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Investir dans le stockage du co₂ : entre espoir climatique et défis industriels colossaux

Par Sovanna Sek, le 30/09/2025

Sovanna Sek

Alors que les débats sur la transition énergétique font rage, une technologie discrète, mais cruciale trace son sillon, créant un écosystème boursier aussi prometteur que controversé. Dans un contexte géopolitique où la réélection potentielle de Donald Trump, ouvertement sceptique sur les énergies renouvelables et le climat, pourrait modifier les priorités énergétiques mondiales, la lutte contre le réchauffement ne se résume pas seulement dans les éoliennes ou les panneaux solaires, mais dans une approche plus radicale : capturer le dioxyde de carbone directement à la source. C'est une autre façon, plus ingénieuse et moins médiatique, de parier sur la décarbonation de nos économies.

Cette voie est d'autant plus pertinente que les scénarios les plus crédibles pour atteindre la neutralité carbone. D'ailleurs, l'Agence Internationale de l'Énergie fait le méaculpa qu'il sera quasiment impossible de supprimer toutes les émissions de A à Z. Le captage, l'utilisation et le stockage du carbone (CCUS) sont de plus en plus perçus comme une nécessité mathématique pour les industries énergivores. Investir dans cette thématique, c'est donc faire le pari que valoriser les énergies fossiles sous un angle méconnu à l'avenir.

Les facettes d'un secteur en émergence

capture co2

La position anti-énergies renouvelables (ENR) de Donald Trump et son climatoscepticisme affiché pourraient, paradoxalement, offrir un terreau fertile pour le CCUS. En effet, si son administration affaiblissait les subventions aux énergies vertes, elle pourrait simultanément soutenir des technologies qui permettent de prolonger l'utilisation des hydrocarbures de manière plus écologique. Le CCUS s'inscrit dans ce pragmatisme énergétique : il ne s'agit pas de démanteler l'industrie fossile, mais de la rendre compatible avec les objectifs de réduction d'émissions.

Le secteur du stockage de carbone est bien plus complexe qu'il n'y paraît. Il ne se résume pas à une seule technologie, mais à une chaîne de valeur complète. La première étape, la capture, peut se faire de différentes manières : en post-combustion sur les cheminées d'usines, en pré-combustion, ou même par combustion avec de l'oxygène pur. Ensuite, le CO2 capturé doit être transporté, souvent via des pipelines dédiés, vers des sites de stockage adaptés. Enfin, la phase cruciale est l'injection et le stockage permanent dans des formations géologiques profondes, comme d'anciens gisements de pétrole et de gaz épuisés ou des aquifères salins.

Au-delà du simple stockage, une branche parallèle et prometteuse se développe : l'utilisation du carbone (Carbon Capture and Utilisation - CCU). Ici, le CO2 n'est pas vu comme un déchet, mais comme une ressource. Il peut être transformé en carburants synthétiques, en matériaux de construction, en produits chimiques, ou même utilisé dans la culture d'algues pour la production de biocarburants. Cette valorisation économique est un moteur pour la viabilité à long terme de toute la filière.

Des pionniers cotés et une myriade de possibilités

Pour l'investisseur individuel, s'exposer à cette thématique requiert de la sélectivité. Le paysage boursier est encore jeune, mais plusieurs noms émergent. Une approche consiste à se tourner vers les sociétés de services pétroliers et gaziers qui ont fait de la transition énergétique un axe stratégique majeur. Schlumberger, par exemple, a développé une division dédiée, proposant son expertise en forage et en sous-sol pour les projets de stockage géologique. De même, Baker Hughes se positionne comme un fournisseur de technologies de capture et de solutions pour la gestion du CO2.

D'autres acteurs plus spécialisés offrent une exposition plus pure. Aker Carbon Capture (AKCCF), une société norvégienne, se concentre sur la conception et la construction d'unités de capture modulaires et efficaces. Enfin, il ne faut pas négliger les grands énergéticiens comme Equinor et Occidental Petroleum, qui pilote des projets phares majeurs dans cette technologie.

Le double visage du carbone

L'argumentaire d'investissement est séduisant. Le potentiel de croissance est colossal, avec des marchés estimés à plusieurs centaines de milliards de dollars d'ici à 2050. Les gouvernements, notamment aux États-Unis avec les crédits d'impôt et en Europe avec le Fonds d'innovation, déploient des incitations financières substantielles. Investir dans le CCUS, c'est aussi diversifier son portefeuille au-delà des énergies renouvelables classiques, en touchant à un levier indispensable pour décarboner l'industrie lourde, un secteur souvent difficile à électrifier. C'est un pari sur le pragmatisme énergétique.

Cependant, les risques sont substantiels. Le risque technologique et de déploiement à grande échelle est élevé ; les coûts initiaux sont faramineux et les délais de construction longs. Le risque réglementaire est omniprésent : un changement de politique ou un retard dans l'octroi des permis pourrait anéantir la rentabilité d'un projet. Enfin, le risque environnemental et de réputation est peut-être le plus délicat. Les détracteurs environnementaux dénoncent le CCUS comme un droit à polluer qui prolonge la dépendance aux énergies fossiles. Un incident, comme une fuite massive de CO2, pourrait entraîner un rejet sociétal et réglementaire qui coulerait l'ensemble du secteur.

Stockage du CO₂ : pari risqué ou opportunité incontournable pour la décarbonation ?

Le stockage du CO2 n'est pas une baguette magique. C'est une technologie imparfaite, coûteuse et entachée de compromis. Pourtant, regarder la courbe inflexible des émissions globales et l'immensité du défi climatique, c'est se rendre à l'évidence que nous aurons besoin de tous les outils à notre disposition. Ignorer le potentiel du CCUS reviendrait, dans une certaine mesure, à se priver d'un instrument crucial dans la partition complexe de la décarbonation.

Investir dans cette thématique en Bourse n'est pas qualifié d'anti-ESG. C'est un pari sur le fait que la science et l'industrie, souvent montrées du doigt, peuvent aussi faire partie de la solution. Pour l'investisseur averti, c'est une opportunité de participer à l'une des potentielles révolutions industrielles et environnementales du 21ᵉ siècle, à laquelle la valeur créée se mesurera autant en rendements potentiels qu'en gigatonnes de carbone retirées de l'atmosphère.


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