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Frugalité et déflation

Par Loïc Abadie

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J'ai déjà parlé à plusieurs reprises d'une première force de nature à limiter fortement la capacité des dirigeants à créer une quantité de monnaie et de dette suffisante pour contrer l'implosion en cours de la bulle de crédit privé à l'origine de la crise actuelle : Le fait qu'au delà d'un certain niveau de fuite en avant dans la dette de l'état et des autorités monétaires, le marché refuserait d'absorber les suppléments de dette et que les taux monteraient, ce qui ne ferait que précipiter le deleveraging et au final la déflation.

Mais depuis quelques mois, une autre force commence à se manifester : celle de la foule.

Avant la crise, la confiance était très élevée, et l'aversion au risque quasiment nulle : les opérateurs s'endettaient massivement, les ménages avaient un taux d'épargne historiquement bas et voisin de 0.
Cette situation était le résultat d'une période de stabilité et de calme assez exceptionnelle, en cours depuis plusieurs décennies (en gros depuis l'après-guerre aux USA, sensation de sécurité qui a encore augmenté avec la fin de la guerre froide).
Avec l'arrivée de la crise, cette vague de confiance a commencé à refluer, et les opérateurs ont redécouvert l'aversion au risque, et commencent à adopter des comportements plus frugaux...A l'exception de l'état bien entendu, qui pratique la fuite en avant dans la dette au rythme moyen de 1500 à 2000 milliards de $/an aux USA.

La grande nouveauté est que les électeurs américains commencent aujourd'hui à demander à l'état plus de maîtrise des dépenses, et commencent à s'inquiéter de l'explosion des déficits publics...En un mot, ils demandent à l'état plus de frugalité, ce qui va à l'encontre des politiques actuelles de relance de la consommation par le déficit et la dette.

Quelques faits :

- Le pourcentage d'avis favorables sur la politique du Congrès est au plus bas depuis 24 ans (sondage du 2/9).
- Le déficit public fait maintenant partie des 5 principales sources d'inquiétude des ménages US.
- La cote de popularité d'Obama chute régulièrement depuis plusieurs mois, principalement à cause de la politique économique.

Encore bien plus étonnant, une manifestation contre la réforme du système de santé et les dépenses publiques excessives a eu lieu ce samedi (12/9/09) sous le nom de "tea party". Le nombre de participants a été apparemment exceptionnel, et au delà des prévisions, avec des estimations allant jusqu'à 2 millions de personnes (mais très variable évidemment selon le bord politique d'où elles viennent).

Il aurait certainement été inimaginable que dans la période de bulle des années 90 - début 2000 1 ou 2 millions de personnes manifestent (ou même simplement quelques centaines de milliers) pour demander des choses aussi surprenantes que "moins de protection sociale", "moins de dépenses publiques" et "plus de rigueur budgétaire". Nous sommes ici à l'opposé exact du "toujours plus" décrit par François de Closets au sujet de la France.

Ces évolutions se produisent pourtant à un moment où la récession marque une pause, et où le contexte est relativement favorable à l'équipe dirigeante en place...Si la récession reprend dans les années à venir comme je le pense, l'aversion au risque augmentera encore, et avec elle la pression de la foule vers plus de frugalité et de rigueur. Et les dirigeants, très sensibles à l'opinion publique pourraient alors changer de politique et abandonner la doctrine actuelle (relance incessante de la demande par les déficits publics et la dette).

Tout cela est évidemment déflationniste.

Un dernier graphique pour finir : les prêts des banques commerciales (stat H8 de la FED).

Nous constatons que malgré tous les efforts déployés par l'état et la politique de quantitative easing mise en oeuvre, la contraction du crédit s'est nettement accélérée depuis trois mois, et que nous sommes repassés sous la barre des 7000 milliards de $, et aussi sous le niveau du début de la politique de Q.E qui remonte à l'automne 2008. L'état n'a apparemment pas la capacité de s'opposer à l'implosion de la bulle de crédit en cours, et l'aura de moins en moins à l'avenir...Négliger la force des pressions déflationnistes à l'oeuvre actuellement et pour les prochaines années est à mon avis une grosse erreur, surtout si l'évolution du sentiment dominant vers la frugalité se confirme à l'avenir au sein de l'électorat US !



Loic ABADIE

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