandissent.

En conclusion, la déréglementation bancaire telle qu’envisagée par l’administration américaine constitue un pari risqué mais potentiellement structurant. Si elle est conduite de manière prudente et graduelle, elle pourrait renforcer le fonctionnement des marchés, soutenir le financement public et redynamiser la circulation monétaire.

À l’inverse, une déréglementation excessive ou mal encadrée pourrait compromettre la stabilité acquise au cours des quinze dernières années. Le véritable enjeu réside donc dans la capacité des autorités à arbitrer efficacement entre flexibilité, discipline et robustesse systémique.

En conclusion, le recalibrage du eSLR constitue probablement le plus grand choc positif de liquidité structurelle depuis la mise en place du QE en 2009. Il libère la capacité de bilan du système bancaire, stabilise le repo, réduit les risques de dislocation du marché obligataire, facilite le financement du déficit américain et améliore la transmission du QT.

C’est un pivot réglementaire majeur, insuffisamment intégré par les investisseurs, et qui pourrait remodeler durablement la microstructure du marché obligataire américain dès 2026.

Enfin, il faut être rigoureux sur l’état d’avancement : à l’heure où on parle, la réforme de l’eSLR est encore au stade de proposition (NPR), avec publication au Federal Register le 10 juillet 2025, une période de commentaires publics qui s’est terminée fin août, et un texte qui a été transmis à la Maison-Blanche pour revue.

Reuters indiquait récemment que les régulateurs ont finalisé un plan et l’ont soumis pour revue, avec un vote attendu dans les semaines à venir, mais aucune date officielle d’entrée en vigueur.


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