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Les marchés de matières premières ont des caractéristiques propres (stockage,
report, exposition au dollar…) qui peuvent éroder toute perspective de
performance.
Structurellement passifs, les supports d’investissement purement indiciels
peuvent ainsi être source de grandes désillusions, incapables qu’ils sont de
gérer ce risque sous-jacent.
C’est une réalité désormais consensuelle : de nombreux facteurs concourent à
propulser les matières premières dans une spirale haussière durable. Pas
étonnant, donc, que les investisseurs, qu’ils soient institutionnels ou privés,
se positionnent en masse sur ces marchés. Sur le fond, ils ont de bonnes raisons
de le faire. Sous réserve qu’ils soient utilisés dans le cadre d’une allocation
de portefeuille à long terme, ces actifs hétérogènes recèlent dans la plupart
des cas un potentiel de revalorisation important. Sur la forme, en revanche,
leur approche n’est pas toujours optimale. Nombreux sont en effet les
investisseurs à utiliser des supports purement indiciels, trackers en tête, au
risque de subir plusieurs types de risque susceptibles d’en éroder, voire d’en
annihiler la performance.
Le dollar est le premier facteur de risque à prendre en compte lorsque l’on
souhaite s’exposer sur ces marchés. Libellées en billet vert, les matières
premières font en effet peser un risque de change évident pour les investisseurs
positionnés sur des fonds indiciels non couverts. Enfin, certains supports
d’investissement ne proposent que la réplication d’un indice. Ils n’offrent dès
lors aucune exposition directe sur les actifs sous-jacents. C’est le cas des
certificats ou des trackers, qui posent cette fois-ci un risque de…
contrepartie.
Les autres risques sont liés à la façon dont est constitué le prix à terme des
matières premières. A la valeur de la marchandise en elle-même s’ajoute ce
qu’aurait coûté le stockage de la matière première si on l’avait acheté
comptant. En effet, la détention d’une matière première nécessite un stockage,
et donc un coût. S’il est marginal dans le cas des métaux précieux, facilement
stockable dans un coffre à moindre coût, celui-ci peut atteindre régulièrement
jusqu’à 15% (sur une base annualisée) de la valeur du stock dans le cas des
denrées agricoles. Ce coût sera directement imputé sur la performance finale de
l’investisseur.
Ce biais n’est pas anodin : un investisseur anticipant une hausse de 50% du prix
du maïs dans les trois années à venir peut ainsi se retrouver avec une
performance quasi-nulle même si son anticipation était la bonne ! Dans le cas du
pétrole, ce coût est très volatil et peut varier de 0 à plus de 30% en valeur
annualisée en fonction de la disponibilité, et donc du coût, des capacités de
stockage. Ainsi, actuellement, les coûts de stockage sur le pétrole sont de
l’ordre de 30% en base annuelle !
Il reste un autre biais, tout aussi important. Si la production d’une matière
première ne suffit pas à combler une demande, certains acteurs économiques
acceptent de retarder leur achat en échange d’un prix plus attractif à terme. On
dit alors que cette matière est en déport ou, en anglais, en « backwardation ».
Dans ce cas, l’investisseur positionné sur le marché pourra encaisser un
rendement, en plus de la performance du sous-jacent. Et celui-ci sera d’autant
plus élevé que la situation entre l’offre et la demande sera tendue. Ainsi, sur
le deuxième semestre 2007, alors que le pétrole gagnait 36%, un investisseur
financier pouvait encaisser jusqu’à 45%, la tension entre l’offre et la demande
entraînant le paiement d’un déport important, qui a rapporté plus que ne coûte
le stockage.
A l’inverse, une situation d’offre excédentaire provoque une situation de
report, ou « contango » en anglais. C’est la situation normale des marchés de
matières premières. Dans ce cas, l’investisseur paye le stockage et ne touche
pas de rémunération pour son report d’achat ; il réalise alors une performance
inférieure à celle de la matière première au comptant. C’est le cas sur les
métaux précieux où, l’or étant stocké sous forme de bijoux ou de lingots par les
consommateurs, le déport est très rare. En effet, en cas de tension entre
l’offre et la demande, la hausse des prix est de nature à convaincre certains
détenteurs du stock (banques centrales, particuliers…), de vendre une partie de
leur or pour rétablir l’équilibre entre l’offre et la demande.
Sur le marché des denrées agricoles, le report est en revanche quasi
systématique et coûte très cher. En effet, la possibilité de planter deux
récoltes par an (une par hémisphère) pour s’adapter à la demande rend les
situations de tensions très rares, et le coût de stockage n’est pas compensé.
Enfin, sur les matières premières de consommation, c'est-à-dire dont
l’utilisation entraîne la destruction comme les hydrocarbures, la situation est
plus compliquée. En l’absence de stocks autres que ceux nécessaires à la
consommation courante, les situations de déséquilibre entre l’offre et la
demande ne peuvent être soulagées qu’en convaincant certains investisseurs de
reporter leurs achats. Cette incapacité à adapter l’offre entraîne une forte
instabilité du report qui, selon les périodes, peut être très rentable ou très
pénalisant pour l’investisseur. La différence de performance entre le
sous-jacent et l’investissement à terme peut donc s’avérer tour à tour très
profitable ou très coûteuse. Mais cet effet peut être atténué. Les situations de
déport sont en effet saisonnières sur certains produits: ainsi l’essence est
très demandée l’été, c’est-à-dire pendant la « driving season », provoquant une
situation de déport ponctuelle. Or c’est justement le moment où la demande de
fioul, utilisée pour le chauffage, est au plus bas. La situation exactement
inverse se produit en hiver, pic de consommation des produits de chauffage et de
faible mobilité. Un panachage au sein d’un même portefeuille de ces deux
matières premières connexes, en compensant leurs situations de report
respectives, est de nature à retracer plus justement l’évolution générale du
complexe pétrolier.
Les matières premières n’étant pas une classe d’actifs comme les autres, elles
nécessitent donc pour les investisseurs une analyse poussée des supports
d’investissement à leur disposition, sous peine de leur faire porter des risques
superflus pas forcément maîtrisés. Pour trouver leur place dans une allocation
d’actifs pertinente, les supports d’investissement offrant une exposition aux
matières premières doivent donc être soit gérés activement (dans le cas des
denrées agricoles, très sensibles à la variabilité des coûts de stockage), soit
mixés au seing d’un même secteur pour profiter de caractéristiques structurelles
différentes (dans le cas du pétrole, utilisation des saisonnalités). Dans tous
les cas, ils doivent aussi être couverts contre le risque de change. De quoi
limiter drastiquement le choix des supports d’investissement…
Cette chronique est signée Benjamin Louvet, associé-gérant de la société de
gestion de portefeuilles Prim’Finance.